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Les Missionnaires d’Afrique et le Centre Afrika

02 juin 2017

Au début du XXe siècle, l’Afrique est peu connue des Montréalais. C’est à travers les lunettes des missionnaires qu’ils en font la découverte.

Centre Afrika

Atelier d’animations africaines avec 90 jeunes d’une école secondaire qui vise à offrir un autre regard sur la diversité africaine présente à Montréal.
Centre Afrika [https://www.flickr.com/photos/lecentreafrika/]
Le Centre Afrika fêtera bientôt son 30anniversaire. Fondé en 1989, cet organisme est une initiative des Missionnaires d’Afrique, aussi appelés Pères blancs. Ils viennent alors répondre à un besoin manifesté par les néo-Montréalais originaires d’Afrique subsaharienne qui recherchent un espace pour exprimer leur foi et leur culture, et qui souhaitent être orientés vers des ressources qui faciliteront leur installation dans la métropole. Les Pères blancs sont bien outillés pour bâtir des ponts entre les Africains et les Montréalais. Il s’agit, en fait, de l’une de leurs missions depuis le début du XXe siècle.

La maison des Pères blancs de Montréal

Pères blancs

Photo de Monseigneur John Forbes, le premier Père blanc canadien.
Archives de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères blancs).
À la fin du XIXe siècle, les missions religieuses canadiennes sont essentiellement destinées aux peuples autochtones de l’Ouest et du Nord canadien. Les quelques missionnaires en Afrique commencent néanmoins à publier leurs récits et à recueillir des fonds pour leurs voyages. Inspiré par ces précurseurs, John Forbes quitte le Canada pour étudier au noviciat des Missionnaires d’Afrique en Algérie et devient le premier Père blanc canadien. Montréalais d’origine, il tente, à son retour en 1900, de fonder un premier postulat (étape initiale de la formation) de Pères blancs à Montréal. Face à l’hésitation de l’évêque de l’époque, Mgr Bruchési, il met en place son projet dans la ville de Québec en 1901.

Il faut attendre 1934 pour voir l’ouverture de la maison des Missionnaires d’Afrique à Montréal, la plus grande ville catholique en Amérique du Nord. Les quelques religieux en tunique blanche algérienne s’installent au 1626 rue Saint-Hubert dans le quartier Saint-Jacques. Lorsqu’une bâtisse voisine (au 1644 rue Saint-Hubert), celle de l’Académie Saint-Ignace (un collège pour filles), se libère en 1941, les Pères blancs y emménagent. Ils occupent toujours cet espace en 2017.

Pères blancs

Un groupe de Missionnaires d’Afrique devant leur maison de la rue Saint-Hubert à Montréal.
Archives de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères blancs).
À l’époque de l’arrivée des Pères blancs à Montréal, il n’y a pas ou très peu d’Africains subsahariens dans la métropole. La communauté noire est alors essentiellement composée d’Antillais, d’Afro-Américains et d’Afro-Canadiens, parmi lesquels certains sont des descendants d’esclaves. Les politiques d’immigration racistes et discriminatoires bloquent l’entrée des personnes de couleur. Les Montréalais découvrent le continent africain à travers les récits des missionnaires, comme les Pères blancs.

Récits missionnaires et charité chrétienne

Pères blancs

Un groupe de Pères blancs, sur un bateau entreprennent la traversée de l’Atlantique.
Archives de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères blancs).
Lorsqu’ils ne sont pas en Afrique, les Pères blancs parcourent les paroisses, les écoles, les collèges et organisent des conférences et des expositions. Ils publient leurs récits de voyage dans des journaux, comme Le Devoir et l’Action catholique, ou encore dans leur propre revue intitulée Missions d’Afrique. Leur passage suscite toujours un vif intérêt. En 1942, dans le cadre du 300e anniversaire de Montréal, 30 communautés missionnaires, dont les Pères blancs, s’assemblent pour présenter une exposition à l’Oratoire Saint-Joseph qui attire 225 000 personnes.

De notre point de vue contemporain, certaines représentations de l’Afrique proposées alors par les missionnaires peuvent être jugées racistes, paternalistes et ethnocentriques. Elles suggèrent souvent l’infériorité des Africains, leur besoin d’être « civilisés » et, avant tout, évangélisés. À l’époque, elles suscitent néanmoins la charité chrétienne des Montréalais. Entre 1920 et 1948, environ 10 millions de dollars et des tonnes de matériaux sont amassés pour les missions canadiennes-françaises, qu’elles visent l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique du Sud.

