Dans la plus ancienne manufacture du Quartier chinois de Montréal toujours active, la famille Lee produit des aliments chinois depuis plus de 75 ans, mais elle a débuté dans le secteur en 1897.
« Les fortune cookies et leur odeur de cuisson, ça fait partie de Wing, et Wing c’est un gros morceau du Quartier chinois. Si l’entreprise déménage, ça n’aura plus le même cachet que si elle reste dans le quartier. » ― Marc Leduc, ancien employé chez Wing
Nouilles Wing
En s’installant en 1965 dans l’immeuble de l’ancienne British and Canadian School, construite en 1826, puis en annexant en 1970 l’ancienne manufacture de cigares S. Davis & Sons, construite en 1884, la compagnie Nouilles Wing ltée ajoute une page chinoise à l’histoire du secteur de l’ancien faubourg Saint-Laurent où se sont succédé Canadiens français, Écossais, Irlandais et Juifs. Bien qu’ils aient récemment été vendus, les édifices Wing ont obtenu un classement patrimonial grâce à la mobilisation citoyenne. Par leur rôle de témoins, ils restent des lieux emblématiques du développement d’une entreprise et de l’enracinement d’une famille, pionnière de la communauté chinoise au cœur de Montréal.
C’est la construction du chemin de fer transcanadien qui pousse le paysan et teinturier Lee Yin Geow et ses trois frères, Lee Yin Mow, Lee Yin Hin et Lee Yin Suey, à quitter leur village de Daikong, situé dans la province du Guangdong au sud de la Chine. Ils font partie de cette armée de Cantonais qui fuient des conditions de vie qui se détériorent dans les campagnes et cherchent en Amérique du Nord des revenus pour aider leurs familles restées au pays.
Une fratrie chinoise à Saint-Jean-sur-Richelieu
Nouilles Wing ltée - fabrication
De la petite buanderie de région, la famille Lee passe au magasin d’importation de produits chinois, un des premiers de la métropole canadienne. De 1897 à 1900, la boutique Wing Lung Co. est établie rue Saint-Urbain au sud de l’allée Isaac. De 1900 à 1943, elle se situe dans la rue De La Gauchetière, toujours à l’angle de la rue Saint-Urbain. La boutique d’importation devient une manufacture de produits alimentaires en 1946. Elle a pignon sur rue pendant quelques années boulevard Dorchester (boulevard René-Lévesque aujourd’hui), puis à nouveau rue Saint-Urbain, et s’installe ensuite dans de vastes édifices anciens rue Côté.
Importateur et commerçant, Lee Hee Chong, le fils du pionnier et le grand-père des propriétaires actuels de l’entreprise Wing, a les moyens de faire venir sa femme de Chine. Fong Shee arrive ainsi à Montréal en 1915 avec son premier enfant, sa fille Jessie. Elle figure parmi les rares femmes, une douzaine tout au plus, ayant vécu dans l’enclave cantonaise de Montréal au début du XXe siècle. gée de quatre ans lors de son arrivée à Montréal, Jessie intègre l’école de quartier Dufferin, à l’emplacement actuel du complexe Guy-Favreau. Après un secondaire commercial, Jessie devient la première Chinoise à travailler au tout nouvel édifice de la compagnie Sun Life, au square Dominion (aujourd’hui square Dorchester).
Une troisième génération Lee à Montréal
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Jeune adulte issu de la troisième génération en Amérique du Nord, Arthur Lee est envoyé par sa famille à Hong Kong en 1935 pour s’imprégner de la culture chinoise et parfaire ses connaissances en langues chinoises. Ayant prévu d’y passer quatre ou cinq ans et travaillant pour le Canadian Pacific Steamship, Arthur voit ses projets s’effondrer quand les Japonais attaquent la Chine et particulièrement quand ils s’emparent de Hong Kong en décembre 1941. Seul Canadien à ne pas avoir été interné, il finit par s’échapper de la ville occupée et par rejoindre, à pied et en quatre jours, le village de ses ancêtres à 240 km de là. Il y travaille aux champs pour aider sa parenté jusqu’en 1946, après la défaite du Japon, alors que la guerre civile entre communistes et nationalistes reprend.
