« L’âme éternelle de la vieille Chine danse, la nuit, dans la ville chinoise de Montréal. » La Revue Moderne évoque ainsi, en 1937, un espace exotique toujours bien connu des Montréalais.
Quartier chinois

C’est ainsi que se crée le Chinatown, un lieu où ces hommes pouvaient s’unir face à la discrimination et constituer des réseaux sociaux utiles. À la fin du XIXe siècle, près de 500 Chinois habitent à Montréal. Concentrés autour des rues Saint-Laurent, Saint-Urbain et De La Gauchetière, ils choisissent ce secteur pour sa vitalité commerciale, pour ses loyers abordables, mais aussi pour son caractère multiculturel. À l’époque, juifs, Irlandais, francophones et anglophones s’y côtoient déjà. L’espace devient vite une véritable terre d’accueil pour les immigrants chinois : on parle pour la première fois du Chinatown de Montréal dans le quotidien La Presse en 1902. L’arrivée des Chinois contribue à faire de Montréal une mosaïque ethnique.
Une vie nocturne attractive
Quartier chinois

À l’époque, le Chinatown, lieu de divertissements, est aussi visité régulièrement par la police. Plusieurs bâtisses, vieilles et délabrées, abritent des maisons de jeu, et des réseaux criminels y sont souvent formés. Les journaux couvrent à plusieurs reprises les véritables guerres que se livrent les différentes sociétés et groupes du quartier. Ces organisations, appelées Tong (littéralement « salle » ou « hall » en mandarin), entretiennent entre elles de vives rivalités. En 1922, The Quebec Daily Telegraph rapporte une dispute territoriale entre les Wong et les Hum au sujet d’une vente d’opium. Les deux camps en vont jusqu’aux armes et plusieurs sont blessés par balle. En 1933, une autre Tong War, opposant des factions politiques, éclate dans les rues du Chinatown. Les violences sont telles que, en 1936, dans le journal La Patrie, le Quartier chinois est décrit comme un lieu où « la vendetta n’attend qu’une étincelle pour éclater ». Les troubles dureront jusque dans les années 1940.
Chinatown, un quartier symbolique
Quartier chinois

Par ailleurs, dans les années 1950-1960, la Ville entreprend de grands projets d’élargissement des rues et de revitalisation urbaine. Résultat, la taille du Chinatown est réduite de près d’un tiers de sa superficie. Les nouveaux projets viennent également définir les limites spatiales du Chinatown tel qu’on le connait aujourd’hui. Durant les années 1970, le quartier fait face à un renouvellement urbain dicté par les autorités municipales. Les grands projets résidentiels et urbains de la Ville (le Complexe Guy-Favreau, l’autoroute Ville-Marie, le Palais des congrès…) annoncent la démolition du parc de la Pagode, de trois églises chinoises, de plusieurs commerces ethniques et d’un secteur résidentiel entier. Malgré les protestations qui émergent au sein de la communauté, la plupart des projets voient le jour, et seule l’église catholique chinoise est sauvée.
Des installations urbaines chinoises
Quartier chinois

Le Chinatown de Montréal est le « plus chinois » de ses pairs au Canada. C’est-à-dire qu’il est habité presque uniquement par des immigrants en provenance de Chine. En 2011, le nombre d’immigrants venant de Chine est estimé à près de 30 000, représentant 4,6 % de la population montréalaise; ils sont cependant maintenant étalés sur l’espace montréalais, avec une forte présence dans les quartiers Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce et Saint-Laurent. Si le Quartier chinois a désormais une superficie et une population moindres, il conserve son importance symbolique pour la communauté chinoise de Montréal.
Collaborateur à la recherche et à la rédaction : Matthieu Caron.
Durant la première décennie du XXIe siècle, un nouveau quartier chinois apparait dans l’ouest de la ville tout près de l’Université Concordia (d’où son autre nom, Concordia Chinatown), entre les rues Bishop et Fort, et les rues René-Lévesque et Sherbrooke. Tout comme dans le premier Chinatown, on y trouve de la cuisine asiatique, notamment des spécialités japonaises, chinoises, coréennes et même d’Asie du Sud-Est.
De nombreuses entreprises chinoises s’y sont installées, particulièrement dans la rue Sainte-Catherine. La plupart des résidants du secteur sont des immigrants et des étudiants venus de Chine et d’Asie du Sud-Est. Par ailleurs, le consulat général de la République populaire de Chine est situé tout près, au 2100, rue Sainte-Catherine Ouest.
CHA, Jonathan. « La représentation symbolique dans le contexte de la mondialisation : L’exemple de la construction identitaire du quartier chinois de Montréal », Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada / Journal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada, 29, nos 3, 4, 2004, p. 3-18. En ligne : patrimoine.uqam.ca/upload/files/publications/CH.pdf
CHAN, Kwok B. Smoke and Fire: The Chinese in Montreal, Hong Kong, The Chinese University Press, 1991.
HELLY, Denise. Les Chinois à Montréal : 1877-1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987.
LACROIX, Fernand. « Rendez-vous chinois dans Montréal », La Revue moderne, Montréal, mars 1937.
LEI, David Chuenyan, et Timothy Ciu Man CHAN, « Le Quartier chinois de Montréal, des années 1890s à 2014 », [En ligne], Quartiers chinois du Canada Série, Burnaby, Simon Fraser University, 2015.
http://www.sfu.ca/chinese-canadian-history/PDFs/Montreal-FrChi-WebFinal.pdf
MORRISON, Val M. Beyond Physical Boundaries: The Symbolic Construction of Chinatown, Mémoire (M.A.), Montréal, Université Concordia, 1992.
Avant-après : Quartier chinois


Rue de la Gauchetière Est
1945. Parade. Chinatown Celebrates [la communauté chinoise célèbre le jour de la Victoire par un défilé dans les rues du quartier chinois], par Conrad Poirier. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. P48, S1, P12333.
2014. Rue de la Gauchetière dans le quartier chinois, par Denis-Carl Robidoux. Centre d’histoire de Montréal.