Le Montréalais d’origine libanaise Muhammad Saïd Massoud a mené un combat de près de 30 ans pour faire valoir les intérêts des Arabes, notamment ceux des Palestiniens.
Le titre de l’autobiographie de Muhammad Saïd Massoud, I Fought as I Believed, résume bien la vie de ce Libanais, Montréalais d’adoption, très impliqué dans la sphère publique canadienne. Il a mené un combat de près de 30 ans pour faire valoir les intérêts des Arabes, notamment des Palestiniens, auprès de l’opinion publique et des dirigeants canadiens.
De Bechamoun à Montréal
Muhammad Saïd Massoud est né le 15 octobre 1893 dans une famille druze (branche de l’ismaélisme chez les musulmans chiites) dans le village de Bechamoun de la province ottomane du Bilad al-Sham (aujourd’hui au Liban). En 1909, à l’âge de 16 ans, il quitte son village natal pour rejoindre son père qui est déjà au Canada depuis 10 ans. Ce dernier vient juste d’ouvrir un commerce à Kingston en Ontario après avoir été kashshashin, c’est-à-dire colporteur. Il s’agit d’un parcours tout à fait typique de cette première génération d’immigrants syriens. Dès 1914, Muhammad se lance en affaires dans la province ontarienne, d’abord comme restaurateur, ayant une petite crèmerie, puis dans l’industrie du cinéma (ce qui rappelle les activités des frères Lawand à Montréal). Son parcours migratoire est alors ponctué de plusieurs retours dans son pays natal.Après la crise économique de 1929, il s’établit à Montréal et ouvre une confiserie qui devient prospère. La Montreal Candy Manufactured Goods Limited Company se trouvait au 1108 rue Clark, dans un bâtiment qui est en 2020 en plein cœur du Quartier chinois. La prospérité de son commerce lui permettra de financer son association et notamment sa revue.
Les débuts de l’engagement
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« Arabs are by nature a lazy people. They have dried up the land of Palestine and turned it into a desert. Therefore England should give this land to the Jews. They can make it flourish as it used to in Roman times. » [« Les Arabes sont par nature un peuple paresseux. Ils ont asséché la Palestine et l’ont transformée en désert. C’est pourquoi l’Angleterre devrait donner cette terre aux Juifs, qui peuvent la faire prospérer comme au temps des Romains. »] Massoud indique dans son autobiographie que c’est à la suite de la lecture de cette allégation du Montreal Daily Star en août 1943 qu’il a décidé de s’impliquer politiquement. Ce genre d’affirmation est coutume à une époque où des partisans du sionisme, pour justifier la colonisation de la Palestine, présentent cette dernière comme une terre sans peuple ou habitée par un peuple primitif et barbare.
Massoud écrit alors une lettre d’opinion pour le journal, qui sera publiée. Commence ainsi un combat dont il ne saisit pas au départ la portée, répondant simplement à ce qu’il considère comme une insulte et une injustice. Massoud se met ensuite à écrire régulièrement aux éditeurs des journaux montréalais pour exprimer son point de vue sur la cause arabe en Palestine. Peu à peu, il réalise que son travail est insuffisant, étant à la merci des choix éditoriaux.
Une association et un journal pour la cause
En 1945, investi de ce qu’il considère comme une mission et épaulé par quelques camarades, Muhammad Saïd Massoud crée la Canadian Arab Friendship League (CAFL) ainsi que le véhicule médiatique de celle-ci, la revue The Canadian Arab (1945-1947). Les bureaux de la CAFL se trouvent alors au 52, boulevard Dorchester (aujourd’hui René-Lévesque), à deux pas de sa confiserie. Cet organe de presse a deux objectifs affichés : d’un côté, redorer l’image des Arabes qui serait entachée par la « propagande sioniste » et, d’un autre côté, militer contre le projet de l’établissement d’un État juif en Palestine.Cette revue, militante donc, s’adressait aux Canadiens d’origine arabe, aux membres influents de la politique canadienne et aux alliés canadiens sensibles à la cause arabe. Massoud affirme dans son autobiographie que la revue montréalaise était imprimée à plus de 5000 exemplaires, traversant les frontières jusqu’aux États-Unis. Les collaborateurs sont nombreux et diversifiés : professeurs d’universités, rabbins, diplomates, journalistes, militants, etc. La cause arabe, avec au premier plan la Palestine, est le sujet de la revue. On y parle également du rôle du Canada au Moyen-Orient, et une attention particulière est accordée aux événements politiques qui y sont liés et se déroulent au pays.