De retour à Montréal en 1946, il se joint à l’entreprise familiale avec son frère Samuel et lui fait prendre le virage vers la fabrication de produits alimentaires chinois, compte tenu des difficultés, en raison de la guerre civile, à importer des produits de Chine. La compagnie, devenue Wing Hing Lung, produit alors des nouilles chinoises fraîches, de la pâte à pâté impérial et de la pâte à wonton. La production de nouilles sèches Yet-Ca-Mein commence dans les années 1950. Dans les années 1960, la gamme de produits s’agrandit pour inclure des nouilles de riz, des biscuits chinois (fortune cookies), des biscuits à saveur d’amande, des sauces et des produits en portion individuelle.
Des biscuits chinois canadiens
On ne sait qui, d’entre Arthur Lee et son grand ami Peter Wong, a l’idée de produire des biscuits chinois chez Wing. Ce biscuit qui n’a rien de chinois aurait été inventé à San Francisco, aux États-Unis, et c’est chez Wing qu’il est introduit pour la première fois au Canada. Autres premières de la compagnie, le biscuit est certifié kasher et les messages qui s’y cachent deviennent bilingues français-anglais. C’est Peter qui obtient la première machine à biscuits; elle est actuellement conservée au Musée canadien de l’histoire à Ottawa. Avant la mécanisation du travail dans les années 1970, des employées gantées glissent les papiers dans la pâte, malléable tant qu’elle est encore chaude. À l’époque, Peter, ancien propriétaire du restaurant New Lotus de la rue De La Gauchetière, dirige Wing; il est considéré comme un « oncle » par les fils d’Arthur. Arthur et lui se réunissent régulièrement pour inventer de nouveaux messages à insérer dans leurs biscuits sucrés et croquants, qu’on fabrique encore par millions chaque année chez Wing.
Arthur Lee devient une importante personnalité de la communauté chinoise montréalaise pour sa vision moderne du commerce, ses œuvres philanthropiques et son rôle rassembleur dans le quartier. Avec huit autres propriétaires de restaurants, importateurs et manufacturiers du Quartier chinois, il fonde la Montreal Chinese Association of Commerce inc. en 1963. Son fils Gilbert raconte qu’il accordait beaucoup d’attention aux affaires des autres commerces du Quartier chinois. Lorsqu’il manquait quelque chose à un restaurateur, il s’assurait lui-même que ce client l’obtiendrait le jour même. Quand de nouveaux restaurants ouvraient, il accueillait les propriétaires avec des bouquets de fleurs. Pour le Nouvel An chinois ou même le Nouvel An canadien, il leur offrait des bouteilles de whisky et distribuait des calendriers partout. Sens du marketing sans doute, mais surtout solidarité avec ses pairs et engagement pour le développement du quartier. L’aide à la communauté faisait aussi partie des traditions de l’entreprise, et les fils d’Arthur poursuivent encore ses activités philanthropiques.
Gilbert Lee, un des propriétaires actuels de Wing et fils aîné d’Arthur, se souvient d’avoir commencé à donner un coup de main à l’emballage des nouilles dès l’âge de sept ans en 1959 pour aider son père, sa tante et ses oncles dans les salles de production. Parlant de famille, ce mot revient souvent quand on interroge les employés de Wing : ils témoignent de l’atmosphère bienveillante qui règne dans l’entreprise et de l’absence de discrimination au sein de l’équipe, dont les membres ont des origines nationales très variées. Même si le travail peut parfois être exigeant physiquement, les employés, pour la plupart engagés depuis plusieurs années, maîtrisent plusieurs tâches de production et côtoient régulièrement les propriétaires près des machines, qui ont aujourd’hui remplacé les opérations manuelles.
En multipliant les produits alimentaires fabriqués sur place et les produits d’importation et en donnant de l’envergure à son entreprise avec le début de la mécanisation, Arthur Lee s’engage, au milieu des années 1960, dans l’acquisition d’édifices exceptionnels qui font partie de l’histoire ancienne du vieux faubourg Saint-Laurent et rappellent ses occupations canadienne-française, écossaise, irlandaise et juive. C’est ainsi que l’entreprise Wing déménage en 1965-1966 dans l’immeuble de l’ancienne British and Canadian School construite en 1826. Puis, la famille Lee y annexe en 1970 le bâtiment d’à côté, l’ancienne manufacture de cigares S. Davis & Sons bâtie en 1884.
