Par l’œuvre d’une vie, la fondatrice de l’association Le Chaînon a secouru des générations de Montréalaises dans le besoin. Sa mission se poursuit, selon les valeurs qu’elle a transmises.
« Quand on a rien à donner, on donne de soi. » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice, lors d’une conférence le 27 mars 1951
Pionnière de la charité sociale consacrée aux femmes, Yvonne Maisonneuve, surnommée « Mère Yvonne », est la fondatrice de l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, renommé Le Chaînon depuis 1978. Se vouant cœur et âme à son œuvre pendant plus de 30 ans (de 1932 à 1965), elle a fait émerger les valeurs et les assises d’un accueil unique et bienveillant qui perdure jusqu’à ce jour.
Sa jeunesse et la recherche de sa mission
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Son père, Camille Maisonneuve, forgeron et voiturier, est absent de l’aurore au crépuscule pour pourvoir aux besoins de sa famille. Rapidement, il cherche une nouvelle épouse et une maman pour ses filles. Une de ses belles-sœurs accepte de laisser l’habit religieux pour revêtir ce rôle. À la suite de cette union, la famille s’agrandit chaque année et Yvonne abandonne le pensionnat pour l’école paroissiale et pour être ainsi présente le soir pour aider sa belle-mère avec ses jeunes demi-frères. De plus, elle soigne, jusqu’à leur décès, sa grand-mère et sa sœur Juliette, les deux très malades, et, passant outre le jugement social et la désapprobation de son entourage, elle visite les familles pauvres de son quartier.
Ces responsabilités, loin de la décourager, tracent son chemin de vie. Dotée d’une grande sensibilité, très pieuse, elle désire servir. Habitée par la conviction que la Providence la guide, elle écoute les signes. Elle cumule diverses expériences qui cimenteront sa future grande œuvre : un travail de secrétariat et de comptabilité chez un oncle, l’implication dans des œuvres charitables et l’accompagnement à l’orgue de célébrations religieuses à l’église paroissiale.
Elle cherche sa voie d’abord du côté des communautés religieuses. À 19 ans, elle fait un essai au cloître des Servantes du Saint-Sacrement à Chicoutimi mais, faute d’une santé régulière et parce qu’elle est dotée d’un tempérament ardent, elle se voit refuser l’admission. Puis, pendant deux ans et demi, elle s’engage avec les Oblates franciscaines de Saint-Joseph. Sans y trouver sa réelle place, elle se forme toutefois à des compétences essentielles pour son futur, l’aide aux convalescents pauvres et, sous la supervision de mère Lavallée, elle apprend à quêter. À travers ces essais infructueux, elle décline également, au grand dam de ses parents, une proposition de mariage intéressante. Continuant d’être habitée par la misère des pauvres, elle y voit le signe que son existence et sa foi doivent être consacrées à des actions concrètes dans le monde.
Le projet du comité des dames patronnesses
« Au jour de l’An, papa m’appelle au téléphone; il m’avait retracée; sa voix était pleine de larmes : “Ma pauvre Yvonne, j’ai eu beaucoup de peine de ton départ, mais c’est le jour de l’An et, malgré tout, tu es encore ma fille; je ne veux pas que nous restions ainsi en désaccord... As-tu de quoi manger, au moins?” » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice
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Le célibat de Yvonne Maisonneuve et son profond dévouement envers son prochain font d’elle la personne clé pour concrétiser le projet. Yvonne hésite, car sa famille désapprouve fortement cette étrange vocation. Néanmoins, le matin du 18 décembre 1932, profitant de l’absence des siens, elle se déracine du nid familial pour répondre à l’appel de son être et s’installe au 366, avenue Fairmount Ouest, dans la paroisse Saint-Viateur de Montréal. Le logement est payé par le comité des dames afin d’aider la locataire qui accepte que le lieu soit transformé en foyer d’accueil pourvu que sa place soit assurée.
S’élever en plongeant dans la misère
« Petit à petit, les dames apportèrent des lits et autres meubles indispensables; elles me donnaient de l’argent pour pourvoir aux besoins de mes pauvres, mais pas assez, je dus donc commencer à quêter quoique nous n’ayons pas la permission de le faire! Ma grande peur était de rencontrer des gens qui me connaissaient... Vous comprendrez que l’orgueil gigotait encore pas mal fort en dedans. » — Yvonne Maisonneuve, fondatrice
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Ses journées sont longues et éprouvantes. Seule pour assumer toutes les tâches, revenue le soir à la maison avec les provisions, elle prépare les repas du lendemain en compagnie de ses pensionnaires. La reconnaissance de celles-ci et leur émerveillement devant les dons obtenus remplissent le cœur d’Yvonne et lui insufflent le courage de traverser les épreuves. Au milieu de cette pauvreté extrême, elle se sent utile et comprend mieux les problèmes de ses protégées. Pour mieux les servir, elle fait le vœu de vivre dans la réalité des démunis et tourne sans cesse ses actions vers les autres. À l’occasion, il lui arrive de se faire une place dans le hangar afin de laisser son lit à une jeune fille qui se présente en urgence à la maison déjà débordante.
