Dans les années 1960 et 1970, la police de Montréal, qui découvre le terrorisme urbain, crée une section technique pour le combattre. Robert Côté, un des pionniers du désamorçage de bombes témoigne.
Robert Côté 1961
Au début des années 1960, des manifestations nationalistes secouent Montréal. Un petit noyau de contestataires passe des manifestations aux graffitis sur les édifices fédéraux, puis aux cocktails Molotov, avant de se tourner vers les bombes à la dynamite. La ville est la scène d’un tout nouveau phénomène en Amérique du Nord : le terrorisme urbain. Le Front de libération du Québec (FLQ) est la figure de proue de ce mouvement qui culmine avec les kidnappings de James Richard Cross et de Pierre Laporte en 1970.
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« La dynamite, ça trainait partout! » — Robert Côté
Robert Côté 1970
Le 17 mai 1963, plusieurs boîtes aux lettres de Westmount sont piégées et cinq bombes sautent durant la nuit. C’est aussi le premier jour de travail de Robert Côté à la section technique. Il plonge dans l’action et apprend, en partie, son métier sur le tas. Bien qu’il ait reçu une formation de base d’artificier dans l’armée canadienne lors d’un séjour à la base militaire de Sainte-Thérèse, il doit faire preuve d’inventivité et de débrouillardise. Il a de la chance, se dit-il, les bombes montréalaises sont moins sophistiquées que celles de l’Armée républicaine irlandaise. Elles possèdent néanmoins toutes les mêmes composantes : une charge explosive au poids variable, une amorce et un mécanisme de retardement. Pendant les années qui suivent, les bombes continuent de sauter de façon intermittente, et la menace pèse sur les préparations de l’Exposition universelle de 1967.
Expo 67 et la menace terroriste
Robert Côté - équipe
Après l’Expo, les attentats reprennent de plus belle : en 6 mois, 31 bombes sont découvertes. Robert Côté en désamorce à lui seul près de la moitié. La plus grosse bombe qu’il neutralise à Montréal est celle découverte dans une voiture sur la rue Saint-Jacques près de la Banque de Montréal le 11 juillet 1970. Elle contient 150 livres de dynamite et elle est prête à détoner. Pourtant, ce n’est pas celle-là qui lui a donné le plus froid dans le dos, mais bien celle qui menace l’établissement Eaton, rue Sainte-Catherine Ouest, en 1968. Symbole du capitalisme anglophone décrié par le FLQ, ce magasin est la cible de deux attentats la même journée. Dans la nuit du 21 novembre, un engin explosif éclate dans le sous-sol. Malgré tout, la direction ouvre les portes au public comme si de rien n’était. En après-midi, Robert Côté reçoit un appel : ça va sauter de nouveau! Il parvient à neutraliser la bombe et est applaudi par la foule à sa sortie du magasin. Principale constatation à la suite de cet événement : l’équipement de protection et de désamorçage n’est pas adapté à la vie réelle. Dans le cas du magasin Eaton, l’écran protecteur ne passait même pas dans les portes tournantes de l’édifice… C’est alors muni seulement de ses pinces acquises à la quincaillerie Pascal au coût de 3,95 dollars que Côté se met au travail.
Quand les bombes ne suffisent plus
Remorque Angèle
Peu avant, une voiture sort du garage de la rue des Récollets avec les fenêtres couvertes de papier journal afin qu’il ne soit pas possible d’identifier où sont assis ses différents occupants. Deux bombes de 5 livres sont à bord, et c’est la première fois qu’est utilisé le dead man switch, un mécanisme de détonation à ressort, une hantise pour la section technique. Désamorcer des bombes à Montréal n’est pas de tout repos, tout doit être inventé ou adapté, comme c’est le cas avec « Angèle » la remorque qui sert à transporter les bombes. Le plus compliqué n’était pas de neutraliser les bombes, mais bien de les reconstituer après une explosion afin de pouvoir présenter des preuves irréfutables devant un jury au cours d’un procès.
Robert Côté
Après 14 ans de service, Robert Côté quitte la section technique afin de pouvoir être promu. Il est chargé de mettre sur pied et de commander le Groupe tactique Alpha dans le cadre des Jeux olympiques de 1976. Devenu ensuite directeur des télécommunications, il met en place le système d’urgence 911 de la Communauté urbaine de Montréal le dimanche 1er décembre 1985. Il prend sa retraite en mai 1990 alors qu’il est directeur du district 42 du SPCUM, situé à l’angle des rues Jarry et Saint-Hubert, avec le grade d’inspecteur-chef.
Merci à Robert Côté et à Paul-André Linteau pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche.
CENTRE D’HISTOIRE DE MONTRÉAL. Entrevue de Robert Côté, collection témoignages, fonds Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960, 2012-089-007-001.
CENTRE D’HISTOIRE DE MONTRÉAL. Entrevue de Robert Côté, collection de témoignages, fonds Explosion 67 – Terre des jeunes, 2016-001-024-001.
CÔTÉ, Robert. « Autopsie d’une opération. L’opération Cordon : le dénouement de la crise d’Octobre », Chroniques d’hier à aujourd’hui, Service de police de la Ville de Montréal, novembre 2010, p. 4-5.
CÔTÉ, Robert. « Expo 67 et la Police de Montréal », Notre mémoire collective, Service de police de la Ville de Montréal, hiver 2017, p. 12.
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