De 1940 à 1960, sortir à Montréal n’est pas banal, car toutes les grandes stars européennes et américaines s’y produisent, et les autorités sont peu regardantes quant aux mœurs et au couvre-feu.
Rockhead’s Paradise
Durant les années 1940 et 1950, Montréal est l’une des plus importantes capitales du divertissement dans l’est de l’Amérique du Nord. La prohibition des années 1920 avait fait découvrir cette ville ouverte aux Américains assoiffés et à leurs artistes. Alors que la Deuxième Guerre mondiale fait rage de l’autre côté de l’Atlantique, la métropole prospère et plusieurs artistes français en exil s’y retrouvent. Toutes les grandes stars européennes (Édith Piaf, Charles Aznavour, Charles Trenet, Patachou, Maurice Chevalier, etc.) et américaines (Frank Sinatra, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Peggy Lee, Sammy Davis Jr., Charlie Parker) de l’heure y passent. Quant aux vedettes locales, comme Alys Robi, Oscar Peterson, Muriel Millard, Olivier Guimond ou Gratien Gélinas, qui marqueront la culture québécoise, elles amorcent leur carrière sur une scène ou une autre du centre-ville.
Montréal recèle une quantité phénoménale de clubs, de restaurants, de cafés, de bars, de lounges… sans parler des tavernes et autres grills. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Les restaurants et les clubs portent des noms plus exotiques les uns que les autres : l’El Morocco, le Mocambo, le Rockhead’s Paradise, le Casa Loma, l’Hawaiian Lounge, le Tropical Room, les cabarets Montmartre et Saint-Germain-des-Prés… Le fait français de Montréal a en effet quelque chose de dépaysant pour les touristes américains; il ajoute un petit « Ooh la la » coquin à l’expérience et donne l’impression d’avoir abouti à Paris.
En tenue élégante pour des soirées débridées
Sortir au cabaret, au restaurant, au théâtre, même au cinéma n’est pas banal. Pour l’occasion, on se met en tenue élégante, on se pare de ses plus beaux atours. Galanterie oblige, c’est monsieur qui passe chercher sa cavalière, et une fille « bien » ne peut sortir seule dans un club, de crainte de passer pour une fille facile… ou pire.
Scandale - Montréal des plaisirs
Les noctambules ont l’embarras du choix : cinémas, restaurants, cabarets… Et rien n’empêche d’en visiter plusieurs dans une même soirée! Les cinémas et les cabarets offrent un large éventail de spectacles. Dans certains cinémas, tel le Séville, on peut assister à des spectacles de music-hall entre les projections. Les cabarets et les clubs présentent des formules de variétés comportant des numéros de danse, de chant, de comédie, de travestis, de cirque et de burlesque, souvent agrémentés, en fin de soirée, du numéro piquant d’une effeuilleuse, surtout à partir de la guerre, qui libère les mœurs… et nous amène Lili St-Cyr!
La ville est ouverte jour et nuit. Les bars sont censés fermer à deux heures, mais qui s’en soucie? Les autorités ne sont pas regardantes quant au couvre-feu. Si un endroit ferme et qu’on a encore soif, il y a toujours moyen de trouver un autre lieu où boire et s’amuser.
Et quelle que soit l’heure où s’achève la soirée, on peut la finir en beauté avec un snack au Montreal Pool Room, chez Dunn’s et chez Ben’s, où se côtoient dans un joyeux vacarme les oiseaux de nuit, toutes classes et origines confondues.
Ce texte de Mathieu Lapointe est tiré du livre Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, sous la direction de Catherine Charlebois et Mathieu Lapointe, Montréal, Cardinal, 2016, p. 27-28.
CHARLEBOIS, Catherine, et Mathieu LAPOINTE (dir.). Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, 272 p.
BOURASSA, André-Gilles, et Jean-Marc LARRUE. Les nuits de la « Main » : cent ans de spectacles sur le boulevard Saint-Laurent (1891-1991), Montréal, VLB éditeur, 1993, 361 p.
LINTEAU, Paul-André, avec la collaboration de Geneviève LÉTOURNEAU-GUILLON et Claude-Sylvie LEMERY. La rue Sainte-Catherine : au cœur de la vie montréalaise, Montréal, Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 237 p.
WEINTRAUB, William. City Unique : Montreal Days and Nights in the 1940s and ‘50s, Toronto, McClelland & Stewart, 1996, 332 p.