Les embûches qui précisent son œuvre
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Une personnalité dévouée et visionnaire
« Yvonne parvenait à donner à chaque femme qui lui parlait l’impression qu’elle était importante, unique même, et qu’elle avait un contact privilégié avec elle. Elle était chaleureuse et enveloppante, comme les Italiens. Ce n’était pas quelqu’un qui parlait fort, mais elle avait un ton de voix décidé. Nous, les Associées, nous nous sentions toutes comme ses filles […] En un mot, elle nous impressionnait et on la vénérait. » — Lucie Morrissette, Associée
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À partir de 1938, sa joie de servir, sa vision de l’amour envers les pauvres et sa foi en la Providence attirent de nombreuses jeunes femmes qui, comme elle, s’engagent de tout leur cœur et consacrent leur vie à aider les personnes défavorisées. Ces femmes bénévoles, appelées les « Associées », vivent en communauté et prononcent des vœux sans être religieuses. Elles sont considérées comme des missionnaires urbaines et partagent avec leur « Mère Yvonne » le dur labeur de quête, de soins et d’accueil.
Retrait de la vie publique et préparation à l’ultime voyage
« Pour être capable d’aimer et de donner, il faut être aimé d’abord. Or, notre fondatrice nous aimait beaucoup et nous la sentions sincère, cela nous donnait des ailes. » — Rolande Bernier, Associée, 1971
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Après avoir tout donné de sa personne, Yvonne reçoit ce qu’elle a tant offert. Elle passe les dernières années de sa vie dans une maison où quelques Associées prennent soin d’elle. Cette femme remarquable, qui s’est tant dévouée pour Jésus et qui a vécu sous le précepte le plus élevé de l’amour, s’éteint le matin de Noël 1980. Son testament spirituel révèle qu’elle était habitée par un fort sentiment de gratitude d’avoir été guidée vers cette sublime vocation de « servante des pauvres » et d’avoir eu la grâce insigne de les aimer comme ses enfants bien-aimés! Elle précise que ses 33 années de dévouement et de labeur au service du prochain ont été les plus belles de sa vie!
Femme d’exception, d’une qualité d’abnégation inégalable, habitée d’une vision indéfectible et d’un dévouement rare, elle est perçue, par le groupe qui vécut avec elle jusqu’à la fin, comme une sainte. En témoigne leur déférence envers ses vestiges, ses mèches de cheveux, sa jaquette et divers objets ayant été touchés par leur « Mère ».
Murale Yvonne Maisonneuve
Yvonne Maisonneuve a voué sa vie entière à la cause des femmes marginalisées et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Alors que la société change, que les œuvres charitables et sociales s’adaptent et se modernisent, l’essence de son accueil unique et familial traverse le temps. Son œuvre demeure, à ce jour, incomparable et inestimable.
Afin d’honorer cette femme remarquable, en septembre 2017, le parc Hutchison-Avenue-des-Pins change de nom pour celui du parc Yvonne-Maisonneuve. Et, au mois d’octobre 2022, à l’occasion des festivités entourant le 90e anniversaire du Chaînon, une murale la représentant, réalisée par l’artiste Kevin Ledo, est créée en son honneur au 4382, rue Saint-Urbain près de l’avenue Mont-Royal. Ainsi Yvonne Maisonneuve continuera longtemps d’illuminer la ville et de veiller sur les femmes de Montréal.
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L’élaboration de cet article a bénéficié du soutien du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal de l’Université du Québec à Montréal, notamment grâce à l’expertise de l’historien Martin Petitclerc. Merci à Sylvie Bourbonnière, directrice générale de La Fondation Le Chaînon, pour sa relecture, de même qu’à Lucie Morrissette, Fernande Themens et Jeannine Gagné.
Archives
Les archives de l’Association d’entraide Le Chaînon.
Monographies
BAILLARGEON, Denyse. Brève histoire des femmes au Québec, Montréal, Boréal, 2012, 288 p.
BAILLARGEON, Denyse. « Pratiques et modèles sexuels féminins au XXe siècle jusqu’à l’avènement de la pilule », Une histoire des sexualités au Québec, Jean-Philippe Warren (dir.), Montréal, VLB éditeur, 2012, p. 17-31.
BIZIER, Hélène-Andrée. Une histoire des Québécoises en photos, Montréal, Fides, 2006, 319 p.
HALPERN, Sylvie. Le Chaînon : La maison de Montréal, Montréal, Stanké, 1998, 238 p.
LÉVESQUE, Andrée. Résistance et transgression, Montréal, Remue-Ménage, 1995, 157 p.