La British and Canadian School
British and Canadian School
La BCS est incorporée dans la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal en 1866. L’édifice est agrandi dans les années 1870, par l’ajout d’un troisième étage avec un toit mansardé. En 1894, l’école ferme ses portes et l’immeuble est transformé en magasin-entrepôt par l’importateur de café et d’épices S. H. & A. S. Ewing jusqu’en 1907. Plusieurs compagnies manufacturières se partagent l’immeuble au cours du XXe siècle : matériel électrique, meubles et machines d’imprimerie s’y accumulent à partir des années 1950. La compagnie Flashing Realty Corp., propriété de la famille Lee, achète l’édifice en 1963. Elle y installe son entreprise alimentaire Wing quelques années plus tard.
Après avoir occupé une grange en bois rue De La Gauchetière, la congrégation de l’Église libre d’Écosse érige une église plus importante et permanente rue Côté en 1847. Le bâtiment d’origine était un édifice rectangulaire en pierre de 85 pieds de longueur sur 65 de largeur, comprenant trois portes en façade, un massif porche central en saillie et en pierre, et quatre hautes croisées de chaque côté. Le toit à deux versants supportait un haut clocher à deux ouvertures latérales. Alors que les plus riches membres de la congrégation migrent à l’ouest vers les quartiers du pied de la montagne et à mesure que les industries s’installent dans le quartier, la Free Presbyterian Church est convertie en 1884 en manufacture de cigares par Samuel Davis, un immigrant juif londonien.
Transformation d’une église en manufacture de tabac
Simon Davis & Sons
Dans le cadre de son projet de célébration du centenaire de la fondation du Canada en 1967, Arthur Lee décide d’« enchinoiser » l’édifice de la BCS qu’il vient d’acheter pour contribuer au renforcement de l’image asiatique de l’ancien faubourg. En peignant les murs extérieurs en blanc et les chaînages d’angle en rouge et en apposant de nouveaux encadrements de fenêtre d’aspect oriental, il transforme la sobre architecture de pierre grise de l’ancienne école, vieille de 150 ans, en un rutilant édifice chinois. Une pagode miniature, deuxième initiative d’Arthur Lee pour célébrer le centenaire, devient pendant quelques années un point central du Quartier chinois et de son identité. Construit à Hong Kong, ce cadeau de Wing aux habitants du Quartier chinois et aux Montréalais est installé dans un petit parc aménagé par la Ville à l’angle des rues Saint-Urbain et De La Gauchetière. Une plaque dédie la pagode à la « cause de la paix et de l’harmonie entre tous les Canadiens », en français, en anglais et en chinois. Vingt ans plus tard, sa démolition dans le cadre de l’élargissement de la rue Saint-Urbain est le geste qui fait éclater la colère d’une communauté profondément affectée par la destruction récente d’une grande partie du quartier au profit de projets immobiliers brutalement imposés.
Juste avant qu’Arthur Lee ne décède en 2002, il demande à son fils aîné : « Tout va bien à l’atelier? Tout va bien au magasin? » Gilbert Lee répond que ça va. Ce sont ses derniers mots à son père et il affirme : « C’est donc ça mon inspiration. J’aime poursuivre ce que mon père a construit. C’est pour moi une grande satisfaction. »
Ce n’est pas un hasard si Wing est la dernière entreprise de production alimentaire dans le Quartier chinois. Gilbert Lee constate que, depuis de nombreuses années, il est devenu difficile d’y exploiter une manufacture. Avec la construction du Palais des congrès, la réduction de largeur de la rue Côté et les aménagements d’embellissement, il est rendu impossible de recevoir les camions-remorques. L’ancienneté des bâtiments rend de plus en plus difficile l’adaptation aux règlementations. Il se dit alors que c’est « soit Chinatown, soit l’avenir de Wing. Wing ne peut plus être dans Chinatown ». Il doit alors regarder la réalité en face : « Je suis marié à Wing, pas à Chinatown. Ce qui me rendrait heureux, c’est de trouver quelqu’un qui puisse continuer avec le nom de Wing. »
Un patrimoine au sort incertain
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Ces ventes et l’éventualité de la disparition des précieux édifices patrimoniaux qui témoignent de l’histoire de l’ancien faubourg Saint-Laurent devenu le Quartier chinois ont fortement inquiété autant des résidants du quartier que d’autres Montréalais soucieux de la préservation du site. On trouve en effet dans ce secteur sept édifices, parmi lesquels six sont d’un intérêt patrimonial exceptionnel et dont la construction remonte à la première moitié du XIXe siècle. Ceux-ci rappellent un peuplement canadien-français, écossais, irlandais, juif et chinois, de milieux autant bourgeois que populaire, et ont eu des fonctions résidentielle, éducative, religieuse, hospitalière, commerciale et industrielle. Un vrai palimpseste de l’histoire de Montréal.
