À la fin du XIXe siècle, Jos Song Long et sa buanderie intriguent les Montréalais : il est le premier immigrant d’origine chinoise à établir un commerce dans la ville.
Chinois - buanderie
Le premier immigrant chinois à Montréal n’a pas été identifié. Le recensement du Bas-Canada de 1825 indique par exemple la présence d’un individu d’origine chinoise à Montréal. L’abbé Eugène Bérichon assure quant à lui dans un manuscrit que des Chinois résidaient sur l’île avant 1863; ceux-ci recevaient, selon les registres, des cours d’anglais à l’école Saint-Laurent, dans la rue Côté. Quoi qu’il en soit, il est certain que Jos Song Long ouvre la première buanderie chinoise de la ville, au 633, rue Craig (maintenant rue Saint-Antoine), en 1877. L’arrivée de M. Song ne passe pas inaperçue : on parle de lui dans plusieurs magazines, revues et journaux. Déjà, en 1878, son entreprise est bien connue des Montréalais. Des journalistes du True Witness and Catholic Chronicle lui demandent même de donner son avis sur des parades organisées par les protestants. Comme il n’est ni catholique, ni protestant, les rédacteurs semblent penser qu’il est le seul individu dans toute la ville à pouvoir donner une opinion objective sur la question! En 1884, c’est au tour des presbytériens de commenter la présence de M. Song. Le « respectable Chinois de cette ville », ne parlant que très peu l’anglais et le français, demeure énigmatique pour plusieurs. Certaines communautés religieuses commencent déjà à songer à apprendre la langue chinoise en vue de l’arrivée imminente de nouveaux immigrants.
Buandier : le métier des Chinois?
Buanderie - intérieur
Arrivés entre 1877 et 1911, les premiers Chinois qui s’établissent à Montréal choisissent pour la plupart d’ouvrir une buanderie. En devenant propriétaires, ils s’assurent d’être à l’abri du racisme présent dans d’autres milieux de travail. La plupart de ces immigrants arrivent sans argent de Colombie-Britannique, après avoir travaillé à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique. La buanderie à la main ne requiert que très peu de matériel et, si on est prêt à travailler de façon acharnée, l’activité peut devenir rentable.
Le succès de la Song Long Laundry s’explique d’abord par l’ouverture d’un nouveau créneau dans le marché montréalais. La buanderie chinoise attire en effet une clientèle alors peu sollicitée, issue des classes populaires : offrant des services à la main plus économiques, elle se distingue ainsi des buanderies à vapeur traditionnelles. Ces bas prix témoignent en contrepartie d’une dure réalité. Outre la rudesse du travail, les licences d’exploitation pour les buanderies émises par la ville s’élèvent à 50 $ dans les années 1890, une somme qui pouvait alors représenter jusqu’à 4 mois de travail. Certains employés doivent travailler 60 heures par semaine pour arriver à faire du profit.
Buanderie Chong Sing
Chinois - Recensement 1911
Le recensement canadien de 1911 offre un véritable aperçu de ce qu’était la communauté chinoise au début du XXe siècle. Par exemple, 11 Chinois sont identifiés comme résidants dans la buanderie de M. Wah sur l’avenue du Parc. Ce sont tous des hommes âgés de 22 à 44 ans, arrivés dans la métropole en 1900. Ils travaillent tous 52 semaines par année, 60 heures par semaine, dans la buanderie. Le recenseur a indiqué « Not Sure » ou « Doubtful » dans la colonne représentant leur mois de naissance. Par surcroît, selon le document, seul M. Wah sait lire et écrire, et tous ne parlent que le chinois. Ces données laissent l’impression d’une rencontre plutôt compliquée entre les recenseurs et les recensés, où l’échange d’informations représente un défi de taille!
CHAN, Kwok B. Smoke and Fire: the Chinese in Montreal, Hong Kong, The Chinese University Press, 1991, 330 p.
HELLY, Denise. « Les buandiers chinois de Montréal au tournant du siècle », Recherches sociographiques, vol. 25, n° 3, 1984, p. 343-365.
HELLY, Denise. Les Chinois à Montréal : 1877-1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987, 315 p.