Oui, certains Montréalais ont réellement possédé des esclaves. On estime à 4000 le nombre de Noirs et d’Autochtones réduits en esclavage en Nouvelle-France puis dans la colonie britannique.
Pendant longtemps ignorée, puis méconnue, la présence d’esclaves en Nouvelle-France et, après la Conquête, dans la Province of Quebec trouve maintenant place dans les manuels scolaires. Le phénomène de l’esclavage n’a pas eu dans cette région la même ampleur que dans les Antilles et dans le sud des États-Unis, par exemple, où tout un système économique était basé sur la force de travail des esclaves dans les plantations de tabac, de coton ou de canne à sucre. Mais il y a bel et bien eu des esclaves à Montréal.
La Nouvelle-France comptait-elle beaucoup d’esclaves? Le nombre précis demeure difficile à établir. D’après l’historien Marcel Trudel, il serait question d’un peu plus de 4000 personnes réduites en esclavage en Nouvelle-France et dans la Province of Quebec jusqu’au moment de l’abolition de cette pratique. Bibliothèque et Archives nationales du Québec mentionne, quant à elle, la présence de 2700 esclaves enregistrés dans les registres paroissiaux. Une bonne partie de ce nombre, environ 1500 selon les données de Trudel, aurait vécu à Montréal.
L’esclavage chez les nations autochtones
Illustrations de Moeurs des sauvages amériquains
Des esclaves noirs et des esclaves autochtones
Le premier esclave noir de la Nouvelle-France, venu d’Afrique, est arrivé en 1629 avec les frères Kirke à Québec. Il est mort en 1654, sans qu’on sache s’il était encore en servitude, car il est écrit « domestique » sur son acte d’inhumation. Il était alors dans la même famille depuis 1632. Il ne semble pas y avoir d’autres cas d’esclavage durant cette même période dans la colonie française, mais il y en aura peu après.
Selon Marcel Trudel, ce ne serait qu’à partir de 1671 que des esclaves autochtones, appelés « panis », sont acquis. Ce nom vient de Pawnee, nom anglais d’une tribu de la région du Missouri, d’où viennent généralement les esclaves autochtones, qui comprennent aussi des Cris et des Assiniboines. Le mot panis est devenu un nom commun qui signifie « esclave autochtone». Généralement, ce sont des femmes issues de nations opposées aux Français qui sont revendues ou données comme prisonnières de guerre par des nations autochtones alliées (les Illinois, par exemple).
D’après plusieurs documents d’archives, l’élite de la petite colonie de la fin du XVIIe siècle réclamait la venue d’esclaves noirs, à l’instar de ce qui se passait dans les colonies anglaises, entre autres pour la culture des terres. On trouve par exemple une demande de M. Ruette d’Auteuil, procureur général au Conseil souverain de Québec, datant de 1689, à cet effet. Et dans le mémoire du roi à Denonville et à Champigny, du 1er mai 1689, on peut lire : « Sa Majesté est bien aise de leur dire qu’Elle consent que les habitants fassent venir des negres comme ils se proposent, mais il faut qu’ils leur fassent observer qu’il est a craindre que la difference du climat de ces negres et celuy du Canada ne les fasse mourir, afin qu’ils ne s’engagent que peu a peu dans l’execution de ce projet et qu’ils ne se constituent pas de grandes depenses qui pourroient leur devenir Inutiles, et faire un tort considerable a leurs affaires et par consequent a la Colonie. » Mais aucun navire négrier ne viendra. Les esclaves noirs arriveront surtout par les colonies anglaises.
Légalisation de l’esclavage
Ordonnance 1709
La plupart des esclaves vivent dans les villes. À Montréal, hommes, femmes et enfants sont achetés pour servir surtout comme domestiques dans les familles d’officiers militaires, de marchands, chez certains membres du clergé et dans les communautés religieuses. D’après les données de Trudel, sur les quelque 1500 esclaves qu’a comptés la ville, 500 sont des Noirs et 1000 sont des Premières Nations. De la fin du XVIIe au début du XIXe siècle, davantage d’esclaves auraient résidé dans la région de Montréal que dans celle de Québec (36 % des mentions dans les recensements contre 23 %). Toujours selon Trudel, les esclaves noirs seraient cependant légèrement plus nombreux dans la capitale de la colonie, ouverte sur le commerce atlantique, que dans la région montréalaise, tournée vers l’intérieur du continent avec le commerce des fourrures.
Marie-Josèphe-Angélique
D’un point de vue juridique, l’esclave est considéré comme un bien meuble. Il peut être vendu par son propriétaire à tout moment et à tout âge, ou échangé contre du bétail. Dans les inventaires après décès, l’esclave peut être mentionné entre une scie et une vache.
Des pratiques esclavagistes variées en Nouvelle-France
Les esclaves qui vivent au Canada (une région de la Nouvelle-France correspondant essentiellement à la vallée du Saint-Laurent) ont un niveau d’autonomie généralement plus grand que ceux qui ont le même statut en Louisiane. Quand cette région est colonisée par la France au début du XVIIIe siècle, une économie de plantations semblable à celle des Antilles est établie. Selon Cécile Vidal, environ 6000 personnes d’origines africaines auraient été vendues en Louisiane de 1719 et 1743, un chiffre beaucoup plus important qu’au Canada. Si les panis sont majoritaires dans la population servile canadienne, Vidal estime que leur nombre n’excède jamais 200 dans la vallée du Mississipi.
Une plus grande proximité semble exister entre les esclaves et leur maître dans la vallée du Saint-Laurent : le fait que de nombreuses personnes achetées pour être domestiques portent un prénom français et parfois le nom de famille de leur maître pourrait indiquer une intégration relative dans la famille propriétaire. Notons que cette situation complique la tâche des historiens puisque certaines sources d’époque ne mentionnent pas l’origine ethnique des personnes recensées. Difficile alors de distinguer sur papier une esclave noire portant un prénom et un nom français d’une domestique libre engagée en France, même si la réalité quotidienne et le statut des deux femmes devaient largement différer.
