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Mme I. Steinberg, épicière

02 juin 2017

Des pyramides de fruits et de légumes frais, des « cannages » à profusion, de la farine, du sucre, des céréales, du thé, du café : on trouve de tout chez Mme I. Steinberg, épicière.

Ida Steinberg

L’une des rares images de l’intérieur du premier magasin Steinberg avec, derrière la caisse à gauche, Ida Steinberg.
Archives de la Bibliothèque publique juive. pr007500.
En 1911, une jeune femme juive, accompagnée de son mari et de ses quatre enfants, arrive au Canada en provenance de la Hongrie, après un long périple. La famille Steinberg, originellement Sternberg, fait alors comme des dizaines de milliers d’immigrants d’Europe de l’Est et s’installe à Montréal. Or les Steinberg émergeront du lot pour passer à l’histoire.

Fuir la misère

Au début du XXe siècle, Montréal connaît une importante vague d’immigration. Pour répondre au besoin en main-d’œuvre provoqué par le boum industriel, le Canada décide d’étendre son bassin d’immigrants de l’Europe occidentale vers l’Europe orientale. Les juifs ashkénazes répondent à l’appel en grand nombre. À Montréal, ils passent de quelques milliers au début du siècle, à 60 000 en 1931. Ils fuient majoritairement des conditions de vie arides et les persécutions dont ils sont victimes à travers l’Europe.

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Publicité de Steinberg de la succursale de la rue Bernard à Montréal dans le journal La Presse.
La Presse, lundi 18 décembre 1939.
Ida Steinberg, née Roth, est de ce nombre. Elle grandit en Hongrie où, à l’âge de 13 ans, elle perd ses parents. Ida travaille ensuite chez son oncle qui tient un commerce de couture. À 18 ans, elle est mariée à un homme qui consacre sa vie aux études hébraïques et religieuses. Elle est et sera le principal soutien financier de sa famille.

À Montréal, d’abord installée près du marché Bonsecours, la famille déménage dans la rue Saint-Laurent en 1917. Ida, maintenant mère monoparentale de six enfants, décide d’ouvrir un commerce d’alimentation. Après avoir rempli son local de marchandises pour une valeur totale de 200 $, Ida suspend une enseigne devant son commerce, Mme I. Steinberg, épicière. La Main fourmille alors de nouveaux arrivants. Les commerces, comme celui d’Ida, se multiplient.

Le petit extra

Sam Steinberg

Photo de Sam Steinberg.
Archives juives canadiennes. PC1-4-428.
Pour la survie de l’entreprise, toute la famille est mise à contribution. Le service est rapidement reconnu pour être hors pair. Le client appelle au magasin pour passer sa commande qui lui sera livrée à domicile. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnent les commerces d’alimentation au début du XXe siècle. Mais Ida ajoute toujours un petit extra, comme une pomme ou un biscuit. Elle accepte aussi de marchander avec les clients et permet les achats à crédit. Le quartier est alors identifié comme l’un des ghettos d’immigrants pauvres de Montréal. Ces pratiques lui font bonne presse parmi une clientèle qui peine à joindre les deux bouts.

Pendant plusieurs années, la vie demeure difficile. Les enfants, pour aider leur mère à boucler le budget, travaillent comme camelot ou « planteur » dans les salles de quilles environnantes. Dès l’adolescence, Sam se démarque par son intérêt pour le commerce de sa mère. À 15 ans, grâce au soutien financier d’Ida, il ouvre une nouvelle succursale Steinberg, dans la rue Bernard. Il fonde alors le second jalon d’un immense empire en construction.

Les Steinberg

Steinberg

Nathan Steinberg, Jack Steinberg, Sam Steinberg, Max Steinberg et Morris Steinberg réunis devant le siège social de l’entreprise familiale à Montréal.
Archives de la Bibliothèque publique juive. PL315328.
Toujours habité par les principes de gestion commerciale de sa mère, Sam se fait un point d’honneur de vendre des produits de bonne qualité à bas prix et d’offrir un excellent service à la clientèle. Si bien que, lors de la crise des années 1930, pendant que les concurrents disparaissent, les chiffres d’affaires augmentent pour les Steinberg. On instaure alors le libre-service, plus communément appelé le « cash & carry ». La nouvelle formule permet de réduire les prix de vente et attire les clients dans les épiceries Steinberg qui se multiplient. Chaque commerce est dirigé par un membre de la famille.

Pour épargner la santé de sa mère, Sam ferme le commerce de la rue Saint-Laurent en 1931. Dix ans plus tard, Ida décède. Malgré tout, la famille Steinberg, avec Sam en tête, poursuit sur sa lancée. Les épiceries Steinberg se propagent à travers le Québec, en plus des chaînes Wholesale Groceteria et Miracle Mart, nouvelles bannières de la famille. Dans les années 1950, le succès est tel que le nom Steinberg est introduit dans le langage courant. Partout au Québec, les gens vont faire « leur Steinberg ».

Des hauts et des bas

Durant la Seconde Guerre mondiale, en pleine période de rationnement, les Steinberg refusent de gonfler les prix comme le font certains concurrents. Tout le monde veut aller chez l’honnête Steinberg où les « cannes » de prunes sont vendues 10 cents plutôt que 19. Le mot se passe jusqu’à la ville d’Arvida, au Saguenay. Le président de l’Aluminum Company of Canada (Alcan), R. E. Powell, offre à Sam Steinberg de financer la construction d’une nouvelle succursale. À cet endroit, on est loin de connaître le succès espéré. Les citoyens de la région organisent le boycottage de cette « grosse société juive montréalaise venue s’emparer de l’argent des pauvres gens ». 

La fin de l’empire familial

En 1988, à la suite d’une importante saga familiale, les Steinberg se défont de l’entreprise au profit de la Caisse de dépôt et placement du Québec et de l’entreprise Socanav. Steinberg est alors la 21e plus grosse société canadienne en importance et compte 37 000 employés à travers le Canada. Quelques années plus tard, l’empire est démantelé. L’entreprise est partiellement rachetée par Provigo, Marché Richelieu et IGA. 

Références bibliographiques

ANCTIL, Pierre. « Les Juifs yiddishophones. Un siècle de vie yiddish à Montréal », dans BERTHIAUME, Guy, et al., Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 61-76.

ANCTIL, Pierre. Saint-Laurent. La Main de Montréal, Québec, Septentrion, 2002, p. 109.

HADEKEL, Peter, et Ann GIBBON. Steinberg. Le démantèlement d’un empire familial, Montréal, Libre Expression, 1990, 348 p.

LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, 2e édition, Montréal, Boréal, 2000, 627 p.