Au XXe siècle, à Montréal comme partout en Amérique du Nord, les maisons de prostitution sont confinées dans un quartier. Cependant, ce « mal nécessaire » y florira bien plus longtemps qu’ailleurs.
Prostitution (Scandale)
Montréal, la tolérante
Affiche (Scandale - prostitution)
Le Red Light compte de très nombreuses maisons de prostitution : les réformateurs en recensent 300 dans les années 1920, et encore une centaine durant les années 1940. De petites rues comme de Bullion, Berger et Charlotte abritent un lupanar à presque chaque adresse, quand ce n’est pas plus d’un dans le même bâtiment! Certains établissements, luxueux et exclusifs, s’adressent à une clientèle riche et puissante, qu’on protège des regards indiscrets. À l’autre bout du spectre, les bordels les moins chers, concentrés dans la section sud du quartier (lower red light), accueillent une clientèle moins nantie. Ce ne sont souvent que de modestes appartements munis d’une ou deux chambres où travaillent quelques filles considérées comme étant moins jolies ou en fin de carrière. Certaines maisons, comme « le 312 » sur la rue Ontario Est, jouissent même d’une réputation internationale.
Tout le monde à Montréal connaît l’existence du Red Light, même si tous ne s’aventurent pas dans ce quartier où les prostituées sollicitent ouvertement hommes et garçons, et où s’active tout un monde interlope qui effraie et fascine tout à la fois les « honnêtes gens ». Plusieurs s’en indignent et déplorent la réputation scandaleuse qu’il donne à Montréal. Mais d’autres savent qu’il constitue un attrait touristique qui génère des retombées économiques au-delà du monde criminel, chez les hôteliers et les restaurateurs, les compagnies de transport et les propriétaires d’immeubles, entre autres. Cette manne incite à une certaine complaisance même de la part des autorités policières et politiques.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, le Red Light est en pleine effervescence et attire les militaires en permission qui dépensent aussi beaucoup d’argent dans l’économie licite en fréquentant les restaurants, les cinémas, les cabarets et les lounges qui émaillent la Sainte-Catherine et la Main (le boulevard Saint-Laurent), à deux pas des maisons de jeu et de prostitution situées dans les rues transversales.
La « fermeture » du Red Light montréalais
Carte d’affaires pour Tourist rooms
Pour les autorités militaires, qui sondent les hommes contaminés et patrouillent dans la ville, le Red Light, avec son importante concentration de bordels et de maisons de chambres, est le cœur du problème. En janvier 1944, le major général Ernest Renaud, commandant du district militaire de Montréal, convoque les autorités municipales et leur sert un ultimatum : si le Red Light n’est pas fermé, il menace d’interdire la ville à ses troupes, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour l’économie et la réputation de Montréal. Le message passe, car quelques semaines plus tard, au début de février, les bordels ferment comme par enchantement en l’espace de 48 heures, sans grande répression policière. Le Red Light ne connaîtra plus jamais la même intensité.
Même si quelques maisons rouvriront discrètement, les fermetures massives forcent la réorganisation du travail des prostituées, qui se déplacent vers de nouveaux espaces. On les retrouve alors surtout dans les bars et les clubs, les after-hours, les halls d’hôtel et, évidemment, sur le trottoir. Elles emmènent leurs clients dans des hôtels, des maisons de chambres ou des « tourist rooms » [« chambres pour touristes »] près des établissements où elles racolent. On leur donne accès à ces lieux ou à des bassins de clients en échange d’une part de leurs revenus. Tranquillement, le proxénétisme s’installe et des réseaux d’information pour trouver des filles se développent, concierges, portiers et chauffeurs de taxi jouant les entremetteurs.
Ce texte de Mathieu Lapointe est tiré du livre Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, sous la direction de Catherine Charlebois et Mathieu Lapointe, Montréal, Cardinal, 2016, p. 97-100.
Scandale - vitrine prostitution
Durant la Deuxième Guerre mondiale, l’armée canadienne distribue des condoms et des « Pro-Kits » (V-Packette) aux soldats dans l’espoir d’enrayer le « fléau vénérien ». Conçue pour prévenir la propagation de la syphilis et de la gonorrhée, la trousse prophylactique contient un tube de gelée de picrate d’argent (un agent antimicrobien), un tube d’onguent de calomel fait à base de mercure et un linge enduit de savon. Les soldats doivent toutefois agir rapidement après une relation sexuelle non protégée, car ce traitement n’offre pas de garantie…
CHARLEBOIS, Catherine, et Mathieu LAPOINTE (dir.). Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, 272 p.
COMMEND, Susanne. De la femme déchue à la femme infectieuse : perception sociale et répression de la prostitution montréalaise pendant la Seconde Guerre mondiale, Mémoire (M.A.), Université de Montréal, 1996, 169 p.
LACASSE, Danielle. La prostitution féminine à Montréal, 1945‑1970, Montréal, Boréal, 1994, 230 p.
LÉVESQUE, Andrée. « Le bordel : milieu de travail contrôlé », Labour/Le Travail, no 20, automne 1987, p. 13-31.
LÉVESQUE, Andrée. Résistance et transgression : études en histoire des femmes au Québec, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 1995, 157 p.
PROULX, Daniel. Le Red Light de Montréal, Montréal, VLB éditeur, 1997, 83 p.