Comment, au début du XVIIIe siècle, de jeunes Anglo-Américaines, les sœurs French, se retrouvent-elles à Montréal, alors territoire ennemi?
Corne à poudre
Trois des filles French s’établissent en permanence au Canada. En 1704, Abigail, 6 ans, se retrouve chez les Autochtones de Kahnawake. Elle y restera toute sa vie et semble ne s’être jamais mariée. Martha French, qui n’a que 9 ans à son arrivée, demeure deux ans chez les Autochtones. Un marchand de Montréal, Antoine Pacaud, la rachète et la confie à la congrégation Notre-Dame. Prenant le nom de Marthe-Marguerite, elle est baptisée à Montréal (en 1707), puis naturalisée (en 1710). Elle épouse en 1711 Jacques Roy dit Lambert, avec qui elle réside à Montréal, puis à Saint-Laurent. De ce premier mariage et d’un second avec le tisserand Jean-Louis Ménard, 13 enfants naitront qui viendront grossir les rangs de la population de la Nouvelle-France. Enfin, Freedom French, âgée de 11 ans lorsqu’elle arrive en Nouvelle-France, séjourne aussi quelque temps chez les Premières Nations. Rachetée par le marchand Jean-Jacques Lebé, elle est baptisée Marie-Françoise French en 1706. Naturalisée Française en mai 1710, elle se marie en 1713 avec Jean Daveluy dit Larose. Le couple, qui demeure en 1741 à Montréal dans la rue Saint-Denis, aura 11 enfants. Aussi exceptionnelle qu’elle puisse sembler, l’histoire de la famille French rappelle le parcours de nombreux captifs américains qui séjournent, à court ou à long terme, en Nouvelle-France, pour eux un territoire ennemi.
Raids et captures
Plan Montréal 1704
Les captifs sont ramenés par les Premières Nations pour qui ils revêtent traditionnellement une importance symbolique à laquelle s’ajoute bientôt une valeur marchande. La guerre de capture était exercée par les Autochtones avant l’arrivée des Européens. Les prisonniers qui n’étaient pas condamnés devenaient esclaves ou étaient adoptés, selon la coutume, afin de prendre la place dans la communauté de proches décédés. Dans le contexte des guerres coloniales, une dimension commerciale s’ajoute à ces pratiques. Le nombre de captures augmente chez certains groupes. Dans les années 1690 et 1700, les autorités coloniales françaises incitent ainsi la capture de prisonniers en offrant de racheter ceux-ci « à bon prix ». Ces prisonniers, lorsque vendus ou échangés contre une rançon, peuvent donc aussi constituer pour les Premièrs Nations un butin de guerre monnayable.
Rançons, échanges, ventes et adoptions
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C’est ainsi que des « Anglois et Angloises », comme on les appelait souvent à l’époque, venant des colonies britanniques d’Amérique, se sont retrouvés avant la Conquête de 1760 à Montréal et en Nouvelle-France.
Plusieurs patronymes qu’on rencontre dans la population montréalaise actuelle rappellent possiblement l’héritage des Anglo-Américains établis durant le Régime français. Certains migrants auraient adopté des surnoms comme Langlais. L’historien Olivier Maurault parle de noms francisés comme Sullivan devenant Sylvain; Greenhill, Grenil; Madox, Madon; etc. Dans son livre De la Nouvelle-Angleterre à la Nouvelle-France, Marcel Fournier présente une impressionnante liste d’exemples de noms transformés comme : Richard remplaçant Ricker; Chartier, Carter; Austin, Hostin; Phaneuf, Farnsworth; etc.
DECHÊNE, Louise. Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Montréal, Boréal Express, 1988, p. 103.
DECHÊNE, Louise, et Hélène PARÉ. Le peuple, l’État et la guerre au Canada sous le Régime français, Montréal, Boréal, 2008.
FOURNIER, Marcel. De la Nouvelle-Angleterre à la Nouvelle-France. L’histoire des captifs anglo-américains au Canada entre 1675 et 1760, Montréal, Société généalogique canadienne-française, 1992.
FOURNIER, Marcel. « Ils n’étaient pas tous Français. Ces ancêtres venus d’ailleurs », [En ligne], Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 34, 1993, p. 32-36. http://id.erudit.org/iderudit/8407ac
MACHABÉE ST-GEORGES, Annabelle. Les anciens captifs de Deerfield au Canada : parcours de vie et intégration, Maîtrise (M.A.), Université de Montréal, 2010, 116 p. http://hdl.handle.net/1866/5180
VIAU, Roland. « Pour qui souffle le vent? Heur et malheur d’une entité coloniale, 1702-1760 », dans FOUGÈRES, Dany (dir.) et autres, Histoire de Montréal et sa région, Les Presses de l’Université Laval, 2012, p. 165-219.