Massoud place sa confiance en l’État canadien et « ses valeurs de démocratie, de liberté et de justice » et croit que celles-ci guideront le Canada dans sa politique dans la région. La revue The Canadian Arab est la première au Canada d’une part à mettre de l’avant une identité arabe commune (par opposition aux premiers immigrants du Machrek qui s’identifiaient comme Syriens ou Libanais) et d’autre part à la lier à une identité canadienne. De plus, elle est la première revue émanant de cette communauté à avoir un contenu et un objectif politique. Ces caractéristiques en font une revue d’importance pour l’histoire de l’immigration arabe au Canada.
Le début d’un lobby arabe au Canada?
À travers la revue, la CAFL tente de sensibiliser ses lecteurs aux intérêts arabes. Le groupe publie également des lettres d’opinion dans de nombreux journaux de Montréal et ailleurs au Canada. Massoud est régulièrement invité à intervenir dans les médias. Il rencontre de nombreux politiciens et diplomates, arabes et canadiens, lors d’entretiens privés ou de congrès. Sa stratégie vise ainsi à influencer la politique étrangère canadienne au Moyen-Orient. D’un autre côté, la CAFL est portée par pratiquement un seul homme, Massoud en l’occurrence. Les moyens humains et financiers de la CAFL sont très limités, surtout si on les compare à ceux des lobbys sionistes à la même époque. Ainsi, bien que les activités de la CAFL s’apparentent effectivement à du lobbying, il est difficile de la considérer comme un groupe d’intérêt ayant une influence auprès du gouvernement.Du milieu des années 1940 jusqu’au milieu des années 1970, Muhammad Saïd Massoud, en son nom ou au nom de la CAFL (moins active après la fondation de la Fédération canado-arabe en 1967), publie des centaines de lettres et d’articles dans divers journaux montréalais et canadiens en plus de correspondre avec des dirigeants canadiens et de s’exprimer publiquement lors de congrès ou dans les médias. Jusqu’à la fondation de l’association Québec-Palestine en 1972 par Rezeq Faraj et Michel Chartrand, il reste l’unique figure publique d’origine arabe qui défend les intérêts de sa communauté à Montréal. Peu à peu tombé dans l’oubli, il a pourtant inspiré des jeunes Montréalais d’origine arabe qui, durant les années 1970, seront prêts à reprendre le flambeau.
En Palestine, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les Britanniques s’avèrent incapables de gérer les conflits entre les colons juifs et la population autochtone sur le territoire de leur mandat, et demandent l’aide de l’ONU. Il s’agit d’un moment décisif dans l’histoire de la Palestine, où l’ONU envoie un comité, le United Nation Special Committee on Palestine (UNSCOP), chargé de trouver une solution au conflit. Les Arabes proposent diverses solutions telles qu’un État unitaire laïc, un État binational ou encore un État fédéral, tandis que le camp sioniste souhaite la partition de la Palestine en deux États, l’un juif, l’autre arabe.
Le Canada a joué un rôle prépondérant dans le sort de la Palestine. En effet, il faisait non seulement partie des 11 pays membres de l’UNSCOP, qui opta pour la partition, mais il fut également l’un des 9 pays chargés de présenter un plan de partage. Ainsi, au pays, les différentes organisations sionistes, comme l’Agence juive, le United Zionist Council of Canada, et des membres du Congrès juif canadien encouragèrent Ivan Rand, délégué du Canada pour l’UNSCOP, et Lester B. Pearson, alors sous-secrétaire aux affaires extérieures, à se montrer favorables à la partition de la Palestine.
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