L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Peintres juifs de Montréal entre 1930 et 1948 : regards contemporains sur la ville

02 juin 2017

Venus d’Europe de l’Est, des artistes juifs peignent Montréal pendant l’entre-deux-guerres. Leur œuvre a annoncé la modernité et nous fait découvrir une page oubliée de l’histoire de la ville.

Alexander Bercovitch par Moe Reinblatt

Représentation d'Alexander Bercovitch avec manteau brun, foulard et chapeau noir.
Musée McCord. M992.77.1.
Alors que les peintres de l’époque font surtout dans le paysage, des peintres juifs montréalais puisent leurs sujets dans le quotidien urbain marqué par la Grande Dépression et l’entre-deux-guerres. Ces ashkénazes venus d’Europe de l’Est dans les années 1920 ont immigré au Québec pour fuir la montée de l’antisémitisme. Souvent installés au cœur même de la ville, près du boulevard Saint-Laurent, ils s’intéressent à l’univers et à l’homme contemporains dans leurs beautés et leurs misères.

Ces peintres ne forment pas une école ou un mouvement artistique à proprement parler. Ils ont tous leur style personnel et se rejoignent plutôt par le choix de leurs sujets, ainsi que par le regard qu’ils portent sur leur environnement et sur les grands événements de leur temps. Ils sont figuratifs, mais tournés vers la modernité : ils adoptent des procédés picturaux novateurs et sont influencés par les grands courants artistiques internationaux, comme l’expressionnisme allemand ou le muralisme mexicain.

Bateau dans le port de Jack Beder

Bateau accosté dans un port.
Musée McCord. M2010.74.4.
Une quinzaine d’artistes sont identifiés à ce groupe, dont les figures majeures de la scène artistique montréalaise des années 1930 : Jack Beder, Alexandre Bercovitch, Eric Goldberg et Louis Muhlstock. D’autres sont moins connus, à la même époque, comme Sam Borenstein, Herman Heimlich, Harry Mayerovitch, Bernard Mayman, Ernst Neumann et Fanny Wiselberg. Enfin, la jeune génération est représentée par des peintres comme Sylvia Ary, Rita Briansky, Ghitta Caiserman-Roth, Alfred Pinsky et Moe Reinblatt.

Peindre la ville dans ses temps durs

Hôpital Shriner de Moe Reinblatt

Hôpital Shriner caché derrière des herbes longues.
Musée McCord. M993.138.3.
Ces artistes de la communauté juive nous révèlent une page oubliée de l’histoire de Montréal au temps de la crise, telle que vue par des nouveaux immigrants qui se trouvent plongés dans la pauvreté et la montée du fascisme. Leurs sujets reflètent la dure réalité du moment : files de chômeurs, malades, prostituées, ouvriers, mendiants, taudis… Ils peignent aussi les paysages urbains montréalais : vues de chantiers, bancs publics, tramways, scènes de cabarets et de cafés, rues et ruelles, paysages croqués sur le mont Royal. Les portraits sont nombreux, souvent touchants. Cette riche production compte aussi des affiches pour des films de propagande, des murales, des caricatures pour les journaux, des scènes d’atelier.

Témoins des grands événements sociaux et politiques qui ont marqué leur époque, ces peintres ont réagi chacun à leur manière, avec leur esthétique propre. Par leurs œuvres, ils nous permettent aujourd’hui de replonger dans cette période sombre de la vie montréalaise.

Esther Trépanier et les peintres juifs de Montréal

C’est grâce à une Québécoise francophone sans origine juive que nous pouvons apprécier aujourd’hui à juste titre l’importante contribution des peintres juifs montréalais dans l’art québécois de l’entre-deux-guerres. Esther Trépanier, chercheure et professeure au département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, s’intéresse à la modernité dans l’art québécois et canadien dans la première moitié du XXe siècle. En se questionnant sur ce qui a ouvert la voie à Borduas et aux automatistes, à l’avant-garde reconnue de la modernité des années 1940 au Québec, elle découvre l’œuvre de plusieurs peintres de la communauté juive qui ont posé un regard personnel, humaniste et « moderne » sur la vie à Montréal durant trois décennies difficiles. Leur peinture se distingue clairement du courant traditionaliste, académique ou régionaliste de l’époque. Une sorte de chaînon manquant vers la modernité se révèle à travers des styles et des thèmes qui nous font découvrir le Montréal des années 1930 à 1948 sous un jour nouveau.

Esther Trépanier est à l’origine de l’exposition qui fit connaître ce groupe de peintres au grand public dans le cadre d’une importante exposition au Musée national des beaux-arts de Québec en 2008, puis au Musée McCord en 2010. En 1984, elle avait présenté une exposition de moindre envergure, sur le même sujet, au Centre Saidye-Bronfman (aujourd’hui Centre Segal des arts de la scène). Esther Trépanier est aussi l’auteure de l’ouvrage Peintres juifs de Montréal, témoins de leur époque 1930-1948, paru aux Éditions de l’Homme.

 

Références bibliographiques

GAUVREAU, Claude. « Peintres juifs montréalais (1930-1948) : redécouvrir des pionniers de l’art moderne », [En ligne], L’UQAM, vol. XXXIV, no 18 (18 février 2008).
http://www.uqam.ca/entrevues/2008/e2008-023.htm

TRÉPANIER, Esther. Peintres juifs de Montréal, témoins de leur époque 1930-1948, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2008, 287 p.