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Marie-Josèphe-Angélique

07 novembre 2016

Condamnée pour incendiat, Angélique était une esclave noire, arrivée à Montréal en 1729. Les documents du procès dévoilent certains pans de la vie de cette jeune femme, révoltée ou bouc émissaire.

« Interrogé de son Nom, surnom, aage, qualité et Demeure.

A Dit se nommer Marie Joseph, aagé de vingt neuf ans, née en portugal

Et qui a Eté vendu a un flaman qu’il L’a vendu a feu Sieur de francheville,
Il y a Environ neuf ans [cinq ans], ou Elle a toujours demeuré depuis. »


Marie-Josèphe-Angélique

Portrait de Marie-Josèphe-Angélique par l’artiste : Marie-Denise Douyon
Centre d’histoire de Montréal.
Cet extrait du premier interrogatoire d’Angélique nous donne quelques informations sur la jeune femme. Elle est une esclave noire d’origine portugaise, née à Madère près de Lisbonne. Elle a sans doute des origines angolaises. Elle débarque à Montréal en 1729, à l’âge de 24 ans. Elle a été achetée par François Poulin de Francheville et son épouse Thérèse de Couagne à Niclus Bleck (ou Nicolas Bleeker), un Flamand des colonies anglaises. Ses nouveaux propriétaires la font baptiser Marie-Josèphe le 28 juin 1730, mais la surnomment Angélique, peut-être pour leur rappeler la petite fille qu’ils ont perdue. Pendant cinq ans, elle effectue des tâches domestiques chez les Francheville, rue Saint-Paul.

Un avenir incertain

Claude Thibault

Illustration représentant Claude Thibault fumant la pipe
Une école montréalaise pour tous.

En avril 1734, la situation d’Angélique est sur le point de changer. Sa maîtresse, Thérèse de Couagne, devenue veuve depuis peu, le 28 novembre 1733, est dans une situation financière incertaine. Son mari était propriétaire des forges de Saint-Maurice et y avait investi d’importantes sommes. La veuve doit voir aux engagements financiers de son époux. Vendre Angélique devient une des solutions. Il ne reste qu’à attendre que la navigation sur le fleuve reprenne une fois toutes les glaces fondues.

Mais Angélique ne se retrouvera pas aux Antilles ou ailleurs chez un nouveau propriétaire. Elle est plutôt arrêtée le 11 avril 1734 pour crime d’incendiat (mise volontairement du feu à la propriété d’autrui), à la suite de l’incendie du soir du 10 avril, qui a détruit 45 maisons de la rue Saint-Paul et l’Hôtel-Dieu. Son amant, Claude Thibaut, est aussi recherché, mais il disparaît le matin du 11 avril, peu avant l’arrestation d’Angélique. Le procès d’Angélique dure six semaines, qu’elle passe dans la prison royale de la rue Notre-Dame. Au terme du procès, elle est déclarée coupable et elle est pendue, puis brûlée, sur la place publique le 21 juin 1734.

Angélique, esclave à Montréal

Grâce aux documents du procès, il est possible de découvrir quelques bribes de la vie d’Angélique à Montréal, où elle a vécu durant les cinq dernières années de sa vie, de 24 à 29 ans. Mais tout ce qui précède son arrivée à Montréal demeure inconnu. Il en ressort un portrait contrasté. Malgré son statut d’esclave, Angélique semble être une bonne vivante, amoureuse, querelleuse, parfois impertinente avec sa maîtresse, ce qui la rendra d’ailleurs suspecte à plusieurs lors du procès.

Marie-Josèphe-Angélique

Illustration représentant l'esclave noire Marie-Josèphe-Angélique
Une école montréalaise pour tous.

On lui connaît au moins deux relations. En 1731 et 1732, Angélique met au monde des enfants issus d’une relation avec un autre esclave, Jacques-César, qui appartient au marchand Ignace Gamelin. Tous meurent en bas âge. Eustache est baptisé le 11 janvier 1731 et il est inhumé un mois plus tard, le 12 février. En mai de l’année suivante, naissent des jumeaux : le garçon, Louis, meurt le lendemain et la petite fille, Marie-Françoise, cinq mois plus tard. À l’hiver et au printemps 1734, Angélique fréquente Claude Thibault, un faux-saunier condamné par la justice royale, dont la peine a été changée en un exil dans la colonie. Ensemble, ils essaient de s’enfuir dans les colonies anglaises au mois de février. Ils sont rattrapés par la milice. Thibault va en prison, d’où il sort deux jours avant l’incendie. Angélique, elle, est remise à sa maîtresse, sans être punie. Elle visite Thibault en prison quelques fois, peut-être cinq à six rencontres, dont une sept ou huit jours avant sa sortie pour lui apporter à manger.

