L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Expo 67. Denis Taillefer. Denis au pays des îles enchantées

15 novembre 2017

Après des semaines d’attente et de préparation, Denis Taillefer découvre enfin Expo 67! Il a 11 ans et le monde s’ouvre à lui. Le jeune Montréalais en profitera jusqu’au bout, et même un peu plus.

Dans le cadre de son exposition Explosion 67. Terre des jeunes, soulignant le 50e anniversaire d’Expo 67, le Centre d’histoire de Montréal a reçu des messages de personnes qui souhaitaient témoigner de leur expérience. C’est ce qu’a fait Denis Taillefer, qui a livré ce témoignage écrit.

Denis Taillefer

La famille Taillefer devant le pavillon de l’Angleterre
Collection personnelle Denis Taillefer
Je me remémore ces dimanches où, après la messe donnée dans le gymnase de l’école Pie-XII à Saint-Léonard, dans la paroisse Sainte-Angèle, mon père achetait le Dimanche-Matin vendu par un camelot. Arrivé chez moi, je m’empressais de l’ouvrir, car je voulais voir s’il y avait des articles et des photos sur le projet de l’Expo 67. À toutes les semaines, il y avait quelque chose. Des reportages sur les travaux de construction des îles ou des pavillons, des nouvelles sur ce qui allait et n’allait pas. Parfois, je lisais le contenu du cahier spécial préparatoire à l’Expo 67 du Prions en Église.

Le tout, en relation avec nos travaux scolaires! En classe, chacun écrivait sa lettre à la Compagnie de l’Expo 67 située Place Ville Marie, et elle nous répondait par l’envoi d’affiches et de dépliants. Nous en étions surexcités! Nous écoutions et lisions Le Petit Prince de Saint-Exupéry.

A 17 heures, le dimanche, Jean Drapeau animait une émission de télé d’une durée de 30 minutes sur les ondes de CFTM-TV, soit le canal 10, aujourd’hui TVA. Il recevait les concepteurs, les commissaires ou autres porte-paroles qui nous présentaient chacun leurs pavillons. Un pavillon par émission! J’adorais cela et j’avais encore plus hâte de les visiter. Ce qui fait qu’à chacune de mes visites, je me remémorais ce qui s’était dit lors de l’émission de Jean Drapeau!

L’EXPO EST OUVERTE! titrait le journal La Presse avec sa grande photo couleur sur toute la page. J’avais 11 ans. Les deux premiers jours, le temps était splendide et j’y étais avec mes parents. L’Expo 67 était bondée de 550 000 visiteurs à sa deuxième journée! Le monorail bleu roulait au ralenti, il y avait des spectacles devant tous les pavillons, les bateaux de la voie maritime sifflaient et les gens s’envoyaient la main.

Dans la tête d’un enfant émerveillé

Le soir, j’avais peine à dormir, tellement surexcité par ce que je venais de vivre. Dans ma tête d’enfant, je m’étais imaginé que les pavillons auraient la même dimension que ceux du Jardin des Merveilles au parc La Fontaine.

Nos visites en groupes scolaires, organisées la veille, se déroulaient de façon décousue! Nous étions pressés et frénétiques! Nous chantions : C’était le temps des fleurs! de la chanteuse grecque Vicky.

Lorsque nous décidions d’aller à l’Expo 67 en famille, ma mère faisait nos lunchs. C’était des sandwichs au pain blanc, jambon, fromage, emballés dans du papier d’aluminium avec un 7 Up, une pomme et des petits gâteaux Vachon. On mettait le tout dans un petit sac à bandoulière Expo 67. On le trouvait parfois bien lourd et difficile à fermer, car on y mettait souvenirs et dépliants.

Mes parents déterminaient, la veille, les pavillons à voir ou à revoir pour en terminer la visite. Je lisais et regardais tout! Les visites familiales de l’Expo 67 ne me comblaient pas toujours et je manifestais mon intérêt pour en voir plus et aller à mon rythme. Des discussions avec des hôtesses, des policiers et des agents de la sécurité de l’Expo avaient fini par convaincre mes parents de me laisser y aller seul avec un de mes amis.

Nous n’étions pas les seuls enfants à faire cela, et puis, s’il y avait un problème, on pouvait se rendre aux kiosques d’informations de l’Expo. Les hôtesses étaient là pour nous écouter et appeler nos parents, si nécessaire! Il y avait aussi beaucoup de policiers en civil, cela en rassurait plusieurs! Et puis, on pouvait aussi aller se réfugier à la crémerie du père de mon ami situé dans le Village québécois d’antan à La Ronde, en sautant dans l’Expo-Express!

