Le choix du logo d’Expo 67, qui appartient maintenant au patrimoine de Montréal et du Canada, a été une véritable saga, marquée par un bras de fer entre la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967 et le Parlement.
« Si l’on veut des feuilles d’érable pour l’Expo, qu’on y plante des arbres! »
— John Lovat Davies, président de l’Institut royal d’architecture du Canada
Logo - runes
Au début de 1963, la Compagnie mandate Guy Beaudry, responsable des communications, de préparer un projet de logo. Il s’adresse alors à la firme de communication Y. M. & B. Advertising Art Ltd. Quelques mois plus tard, près d’une vingtaine d’esquisses sont présentées au bureau de direction : les membres en retiennent deux pour analyse plus poussée, mais demeurent insatisfaits par le résultat final. On demande alors, au début du mois de juin 1963, à Claude Robillard, directeur de l’aménagement, de proposer à certains experts en art graphique de soumettre à leur tour un emblème pour l’Expo. Cinq de ceux-ci répondent à la demande de Robillard et présentent un projet de logo; il s’agit de Frank Lipari, Ernest Roch, Alan Fleming, Jacques Guillon et Julien Hébert.
Logo - Affiche officiel de l’Expo 67
Longue discussion sur deux logos
Logo officiel de l’Expo 67
Après une longue discussion portant sur les deux logos, le bureau adopte, par un vote majoritaire, la proposition de Julien Hébert. La Compagnie a maintenant son logo et peut commencer à le faire connaitre au monde entier… du moins c’est ce que l’on croit. Quelques mois plus tard, à Ottawa, les députés ont un « haut-le-cœur » généralisé en voyant, pour la première fois, l’emblème de l’exposition canadienne.
Logo officiel de l’Expo 67
La proposition de Julien Hébert, graphiste industriel de renom et professeur à l’Institut des arts appliqués, est conçue à partir d’une représentation ancestrale de l’homme : huit éléments basés sur un ancien cryptogramme représentant un homme debout, les bras tendus vers le haut, sont réunis en paires — ce qui signifie l’amitié et la solidarité universelle — et sont regroupés en un cercle qui symbolise la Terre. Simple, moderne et surtout facile à comprendre, le symbole de l’Expo est traité de tous les noms par plusieurs politiciens, démontrant de façon évidente leur manque total de sensibilité ou même d’éducation artistique…
Protéger la propriété du logo
Cet évènement résulte pourtant d’une simple formalité : le symbole de base du logo de Hébert, l’homme les bras tendus, ne peut pas être protégé par un simple copyright, car il s’agit d’un symbole universel qui se trouve dans le domaine public. Or, la Compagnie a la ferme intention de protéger la propriété du logo, pour éviter son utilisation inadéquate et pour garantir ses propres revenus découlant des multiples licences d’utilisations, commerciales ou non. Pour ce faire, les dirigeants profitent d’un amendement à la loi de la Compagnie, qui doit être présenté au Parlement canadien en décembre 1963 : ils incluent le logo, sous la forme d’un addenda, au texte de loi, rendant ainsi beaucoup plus forte la protection du copyright associé au logo. Ceci se révèle être une mauvaise idée…
Le 6 décembre 1963, Jean-Paul Deschatelets, ministre des Travaux publics et membre du cabinet responsable de l’Expo, dépose le projet de loi no C-120 (avec une reproduction du logo en annexe) visant à modifier les restrictions concernant le site de l’Expo, et apportant quelques autres changements, notamment l’ajout de deux directeurs dans le comité de direction de la Compagnie.