Le jour de l’incendie

En avril 1734, Angélique est seule à effectuer tous les travaux chez la veuve Francheville, car elle l’a convaincue de renvoyer la domestique, Marie-Louise Poirier dite Lafleur. Les deux femmes ne s’entendaient pas. Mais Thérèse de Couagne a promis à son ancienne domestique de la reprendre à son service lorsqu’Angélique partirait. Il faut dire que, dans la maison, il n’y a que la veuve et sa nièce de 10 ans, Marguerite, la fille de son frère, qui est orpheline de mère et qu’elle a adoptée en 1733.

Marie-Louise Poirier dite Lafleur

Illustration de Marie-Louise Poirier dite Lafleur
Une école montréalaise pour tous.
La journée de l’incendie, comme tous les jours, Angélique a travaillé depuis l’aurore. Elle est montée avec la veuve nourrir les pigeons. Dans l’après-midi, elle a cueilli des feuilles de pissenlits dans la ville. De retour à la maison, elle a taquiné sa voisine, Marie-Manon, l’esclave autochtone de François Bérey des Essars, tout en gardant un œil sur les petites filles, Marguerite, Charlotte et Amable, qui jouaient dans la rue.

Elle dira au juge, lors de son procès, qu’elle n’a pas mis le feu à la maison de sa maîtresse, qu’elle ne l’a pas menacée de la faire brûler, qu’« Il faudrait qu’elle fut possedé du Diable Si Elle L’avait fait. […] et qu’au Contraire Ladite demoiselle veuve francheville Lui en faisant des Reproche, Comme Si s’etait Elle qui Eu mis Le feu a Sa maison, Elle Lui dit ‟Madame, quoique Je soit Mechante, Je ne Suis pas assez Malheureuse pour faire une action Comme Cella” ». Elle clamera son innocence dans tous les interrogatoires et dans toutes les confrontations jusqu’au moment de la torture, où elle dira : « Je veux mourir. C’est moi et point D’autre personne. »

Une histoire qui soulève des débats

L’histoire d’Angélique a traversé le temps grâce aux romanciers, aux artistes et, plus récemment, aux historiens, qui ont raconté son destin tragique. Son histoire soulève encore des débats. Héroïne pour les uns, bouc émissaire pour les autres. Son procès nous permet de découvrir Montréal à l’époque de la Nouvelle-France. Est-elle coupable ou innocente? Qui d’autre aurait pu provoquer l’incendie? Serait-ce un accident? A-t-elle commis cet acte pour protester contre son statut d’esclave? Les documents du procès laissent bien des questions ouvertes. Ce drame met aussi en lumière l’existence méconnue de l’esclavage en Nouvelle-France.

Cet article est une version remaniée d’un texte de l’exposition Qui a mis le feu à Montréal? 1734. Le procès d’Angélique, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 11 octobre 2006 au 30 décembre 2008.

Thèrese de Couagne, veuve Francheville

Thèrese de Couagne

Illustration représentant Thérèse de Couagne, la veuve de François Poulin de Francheville
Une école montréalaise pour tous.

Née à Montréal en 1697, Thérèse de Couagne vient d’une riche famille de marchands et de propriétaires terriens. Elle épouse un jeune négociant, François Poulin de Francheville, le 27 novembre 1718 devant le gouverneur de Ramezay et toute l’élite de Montréal. À la mort de son mari, en 1733, elle hérite de tous ses biens, entre autres de la maison familiale de la rue Saint-Paul, de la ferme de Saint-Michel, des terres et des parts dans la première exploitation de forges que dirigeait son mari, sur la rivière Saint-Maurice. Elle est d’ailleurs à Trois-Rivières lorsqu’Angélique et Claude Thibault essaient de s’enfuir en février 1734. En 1733, elle a adopté sa nièce Marguerite, orpheline de mère. À la suite de l’incendie, elle habite chez son beau-frère Alexis Lemoine Monière, dont la maison, épargnée par le feu, se trouve tout près, rue Saint-Paul, juste à l’ouest de la rue Saint-Sulpice. Thérèse de Couagne fait reconstruire sa maison. À la fin de ses jours, elle loue une chambre, en face, à l’Hôtel-Dieu. C’est là qu’elle meurt, 40 ans après l’incendie, le 25 février 1764. De son importante fortune, elle a légué son argenterie et sa lingerie aux religieuses hospitalières, « en considération des bons soins reçus ». Des nombreux esclaves qu’elle a possédés, Angélique aura été la seule d’origine africaine.