Pères blancs

Un Père blanc et une Sœur blanche en mission sur le continent.
Archives de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères blancs).
La maison montréalaise des Pères blancs est alors ce qu’on appelle une « procure », un centre où converge tout le matériel destiné à être envoyé en Afrique : bidons à essence, lampes à l’huile, médicaments, manuels scolaires, etc. Sa position centrale, proche du port et des gares, facilite le transport des dons. Plusieurs ouvriers du secteur sont embauchés par les Pères blancs pour assurer cette manutention.

Les Montréalais originaires d’Afrique

La période suivant la Seconde Guerre mondiale annonce d’importants bouleversements au Québec et dans le monde. La vie missionnaire prend un nouveau tournant. Elle fait désormais la promotion du dialogue interreligieux et d’une charité libre du paternalisme et du moralisme d’antan. Au Québec, les communautés religieuses sont ébranlées par le mouvement de laïcisation des institutions et des services. Les Pères blancs n’échappent pas à cette période de réflexion. Ils réaffirment leur engagement envers l’Afrique et décident d’investir plus de temps à la sensibilisation des Canadiens au travail des missionnaires.

Centre Afrika

Le père Gilles Barette, Missionnaire d’Afrique et ancien directeur du Centre Afrika, Jean-François Bégin, coordonnateur, et Jean Marie Mousenga, intervenant, devant le centre, au 1644, rue Saint-Hubert à Montréal.
Centre Afrika
En Afrique, la décolonisation fait son chemin et entraine, dans certaines contrées, de graves crises politiques. En parallèle, le Canada ouvre ses portes aux personnes non blanches. L’immigration d’Afrique subsaharienne prend progressivement de l’ampleur. Certains Africains viennent par choix ou pour leurs études, pendant que d’autres arrivent comme réfugiés. Peu importe leur parcours, quelques-uns de ces néo-Montréalais adoptent la maison des Pères blancs comme premier repère.

Le Centre Afrika

À la demande des Montréalais d’origine africaine, les Pères blancs mettent en place le Centre Afrika, au sous-sol de leur bâtiment. Le Centre Afrika devient, au fil du temps, un lieu d’accueil, de rencontre et de soutien pour tous les Africains, sans égard à leur origine ou à leur religion.

Dans cet esprit de partage interculturel, le Centre Afrika lance, en 2004, les Journées Africaines. L’événement se déroule, depuis 2008, à l’Écomusée du fier monde, musée d’histoire et musée citoyen du quartier Centre-Sud, et attire des milliers de visiteurs heureux de découvrir les cultures africaines à Montréal.

Merci au Centre Afrika et à l’Écomusée du fier monde d’avoir contribué à la recherche nécessaire à la rédaction de cet article et à la validation de son contenu.

L’origine des Pères blancs et le missionnariat canadien

Charles Lavigerie, originaire de France, occupe le siège épiscopal d’Alger à partir de 1866. Interpellé par le continent africain, il fonde, en 1868 et 1869, les Missionnaires d’Afrique, surnommés les Pères blancs, et les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, les Sœurs blanches. Son œuvre trouve rapidement des échos au Canada français avec l’ouverture du postulat de Québec en 1901.

Au début du XXe siècle, plusieurs communautés religieuses destinées au missionnariat sont créées. En 1953, le nombre de missionnaires canadiens en Afrique est estimé à 925. Six ans plus tard, 1500 sont dénombrés qui proviennent de 48 sociétés religieuses et sont présents dans 22 pays. Les Canadiens français composent 80 % des effectifs missionnaires du Canada.

L’accroissement rapide du missionnariat canadien est, entre autres, favorisé par l’expansion coloniale européenne en Afrique. Le partage politique et économique de l’Afrique, lors de la Conférence de Berlin (1884-1885), s’accompagne d’une volonté « civilisatrice » qui repose notamment sur la religion. Les pays colonisateurs facilitent ainsi l’arrivée des missionnaires.

Références bibliographiques

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BARRETTE, Gilles. « Le dialogue entre les cultures et les religions, un enrichissement réciproque au niveau des valeurs : les missionnaires canadiens-français en Afrique depuis 1945 », dans MUKANYA KANINDA-MUANA, Jean-Bruno, Les relations entre le Canada, le Québec et l’Afrique depuis 1960, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 179-188.

BESSIÈRES, Arnaud. La contribution des Noirs au Québec : quatre siècles d’une histoire partagée, Les publications du Québec, Québec, 2012, 173 p.

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GIROUX, Éric. Afrika Montréal, Montréal, Écomusée du fier monde, 2014, 38 p.

MILLS, Sean. Une place au soleil. Haïti, les Haïtiens et le Québec, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016, 369 p.

WARREN, Jean-Philippe. « Les commencements de la coopération internationale Canada-Afrique. Le rôle des missionnaires canadiens », dans MUKANYA KANINDA-MUANA, Jean-Bruno, Les relations entre le Canada, le Québec et l’Afrique depuis 1960, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 23-48.