Logo bleu modifié
Les députés s’emportent
Proposition de logo (1963)
« Je suis surpris que le ministre accepte ce symbole, parce qu’il ressemble étrangement à l’insigne qu’affiche un certain mouvement qui milite contre les armements nucléaires. » — Louis-Joseph Pigeon
« Le ministre est-il sérieux lorsqu’il nous dit que cet étrange emblème sera reproduit partout pour l’Exposition universelle? Dieu merci! elle a lieu à Montréal et non à Toronto. » — Val Scott (député de Toronto)
« J’ignore tout ou à peu près tout de l’origine de ce symbole, mais je pense, comme le chef de l’opposition, qu’il est atroce. On dirait un symbole beatnik et je trouve que le symbole qui sera choisi pour l’exposition universelle devrait symboliser en même temps le pays. » — Gerald A. Regan
Proposition de logo (1963)
Une démarche fructueuse
De retour à Montréal, c’est la consternation – le drapeau officiel de l’Expo flotte déjà sur l’île Sainte-Hélène depuis plusieurs mois. Pierre Dupuy étant absent, c’est le sous-commissaire Shaw qui décide, pour l’instant, de ne pas affronter le Parlement et de reprendre les procédures pour le choix d’un nouveau logo. Après tout, la Compagnie canadienne de l’Exposition est une corporation de la Couronne et relève du gouverneur général du Canada (et donc du Parlement canadien). Sa démarche s’avère politiquement intéressante…
Proposition de logo (1963)
Au cours de leur première rencontre, les membres de ce sous-comité d’experts clarifient eux-mêmes leur mandat, en commençant par affirmer que le logo soumis par Hébert est en tout point conforme aux règles graphiques et acceptables pour représenter l’Expo 67. Ils acceptent cependant de revoir l’ensemble des propositions afin de déterminer si une d’entre elles serait plus appropriée.
Opposition au contrôle de l’art
Proposition de logo (1963)
Le premier ministre Pearson lui-même est plutôt mal à l’aise. Il affirme quelques jours plus tard qu’« il est toujours délicat pour une assemblée législative de se prononcer sur des sujets d’art ». Il ajoute : « Je ne serais pas surpris qu’un petit groupe d’artistes s’attaquant au dessin d’un emblème puisse arriver à des meilleurs résultats que la Chambre malgré tous ses talents. » Il explique aux Communes que le gouvernement songe à tenir un concours national tout en spécifiant que le logo original de Julien Hébert pourra être de nouveau soumis. Cet engagement du premier ministre est tout ce dont Pierre Dupuy a besoin.
Soutien des professionnels
Proposition de logo (1963)
En fin de compte, John Diefenbaker reçoit une magistrale fin de non-recevoir de la part de la Compagnie canadienne de l’Exposition, et surtout de la part du commissaire général Dupuy. Lors de la 23e réunion du bureau de direction de la Compagnie, le 12 mars 1964, celui-ci adopte de nouveau le logo de Julien Hébert et dédaigne l’opinion du Parlement. On justifie la décision par un argument économique : tenir un concours national prendra plusieurs mois; or, chaque semaine qui passe occasionne des pertes pour la Compagnie qui ne peut acquitter les droits d’utilisation de l’emblème de l’Expo. De plus, le service des communications a besoin de la signature graphique de l’Exposition pour ses brochures et autres documents. Les délais seraient désastreux pour la santé financière de la Société.
Un affront au Parlement
Proposition de logo (1963)
Voilà, le débat est clos. Mais Diefenbaker n’oubliera pas cet affront et essayera par la suite de nuire à la réputation des membres de la Compagnie, et plus particulièrement à celle de Pierre Dupuy, en les accusant de gaspiller l’argent des contribuables par leurs salaires exorbitants ainsi que par des allocations de dépenses excessives associées aux voyages « princiers » du commissaire et de son adjoint.
Clouant le bec aux opposants du logo, son auteur, Julien Hébert reçoit quelques semaines plus tard une reconnaissance officielle de la part d’un jury new-yorkais, en remportant une mention spéciale lors de l’exposition du Art Directors Club de Montréal. Ce logo tant contesté fait maintenant partie du patrimoine historique de Montréal et du Canada.