Les conditions de vie des esclaves apparaissent plus difficiles dans les plantations de la vallée du Mississipi, où ils habitent dans des cabanes souvent délabrées, séparées de la maison de leur propriétaire, que dans des villes comme Montréal, Québec ou Louisbourg, où les domestiques vivent généralement dans la maison où ils travaillent. Partout en Nouvelle-France, cependant, la violence du maître pour « discipliner » sa « propriété » est autorisée par la justice royale. La loi permet théoriquement aux esclaves de porter plainte contre un maître trop violent, mais Cécile Vidal n’a relevé aucun cas en Louisiane de procès opposant un maître abusif à son esclave. Par contre, plusieurs jugements ont été rendus pour compenser un maître dont l’esclave a été violenté par un autre Blanc : c’est une logique de droit de propriété et non pas de droits humains qui s’applique…
Du début du régime britannique à l’abolition
Article 47 de la Capitulation de Montréal, 1760
Le Haut-Canada avait adopté une loi en 1793 interdisant l’importation de nouveaux esclaves. Cette pratique était donc vouée à s’éteindre puisque les enfants d’esclaves devenaient libres à l’âge de 25 ans. Dans le Bas-Canada, un projet de loi visant à abolir l’esclavage était resté lettre morte cette même année, mais l’achat d’esclaves autochtones dans la région des Grands Lacs devint beaucoup plus difficile après l’Indépendance américaine et la politique d’importation du Haut-Canada. Selon Marcel Trudel, c’est en 1797 que le dernier esclave est vendu dans la province. À partir de 1799, il n’a recensé que 19 mentions d’esclaves (11 Noirs et 8 Premières Nations), dont une dernière esclave identifiée comme « panise » dans un registre d’enterrement de 1821. Y avait-il encore des esclaves lors de l’entrée en vigueur de la loi de 1834? Il n’est pas possible de le savoir avec certitude; peut-être y avait-il encore quelques vieux esclaves noirs. Mais plus aucun esclave autochtone n’est mentionné dans les documents notariés après 1821.
Ce texte est en partie tiré de l’exposition Qui a mis le feu à Montréal? 1734. Le procès d’Angélique, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 11 octobre 2006 au 30 décembre 2008.
Aux Archives nationales du Québec, parmi les ordonnances des intendants, se trouve l’ordonnance concernant l’esclavage au Canada, signée par Jacques Raudot le 13 avril 1709. En voici la transcription :
13 avril
Ordonnance rendüe au sujet des neigres et des sauvages nommez Panis.
Leu et publié à l’eglise de la basse ville issuë de la messe de sept heures et a la porte de l’eglise paroissialle de cette ville de quebec issuë de grande messe ce 21e avril 1709 par moy huissier audiancier En la prevosté de quebec y resident Ruë Saint-Pierre signé Cugnet
Ayant une Connoissance parfaite de l’avantage que cette Colonie Retireroit si on pouvoit seurement y mettre par des achapts que les habitans en feroient, des Sauvages qu’on nomme panis, dont la nation est tres Eloignée de ce pais, et qu’on ne peut avoir que par les sauvages qui les vont prendre chez Eux et les traffiquent le plus souvent avec les anglois de la Caroline, et qui en ont quelque fois vendu aux gens de ce pais, lesquels se trouvent souvent frustrez des sommes considerables qu’ils en donnent par une idée de liberté que leur inspirent ceux qui ne les ont pas achetez, ce qui fait qu’ils quittent quasi toujours leurs maitres, et ce soub pretexte qu’en france il n’y a point d’esclaves, ce qui ne se trouve pas toujours vray, par raport aux Colonies qui en dependent, puisque dans les Isles de ce continent tous les nègres que les habitans achettent sont toujours regardez comme tels et comme toutes les colonies doivent être regardées sur le même pied, et que les peuples de la nation Panis sont aussy necessaires aux habitans de ce pais pour la Culture des terres et autres ouvrages qu’on pouroit Entreprendre, comme les Negres le sont aux isles, et que mesme ces sortes d’engagements sont tres utille a cette Colonie Etant necessaire d’en assurer la propriété à ceux qui en ont acheté et qui en acheteront a l’avenir.
Nous, soub le bon plaisir de sa Majesté, ordonnons que tous les Panis et Negres qui ont Eté achetez et qui le seront dans la suite, appartiendront en plaine propriété a Ceux qui les ont achetez comme Etant leurs Esclaves, faisons deffenses auxdits Panis et Negres de quitter leurs maîtres Et à qui que ce soit de les debaucher, sous peine de 50 livres d’amande. Ordonnons que la presente ordonnance sera Lüe et publiée aux Endroits accoutumez en villes de Québec, trois Rivières et Montréal, et qu’elle sera Enregistrée aux greffes des prevotez d’icelles, à la diligence de nos subdeleguez, fait et Donné en notre hotel a Quebec le 13 avril 1709.
[Signé] Raudot
Source : Archives nationales du Québec, Centre de Québec, Ordonnances des intendants, E1, S1, P509, Raudot, Jacques, Ordonnance concernant l’esclavage au Canada, 13 avril 1709.
HAVARD, Gilles, et Cécile VIDAL. Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2003, 863 p.
TRUDEL, Marcel. Deux siècles d’esclavage au Québec, suivi du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français sur CD-ROM, Montréal, Hurtubise HMH, 2004, 405 p.
VIAU, Roland. Enfants du néant et mangeurs d’âmes. Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne, Montréal, Boréal, 1997, 318 p.