En 1963, Montréal officialise en grande pompe le début de l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène. Il faut montrer aux journalistes et aux têtes dirigeantes du monde que tout est sous contrôle.
Expo 67 (VM94-EX1-016)
La Ville a donc décidé d’organiser un évènement à grand déploiement pour lancer officiellement le début de l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène (bien que ces travaux aient débuté un mois auparavant). Le spectacle ne s’adressait pas uniquement aux journalistes : parmi la liste des invités se tenaient les ambassadeurs, consuls et commissaires commerciaux de plus de 70 pays — ceux-là mêmes qui étaient les mieux placés pour influencer les dirigeants de leur pays afin qu’ils participent à l’Exposition. Il fallait absolument montrer au monde que tout était sous contrôle et que les travaux allaient bon train. Et l’histoire a montré que le maire réussit son pari.
Une dénomination officielle
Expo 67 (VM94-EX237-003)
Les travaux sur l’île Ronde étaient déjà très avancés : une partie de la digue qui devait définir le contour de la future île Sainte-Hélène agrandie était déjà visible, et les dragues qui devaient effectuer le remplissage de l’île commençaient à s’installer dans le fleuve. Bref, le cadre visuel se prêtait bien à la cérémonie. On aménagea rapidement une section du secteur sud de l’île Ronde agrandie avec des gradins sur le bord du fleuve. La Ville fit venir de Sorel deux immenses barges; sur l’une, on assembla les estrades pour les 400 invités (les diplomates, mais aussi plusieurs politiciens municipaux, provinciaux et fédéraux, ainsi que certains des directeurs de la Ville). Sur la deuxième se trouvaient un immense plan représentant le contour final des îles Sainte-Hélène et Notre-Dame, un certain nombre de chaises pour les invités d’honneur ainsi que les lettres EXPO 67 faites de bois et de plâtre, d’une dizaine de mètres de haut et peintes de couleurs vives.
Depuis quelques mois déjà, la dénomination « Expo 67 » était devenue le nom officiel de l’Exposition de Montréal. Il y eut une certaine résistance des journaux anglophones qui croyaient que cette appellation ne disait pas grand-chose, mais le maire Drapeau était bien décidé à ce qu’on arrête de parler de l’Expo dans les termes de foire ou World’s Fair, surtout du côté des anglophones. Non seulement il tenait à se distancier de la foire de New York, mais le concept même était très différent. D’ailleurs, lors du congrès annuel de l’Association des architectes du Québec, Mme Blanche van Ginkel, architecte reconnue, dit, au cours de sa présentation, que le mot foire était à proscrire : « Une foire est un événement commercial, pour faciliter l’échange des biens et services. Une exposition est un lieu pour faciliter l’échange des idées. » Jean Drapeau était totalement d’accord. À la suite de la cérémonie d’inauguration, les lettres sculptées EXPO 67 seront installées sur le côté nord-est de l’île Sainte-Hélène, face à la ville de Montréal, où elles demeureront un des symboles les plus reconnus de l’Expo.
Le site est béni
Expo 67 (VM94-EX237-007)
Quelques heures avant le début de la cérémonie, il y eut une rencontre officielle des directeurs de l’Expo au restaurant Hélène de Champlain, en présence des deux premiers ministres, Jean Lesage et Lester Pearson. Le but de la rencontre était de mettre tout le monde au courant de l’état des travaux, car, bien que le début de la construction du site ait été retardé, les autres travaux avaient continué d’avancer. Le symbole officiel de l’Expo, une création de l’artiste Julien Hébert, fut aussi adopté lors de cette rencontre.
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Avertissement au maire Drapeau
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Bref, M. Drapeau ne pourrait plus contrôler tout le processus comme il l’avait fait à ce jour. Mais il suffit de connaitre un tant soit peu le personnage pour savoir que rien ne changerait vraiment au fil des mois, si ce n’est l’arrivée au sein de la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 de plusieurs individus de haute compétence et, surtout, ayant la force de caractère nécessaire pour travailler avec le maire en évitant les confrontations inutiles.
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Un commissaire humilié
Expo 67 (VM94-EX237-067)
La cérémonie fut un succès : les médias couvrirent l’évènement de long en large, et les objectifs de la journée semblaient atteints. Il demeurait cependant un élément négatif, soulevé et mis de l’avant par le Globe and Mail de Toronto. Quelques jours avant la cérémonie, un journaliste du quotidien présenta une objection fondamentale à la présence du premier ministre Pearson à cette cérémonie. En bref, on revenait sur une des clauses de la Loi sur l’Exposition canadienne et universelle de 1967, qui mentionnait que l’Exposition devait se tenir « sur » l’île de Montréal, or le site était situé « dans » la ville, mais pas « sur » l’île de Montréal. On jugea alors que la présence de Lester Pearson était une violation des lois canadiennes par un premier ministre du Canada. « Inacceptable », insistait le Globe and Mail.
Le jour même de l’inauguration, le Globe and Mail en rajouta : l’éditorialiste, parlant au nom de tous les Canadiens, se sentait offensé que le premier ministre fasse fi des lois canadiennes et méprise l’institution démocratique qu’était le Parlement. Techniquement, il avait raison, la loi devait être modifiée, et ceci n’avait pas été fait puisque le Parlement ne siégeait pas l’été. Mais en réalité, ce n’était qu’une formalité sans réelle importance puisqu’il était évident qu’il n’y aurait pas d’opposition à ce changement (et effectivement il n’y en eut pas). De plus, le site appartenait toujours à la Ville de Montréal et ne serait remis à la Compagnie canadienne de l’Exposition qu’en juillet 1964.
Des critiques venues de Toronto
Expo 67 (VM94-EX237-066)
Ce sont les journaux montréalais qui décidèrent que ces attaques contre le premier ministre étaient inacceptables, en particulier le Montreal Star qui, dénonçant l’éditorial du Globe and Mail, écrivit : « We need pay no heed to Toronto’s expression of sour grapes, or rather, to the narrow legal spirit of the Globe & Mail. [Nous n’avons pas à prendre en compte la mentalité de mauvais perdant de Toronto ni l’analyse légale simpliste du Globe and Mail.] » Quelques jours plus tard, le Globe and Mail, piqué au vif, répliqua que Toronto n’avait jamais voulu l’Exposition et qu’elle n’avait pas besoin d’une exposition pour rayonner internationalement, car elle le faisait déjà grâce à son secteur financier et industriel.
Malgré tout, la cérémonie du lancement des travaux de l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène et de la construction de la toute nouvelle île Notre-Dame fut un énorme succès, et plusieurs médias internationaux soulignèrent l’évènement. Les dragues qui devaient aspirer le fond du fleuve pour remblayer le futur site de l’Exposition étaient au travail et tout semblait sous contrôle. Du moins, on le croyait, car après quelques mois de travail, des millions de tonnes de remblais nécessaires pour la construction du site manquaient… Les études sédimentaires du fond du fleuve étaient erronées, et une nouvelle crise s’amorça!