Claude Thibault

Il est originaire du hameau de Butten en Franche-Comté, aujourd’hui dans le Bas-Rhin, en France. C’est un faux-saunier, c’est-à-dire un trafiquant de sel, qui a été condamné par la justice royale. Le sel est un condiment très cher, taxé dans certaines provinces de France. Le roi a choisi de commuer la peine d’une douzaine de faux-sauniers, dont Claude Thibault, en un exil au Canada. Ils débarquent à Québec en septembre 1732. Nous savons que Thibaut a travaillé chez un marchand de fourrures de Montréal, Jean-Baptiste Neveu, et chez la veuve Francheville, en tant qu’engagé (les engagés sont des Français venu travailler sous contrat en Nouvelle-France). Il est emprisonné du 4 mars au 8 avril 1734, à la suite de sa tentative de fuite avec Angélique. Le lendemain de l’incendie, juste avant la diffusion de la requête pour les arrêter, Angélique et lui, il disparaît. Pendant tout le déroulement du procès, la justice le cherche, mais on ne retrouvera jamais sa trace.

La requête du procureur du roi du 11 avril 1734, pour l’arrestation d’Angélique et de Claude Thibault, était formulée comme suit :

« Ce Considere, Monsieur, il vous plaise Permettre audit Procureur du Roi d’en faire informer, et cependant de faire arrester et conduire à prisons Royales de cette ville ladite negresse, même ledit Thibault, attandu que suivant le bruit commun il S’est trouvé avec ladite negresse la nuit derniere, pour estre par vous Monsieur, procedé a leur Interrogatoire et lesdite Interrogatoires et informations a lui Communiqués requerir ce qu’il apartiendra. »

Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Procedure Criminel contre Marie Joseph Angélique negresse — Incendiere, 1734, TL4 S1, 4136, Juridiction royale de Montréal, Requête du procureur du roi pour l’arrestation d’Angélique et de Claude Thibault, 11 avril 1734, 1.

Comparutions d’Angélique lors du procès

L’étude des archives a permis de reconstituer la chronologie des étapes du procès de Marie-Josèphe-Angélique :

  • Lundi 12 avril : premier interrogatoire 
  • Lundi 3 mai : deuxième interrogatoire 
  • Jeudi 6 mai : troisième interrogatoire 
  • Mercredi 12 mai : confrontation entre Marie dite Manon, esclave, et Angélique 
  • Vendredi 14 mai : confrontation entre Marguerite César dite Lagardelette et Angélique
  • Vendredi 14 mai : quatrième interrogatoire 
  • Vendredi 14 mai : confrontation entre Françoise Geoffrion et Angélique
  • Samedi 15 mai : confrontation entre Marie-Louise Poirier dite Lafleur et Angélique
  • Lundi 17 mai : confrontation entre Louis Langlois dit Traversy et Angélique
  • Lundi 17 mai : confrontation entre Marie-Françoise Thomelet et Angélique
  • Jeudi 27 mai : confrontation entre Charlotte Trottier Desrivières et Angélique
  • Jeudi 27 mai : confrontation entre Étienne Volant Radisson et Angélique
  • Jeudi 27 mai : confrontation entre Jean-Joseph Boudard dit Laflamandière et Angélique
  • Jeudi 27 mai : confrontation entre Amable Lemoine Monière et Angélique
  • Jeudi 27 mai : premier interrogatoire sur la sellette 
  • Mercredi 2 juin : confrontation entre Margueritte de Couagne et Angélique
  • Vendredi 4 juin : confrontation entre Thérèse de Couagne et Angélique
  • Vendredi 4 juin : deuxième interrogatoire sur la sellette et confrontation avec Amable Lemoine Monière
  • Lundi 21 juin : interrogatoire sous la torture (question ordinaire et extraordinaire) 
  • Lundi 21 juin : exécution
Références bibliographiques

BEAUGRAND-CHAMPAGNE, Denyse. Le procès de Marie-Josèphe-Angélique, Montréal, Libre Expression, 2004, 296 p.

BEAUGRAND-CHAMPAGNE, Denyse et Léon ROBICHAUD. « La torture et la vérité – Angélique et l’incendie de Montréal », [En ligne], Les grands mystères de l’histoire canadienne, 2006. [http://www.canadianmysteries.ca/sites/angelique/contexte/references/pers....

RADIO-CANADA. « Marie-Josèphe-Angélique », [En ligne], De remarquables oubliés, 6 novembre 2007. [http://ici.radio-canada.ca/radio/profondeur/RemarquablesOublies/angeliqu....