Être un enfant dans les files d’attente

Denis Taillefer

La famille Taillefer avec le pavillon des États-Unis à l’arrière-plan
Collection personnelle Denis Taillefer
Être enfant à l’Expo 67 pouvait parfois donner certains avantages, car on nous laissait, à l’occasion, passer devant la file d’attente!

À la station Berri-de-Montigny [aujourd’hui Berri-UQAM], la file d’attente pour prendre la direction de l’Expo, faisait souvent toute la longueur du couloir courbe qui mène au quai direction Longueuil. On pouvait y attendre jusqu’à une heure et plus! Le métro était bourré d’Américains.

Aux deux sorties de la station Ile-Sainte-Hélène, j’étais impressionné par le bruit de cette mer de mâts de drapeaux qui claquaient au vent! Nous étions accueillis par le pavillon américain, éblouissant les jours ensoleillés, et le pavillon de l’Iran, dont les façades de tuiles racontaient l’histoire du Rossignol et de la Rose.

Parfois, on arrivait et l’Expo n’était pas encore ouverte! Cinq, quatre, trois, deux, un, les portes s’ouvraient à 9 heures. Parfois plus tôt, pour permettre aux gens d’arriver pile à l’ouverture des pavillons, pour ne pas perdre un précieux temps de visite.

Il régnait une atmosphère de précipitation, de fébrilité et d’excitation. Les gens ressentaient qu’ils vivaient un moment unique de l’histoire, moment qu’ils ne reverraient jamais! Des entreprises offraient des congés payés à leurs employés, à condition d’apporter, le lendemain, une preuve d’être allé à l’Expo 67.

J’ai visité tous les pavillons de l’Expo, à l’exception de celui de l’Homme et la Santé, à cause du film sur l’opération à cœur ouvert qui y était présenté.

Lors de notre visite d’Habitat 67, une équipe de télévision occupait une unité. C’était pour l’émission Notre Monde-Our World, le premier Mondovision réalisé. L’émission durait trois heures et était diffusée au Centre de télédiffusion de l’Expo. Les Beatles y ont enregistré, en direct, durant cette émission, All you need is love!

J’ai vu se concrétiser l’avenir anticipé, présenté durant Expo 67, en fait, j’attendais toutes les réalisations, et ce, dans tous les domaines.

Pour les derniers jours, les gens s’amusaient à entrer et sortir des tourniquets d’entrées pour avoir l’honneur d’être le 50 millionième visiteur tant souhaité par le maire Drapeau. Et aussi pour compenser les visiteurs perdus à cause de la grève des transports en commun qui a duré un mois! La grève terminée, plusieurs se sont mis à faire de la visite de rattrapage!

Expo 67 ferme ses portes

Le 31 octobre 1967, Montréal est en deuil. Expo 67 ferme ses portes. Le temps est gris cette journée-là. Nous voulions tous voir et entendre ces derniers moments. Il y a eu le feu d’artifice vers les 14 heures. Le dernier passage des chasseurs de l’armée de l’air canadienne. Puis des coups de canons. L’émotion était à son comble!

Plusieurs avaient des mouchoirs à la main. Aucun ne pouvait croire que cela était terminé! Jamais nous n’aurions cru vivre, quatre années auparavant, une pareille aventure. Pour plusieurs, vie personnelle et professionnelle était transformée! Les gens s’étaient vraiment approprié l’Expo 67, c’était comme leur deuxième chez eux!

Durant l’hiver 68, j’étais très heureux que l’on nous annonce le retour de l’Expo sous le nom de « Terre des Hommes ». Plusieurs étaient sceptiques.

L’été 1968, les pavillons les plus populaires étaient disparus (U.R.S.S., Yougoslavie, Tchécoslovaquie), et l’atmosphère n’était plus la même. Plusieurs pavillons ont rouvert à l’identique. D’autres, avec de nouveaux thèmes, qui connurent de beaux succès. La Place des Nations accueillit les concerts mémorables de grands noms locaux et internationaux durant plusieurs saisons.

Avec le temps, les pavillons sont devenus décrépits par manque d’entretien et se sont mis à disparaître graduellement. Pour moi, Expo 67 a dit ses derniers mots le 8 décembre 1980, avec l’assassinat du John Lennon de All you need is love.

L’héritage qu’il m’en reste vit toujours dans ma tête et mon cœur, il est de poursuivre par moi-même ce beau mouvement de curiosité et de découvertes vers notre Terre des Hommes!

Denis Taillefer, avril 2017