« Hello Ottawa! Hello Montreal! » Première diffusion radiophonique musicale en direct au Canada
Le soir du 20 mai 1920, la voix d’une chanteuse résonne en direct de Montréal jusqu’au Château Laurier à Ottawa. Une expérience presque surnaturelle pour les auditeurs de l’époque!
Radio - Édifice Marconi, années 1920
Deux jours complets de préparatifs sont nécessaires pour coordonner l’événement, tenu à l’occasion de la convention annuelle de la Société royale du Canada. J. Cann, ingénieur en chef, est chargé de la station à Montréal. Son homologue Arthur Runciman est responsable à Ottawa. Dans la capitale, on demande même aux tramways de s’arrêter pour s’assurer de bien entendre l’émission!
Un programme ambitieux
20 mai 1920
Le soir du 20 mai, une petite équipe se réunit aux bureaux de la Marconi Wireless à Montréal. En plus des ingénieurs et du directeur de la compagnie, A. H. Max, la soliste soprano d’origine irlandaise Dorothy Lutton est présente. On sait peu de choses sur sa vie : elle est née à Montréal en 1899, et vit avec ses parents dans le quartier Saint-Laurent en 1901. Son père, William Lutton, est un journaliste de renom qui a travaillé notamment pour The Gazette. Il aurait émigré d’Irlande vers 1885. On sait aussi qu’au moment de la diffusion de 1920, Dorothy Lutton jouit déjà d’une certaine réputation en tant qu’artiste : un article de journal de 1919 vante la qualité de sa voix et de son jeu sur scène. Le Sherbrooke Daily Record la décrit en 1925 comme l’une des solistes les plus reconnues de Montréal.
À Ottawa, le Château Laurier est bondé : éminents professeurs, intellectuels et personnalités publiques se joignent aux curieux présents pour ce moment historique. Ils sont réunis pour écouter une conférence du professeur britannique Arthur Stewart Eve de l’Université McGill, qui débute à 20 h 30. Le sujet est fort à propos : on y traite des inventions et innovations technologiques développées au cours de la Première Guerre mondiale. Arthur Stewart Eve, docteur en physique, a lui-même travaillé sur des systèmes permettant de détecter les sous-marins. Dans le domaine des communications sans fil, les contributions de la guerre sont nombreuses : la transmission vocale en direct a fait des progrès significatifs entre 1910 et 1920.
Une fois la conférence terminée, la diffusion du programme musical peut commencer. À 21 h 44, l’auditoire entend pour la première fois un son sortant de l’énorme haut-parleur installé au Château : « Hello Ottawa! Hello Montreal! » Ces mots de bienvenue sont rapidement suivis de la diffusion d’un succès de 1918, Dear old pal of mine, puis de morceaux musicaux pour la danse. L’ingénieur Cann présente ensuite mademoiselle Lutton. Elle entonne en direct des studios de Montréal une chanson du poète irlandais Thomas Moore, Believe Me, If All Those Endearing Young Charms et une autre intitulée Merrily Shall I Live. La dernière performance de la soirée a lieu à Ottawa, alors que E. Hawkins, officier de la marine, interprète la chanson écossaise Annie Laurie. La soirée se termine avec la diffusion d’autres morceaux musicaux pour la danse.
Montréal, berceau de la diffusion radio au Canada
Dorothy Lutton
Au Château Laurier, la réception est si bonne que l’auditoire peut entendre distinctement les paroles de chacune des chansons. On raconte même que le public de la Naval Radio Station d’Ottawa, où le concert est également diffusé, a spontanément commencé à danser à l’écoute de l’émission.
Le succès du concert du 20 mai représente une prouesse technologique majeure : c’est la première fois qu’on transmet de la musique en direct sur une aussi longue distance (177 kilomètres) au Canada. C’est aussi la première émission musicale diffusée à une heure prévue au pays. Certains historiens vont même jusqu’à qualifier l’événement de première mondiale!
La XWA de Marconi positionne donc Montréal comme pionnière des technologies des ondes. La diffusion de mai 1920 annonce ainsi le début de la longue aventure de la radio à Montréal, une technologie incontournable pour l’histoire de la ville au XXe siècle.
Merci à Alain Dufour de la Société québécoise de collectionneurs de radios anciens d’avoir contribué à la vérification du contenu de cet article.
« Une invention scientifique remarquable », La Presse, 21 mai 1920, p. 11.
« Heard Montreal Wireless’ Phone », Montreal Daily Star, 21 mai 1920, p. 4.
« À la Société Royale », Le Devoir, 21 mai 1920.
« Une audition musicale par téléphone », L’Action catholique, 21 mai 1920.
PAGÉ, Pierre. Histoire de la radio au Québec : information, éducation, culture, Montréal, Fides, 2007, 488 p.
VIPOND, Mary. Listening In: The First Decade of Canadian Broadcasting, 1922-1932, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1992, 379 p.