De multiples raisons peuvent mener à la décision d’immigrer. Certaines, comme la guerre et la peur, sont plus tragiques que d’autres.
Dans le cadre du projet Mémoires d’immigrantes, le Centre d’histoire de Montréal a rencontré des Montréalaises venues d’ailleurs qui ont généreusement raconté leur récit personnel. Une série d’articles « Témoignages » dresse les grandes lignes de parcours uniques qui s’enchâssent et contribuent à l’histoire de la ville.
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Jeanne Farida Laaribi, avec son mari et ses trois enfants, quitte l’Algérie en 1994 durant la « décennie noire » pour une raison simple, mais fondamentale : « Je n’ai pas quitté l’Algérie parce que j’en avais envie. Pas parce que j’étais pauvre. Pas parce que je n’avais pas d’argent. Pas parce que je n’aimais plus mon pays ni le peuple. Mais parce que j’avais peur. J’avais peur pour mes enfants, pour mon mari et pour moi-même. » Après bien des aléas, elle vit maintenant à Montréal où elle tient une garderie. En janvier 2019, le Centre d’histoire de Montréal a rencontré Jeanne Farida afin qu’elle nous fasse part de son récit.
Née en terre colonisée
Jeanne Farida Laaribi 1951
Partir pour la sécurité
Jeanne Farida en 1991
C’est après-coup que Jeanne Farida distingue certains événements qui annonçaient la montée des tensions dans son pays natal : « Pour les intégristes, nous n’étions pas d’assez bons musulmans, leur mission était de nous rééduquer. Par peur ou par conviction, certaines femmes se sont mises à se voiler. Notre quotidien était devenu un enfer rythmé par des tueries, des attentats. […] Dès que vous aviez un emploi, une belle voiture, vous deveniez une cible parce que vous étiez près de ceux qui avaient les rênes du pouvoir. C’était leur façon de voir les choses. Enfin, c’est ce que j’ai compris. » Cette guerre civile, qui s’étirera jusqu’aux années 2000, fera plus de 120 000 morts, des millions de victimes et des centaines de milliers d’expatriés. Parmi eux, la famille de Jeanne Farida quitte en 1994 l’Algérie vers les Émirats arabes, pour ensuite se rendre au Canada.
Une question de reconnaissance
Jeanne Farida
À l’arrivée de Jeanne Farida à Montréal en 2003, la ville compte déjà plus de 48 000 Montréalais d’origine maghrébine, dont près de 18 000 Algériens. Cette immigration prend toutefois racine dès la fin des années 1960 lorsque le Québec cherche à favoriser l’entrée de nouveaux arrivants francophones. Au début des années 2000, le Maghreb devient le troisième bassin de recrutement pour les immigrants au Québec.
Parmi ces Montréalais d’origine algérienne, Jeanne Farida retrouve ses amis installés depuis un moment. Bien qu’elle ait ce petit réseau, l’intégration est difficile, surtout sur le plan du travail. Comme de nombreux immigrants, elle et son mari se butent au problème de la reconnaissance des diplômes. Malgré leur expérience de plus de 20 ans, la loi exige qu’ils retournent aux études pour pratiquer à titre d’enseignants. Jeanne Farida exprime son sentiment : « Au début, vous prenez ça comme une humiliation, comme une insulte. On vous dit : “Vous n’êtes pas à la hauteur.” C’est dommage parce que vous venez avec plein de choses à offrir. » Elle n’est pas la seule à vivre cette frustration puisqu’en 2015 plus de 63 % des Montréalais détenant un diplôme universitaire étranger sont surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent.
Faire ce que l’on fait le mieux
Jeanne Farida en juillet 2018
En conclusion, lorsqu’on lui demande si le Québec a changé depuis son arrivée en 2003, elle s’inquiète du regard porté sur sa communauté : « De plus en plus d’Algériens arrivent ici, puisque nous sommes francophones, et de plus en plus d’Algériens subissent ce phénomène de “tu dois retourner aux études, tu ne peux pas travailler.” Ce sont des gens qui arrivent confiants, ils se disent : “On arrive au Canada, au Québec, on va être en sécurité, on va être libres.” Au début, il me semblait que c’était moins difficile, mais ça s’est durci. […] On était les bienvenus, je ne sais pas si on l’est toujours. »
ABIDI, Hasni (dir.). Algérie : comment sortir de la crise?, Paris, L’Harmattan, 2003, 255 p.
LECLERC, Jacques. « Les Berbères en Afrique du Nord », [En ligne], L’aménagement linguistique dans le monde.
http://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/berberes_Afrique.htm
LECLERC, Jacques. « Algérie, données historiques et conséquences linguistiques », [En ligne], L’aménagement linguistique dans le monde, dernière mise à jour mars 2019.
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LINTEAU, Paul-André. « Les grandes tendances de l’immigration au Québec (1945-2005) », Migrance, no 34, 2009.