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Place D’Youville : un lieu public raconte Montréal

09 décembre 2016

Modeste secteur dans la partie ouest du Vieux-Montréal, la place D’Youville cache bien ses secrets. Pourtant cet espace public dévoile des traces de toutes les époques! 

Caserne de pompiers et la place d'Youville à Montréal

Aquarelle montrant la place D'Youville en 1954, avec la caserne de pompiers
Bibliothèque et Archives nationales du Québec. P825,S2,SS2.
Il y a 4000 ans, les Autochtones foulent le sol de cette zone dont le centre est traversé par une rivière qui dessine, avec le fleuve, une pointe de terre. C’est dans ces basses terres, aux abords du cours d’eau baptisé Petite rivière ou rivière Saint-Pierre, que s’installent les premiers Montréalais, en 1642. Mais rapidement, cet endroit fréquemment inondé est délaissé pour l’autre rive de la rivière, le long de ce qui deviendra la rue Saint-Paul, et pour la petite colline que domine la rue Notre-Dame.

Le gouverneur Louis-Hector de Callière laissera son nom à la pointe de terre, car il y fait construire sa résidence au début des années 1690. Seul témoin du Régime français visible autour de la place, l’Hôpital général est son voisin. Pendant longtemps, les terrains environnant la place actuelle sont la propriété de cet hospice pour indigents, construit entre 1692 et 1694 et d’abord dirigé par les Frères Charon. L’Hôpital est pris en charge, à partir de 1747, par la congrégation des Sœurs de la Charité, ou Sœurs grises, communauté fondée par Marguerite d’Youville. Sur l’autre rive de la petite rivière Saint-Pierre se dressent les fortifications de la ville.

Nouvelle vocation

La proximité du port va cependant vouer ce secteur aux activités commerciales qui amènent un changement de configuration dans la première moitié du XIXe siècle. On démolit les fortifications et on canalise la rivière. Des entrepôts bordent dorénavant la place. On peut, par exemple, y voir les entrepôts Bouthillier débordant de potasse prête à partir pour l’Angleterre.

Marché Sainte-Anne vers 1839

Gravure représentant le marché Ste-Anne
Tiré de : Hochelaga Depicta or the History and Present State of the Island and City of Montreal, de Newton Bosworth, Toronto.
Pour accommoder les commerçants de produits frais, on érige, en 1833, le marché Sainte-Anne, semblable au marché Bonsecours construit quelques années plus tard. Situé au centre de la place, il dessert la population locale. Mais cet édifice de deux étages a si belle allure qu’on y installe, en 1844, le Parlement du Canada-Uni, où siègent les députés des colonies du Haut et du Bas-Canada (le sud de l’Ontario et du Québec actuels). Les débats politiques cessent de résonner dans ses murs en avril 1849, lorsque des manifestants anglophones en chassent les élus et y mettent le feu. Ils voulaient s’opposer à la loi indemnisant les personnes lésées lors des rébellions de 1837 et 1838, mais il en résulte que Montréal perd son statut de capitale. Les traces du parlement sont enfouies sous le terrain situé devant le Centre d’histoire de Montréal. Une fois reconstruit, le bâtiment revient à sa vocation originelle, celle d’être un marché public. On y ajoute par la suite un marché aux poissons.

Tournant dans l’histoire de la place

Place D'Youville 1901

Carte postale montrant la place D'Youville vers 1900, avant la construction de la caserne de pompiers.
Collection Stéphanie Mondor.
En 1871, le départ des Sœurs grises pour leur maison de l’actuel boulevard René-Lévesque, alors en pleine campagne, marque un point tournant dans l’histoire de la place D’Youville. L’ouverture de la rue Saint-Pierre vers le port entraîne la démolition de leur ancienne chapelle (il n’en reste que des murs et la trace des anciennes fenêtres). D’autres bâtiments subissent le même sort pour ouvrir la rue Normand. En 1901, la démolition du marché Sainte-Anne et du marché aux poissons dégage le cœur du quartier où sont venus s’installer commerces, édifices publics et sièges sociaux. C’est alors que la Ville de Montréal décide de donner au lieu le nom de « place D’Youville » en l’honneur d’une des plus anciennes résidantes de l’endroit. Ce nom est préféré à ceux de « Customs Square », « Producer Square » et « Parliament Square », qui auraient eux aussi rappelé à leur façon l’histoire du secteur.

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Édifices du Grand Tronc et du Canadian Express sur la place D'Youville en 1915
BAnQ : http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2454022

La partie ouest de la place subit une vraie cure de beauté au début du XXe siècle. Elle se pare d’édifices imposants, de sièges sociaux de compagnies telles que le Grand Tronc et le Canadian Express. Au cœur de cet espace public, la caserne de pompiers ne s’en laisse pas imposer. Un nouveau voisin s’installe : les Douanes ont quitté la pointe à Callière et emménagent dans un bâtiment aux colonnades remarquables. La place n’attire pas que les beaux et grands édifices; dès les années 1920, les automobilistes la fréquentent aussi. Elle semblera d’ailleurs abandonnée aux stationnements dans les années 1970 et 1980.

Aujourd’hui, les passants se réapproprient la place D’Youville. Du moins la partie est, dont le réaménagement paysager a été achevé en 1999. Évoquant à la fois la rivière canalisée et le lieu d’échanges et de rencontres des Montréalais, cet espace invite à un voyage dans le temps.

Une rivière fantôme

Illustration Jean-Paul Eid, 1658

Illustration montrant l'embouchure de la Petite rivière et du fleuve Saint-Laurent en 1658
Illustration : Jean-Paul Eid. Centre d'histoire de Montréal.

Si un fantôme hante la place D’Youville, c’est celui de la Petite rivière, ou rivière Saint-Pierre, qui a longtemps coulé à cet endroit. Elle prenait sa source dans la partie ouest de l’île pour se jeter dans le fleuve, créant une pointe de terre qui a vu naître Montréal et qu’on a appelé la pointe à Callière. Jugé insalubre, le cours d’eau est canalisé en 1832 dans un canal souterrain : le collecteur William. Il disparaît en 1990 lorsque le collecteur est comblé de sable, au moment de la construction de Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire.

Avant-après : La place D'Youville

Gravure montrant une scène de rue devant le marché Sainte-AnnePhoto récente de la place D’Youville à partir de la rue McGill

La place D'Youville à partir de la rue McGill

Avant

1839. St. Ann’s Market [le marché Sainte-Anne], par James Duncan. Tiré de : Hochelaga Depicta or the History and Present State of the Island and City of Montreal, de Newton Bosworth, Toronto, Congdon & Britnell, 1901 (1839).

Après

2014. Place D’Youville, par Denis-Carl Robidoux.