Cette inquiétude a suscité une exceptionnelle mobilisation citoyenne qui, moins d’un an plus tard, au début de 2022, a conduit le ministère de la Culture du Québec et la Ville de Montréal à annoncer des mesures de protection légales et règlementaires ainsi qu’une reconnaissance symbolique du secteur menacé et de l’ensemble du Quartier chinois. Les mesures provinciales prévoient en effet le classement comme « biens patrimoniaux » des deux édifices de l’entreprise Wing (l’édifice de l’ancienne British and Canadian School et l’édifice de l’ancienne manufacture de tabac S. Davis & Sons), ainsi que le classement comme « site patrimonial » du Noyau-institutionnel-du-Quartier-chinois de Montréal situé dans le quadrilatère formé des rues Jeanne-Mance, De La Gauchetière, Saint-Urbain et Viger Ouest où se trouvent les deux édifices. La Ville de Montréal, quant à elle, a choisi l’adoption d’un règlement visant à modifier le Plan d’urbanisme de la Ville de Montréal pour réviser la carte du patrimoine bâti et revoir à la baisse les hauteurs et les densités maximales permises pour le secteur du Quartier chinois situé dans l’arrondissement de Ville-Marie, qui lui-même a resserré ses règlements. De plus, la Ville s’engage à reconnaître le secteur du Quartier chinois et de l’ancien faubourg Saint-Laurent comme premier « lieu historique identifié » à Montréal.
永兴隆面厂是蒙特利尔唐人街现存最古老的工厂。中国食品在此生产已经超过75年。该公司由李氏家族创立,现时仍是业主。其历史可追述到 1897 年,当时 Hee Chong Lee 到了加拿大,在此开设商店售卖中国进口商品。早在1946年,创始人的儿子开始扩大商店的食品供应范围,包括60年代推出的幸运曲奇,尤其著名。藉着 Hee Chong Lee 的儿子 Arthur Lee 的现代商业眼光、慈善事业和在该区的凝聚力,他成为了唐人街的重要人物。
1965年,永兴隆面厂迁入 1826 年成立的英加学校旧址,并于 1970 年兼并了于 1884 年开业的前 S. Davis & Sons 雪茄厂。华人社区的存在因此成为前 Saint-Laurent 邻里的历史一部分,从前法裔加拿大人、犹太人和苏格兰人都居住在该社区。最近该建筑物被出售,但由于公民动员的努力,永兴隆大楼已被列为文化遗产建筑。它仍然是蒙特利尔的标志性建筑物,见证了李氏家族的扎根和成功创业的历史,李氏家族是华人社区的先驱,于蒙特利尔市中心起家。
Gilbert Lee:“ 我的父亲 Arthur Lee 非常关注唐人街其他企业的生意。当一家餐厅缺少某东西时,他会尽力为顾客在当天进货。当新餐厅开业时,他会送鲜花祝贺。每到农历新年或加拿大新年,他都会他们提供几瓶威士忌,并到处赠送年历。协助社群也是我们公司传统的一部分,我们将继续保留此传统。”
Marc Leduc:“ 我喜欢永兴隆是因为它并不复杂:我可以负责结账或招呼客人,我什么都会做。他们信任我。这工作对体力要求很高。当我第一次开始在旧机器上搅拌面团做面条时,我要把40公斤重的袋子抬到工作台上,从早到晚将面粉倒入搅拌机中。然而,我有很大的自由。永兴隆对我来说就像一个家庭。我在那里待了很多年,认识唐人街每个人。我最美好的回忆是和同事们在人来人往、穿白领的路人之间踢足球。”
Alice Choi:“ 永兴隆是一家大多数员工会留下来长期工作的公司,这并不是因为他们不能在其他地方工作。那里有一些东西把我们留住,那是一种哲学。他们就像家人一样:你不会离开家人。”
资料搜集和撰写:Jean-Philippe Riopel 和 Bernard Vallée