Depuis plusieurs décennies, le mouvement communautaire joue un rôle décisif pour l’avancement des droits de la personne et pour la justice sociale à Montréal.
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À partir du XVIIe siècle, les communautés religieuses jouent à Montréal un rôle important d’assistance aux plus démunis. Elles s’impliquent pour soutenir les personnes en situation de pauvreté, les orphelins, les personnes âgées, les mères célibataires, les personnes handicapées et bien d’autres. Cet engagement persiste tout au long des XVIIIe et XIXe siècles ainsi que dans la première moitié du XXe siècle. La Congrégation de Notre-Dame, les Sœurs de la charité et les Sœurs de la providence sont très présentes auprès des populations vulnérables. Des initiatives laïques émergent aussi parallèlement. Dès les années 1870, des réformistes urbains comme Herbert Brown Ames militent pour une amélioration des conditions de vie des ouvriers. Au début du XXe siècle, des militantes syndicalistes et féministes telles que Léa Roback et Madeleine Parent luttent pour l’accessibilité au logement, alors qu’Yvonne Maisonneuve fonde le Chainon et y accueille les femmes en difficulté. La place des institutions religieuses dans l’aide aux personnes démunies demeure toutefois prédominante jusqu’aux années 1960, période à laquelle l’Église perd de son influence et où émergent de nouvelles façons de concevoir l’assistance sociale.
L’État et les organismes communautaires prennent progressivement ce rôle occupé jusqu’alors par les communautés religieuses. Contrairement aux institutions publiques, ces centres sont enracinés dans le milieu local et émanent de la communauté qui le forme. Ils cherchent à redonner aux citoyens et citoyennes vulnérables leur pouvoir d’agir et à les placer au centre des initiatives qui visent à améliorer leur qualité de vie. Le mouvement joue un rôle important pour l’avancement des droits sociaux dans la métropole.
Les débuts du mouvement communautaire
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À partir de 1968, plusieurs comités se politisent et forment des groupes populaires qui veulent transformer la société de manière plus globale. Nés de l’engagement des personnes concernées, ces groupes offrent des services, tant dans le domaine de la santé que dans celui du logement, de l’alimentation ou de la garde des enfants. Des associations et coopératives d’économie familiale (ACEF), les associations de défense des droits sociaux, les comptoirs alimentaires, des associations médicales et de travailleurs voient le jour. Ces services populaires sont souvent « autogérés », c’est-à-dire autonomes. C’est le cas entre autres des cliniques populaires (à l’origine des CLSC) et des avocats populaires (à l’origine du programme d’aide juridique). Pendant la même période, des centres d’éducation populaire sont fondés à Montréal au cœur de plusieurs quartiers, et le mouvement des femmes prend son essor. Le Centre des femmes de Montréal est créé en 1973 et s’engage entre autres dans la lutte pour l’avortement.
Des groupes se forment aussi pour venir en aide aux populations immigrantes. Des organismes autochtones voient le jour dans la métropole pour venir en aide aux personnes des Premières Nations qui y sont établies. La majorité des groupes fondés pendant cette décennie sont préoccupés par la défense collective des droits des personnes vulnérables. En 1974, un parti politique progressiste, le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), arrive dans l’opposition à l’hôtel de ville de Montréal. Pendant la même période, le terme organisme communautaire devient plus courant pour désigner un groupe de personnes partageant les mêmes intérêts qui s’organisent pour se donner des services.
Les transformations du milieu communautaire
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Dans les années 1980, bien que plusieurs de ces organismes existaient déjà auparavant, on voit la multiplication des rassemblements sectoriels, par exemple des groupes de jeunes, d’ainés, de personnes handicapées. Le nombre de Centres de femmes augmente à Montréal et ailleurs au Québec, permettant à celles-ci de retrouver un espace d’entraide non mixte. La lutte pour le logement social se poursuit dans plusieurs quartiers de la métropole. Dans les années 1990, des groupes plus spécialisés, par exemple pour les jeunes mères ou pour l’aide aux devoirs font leur apparition. Au printemps 1991, la loi 120 crée les Régies régionales de la santé et des services sociaux. Ces régies sont entre autres chargées d’allouer les subventions aux organismes communautaires. La loi reconnait l’autonomie de ces derniers pour ce qui concerne le choix de leurs orientations, de leurs politiques et de leurs approches. Des représentants du milieu communautaire siègent au sein des conseils d’administration des régies régionales. Plusieurs organismes sonnent toutefois l’alarme : les subventions octroyées sont de plus en plus liées aux services fournis et de moins en moins à la lutte contre l’injustice et pour la transformation de la société. Les regroupements d’organismes communautaires défendent les intérêts des différents groupes auprès du gouvernement, tant en ce qui concerne leur autonomie, que leur financement ou la reconnaissance de leur expertise.
Au début des années 2000, le gouvernement québécois se dote d’une politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire qui officialise et définit la notion d’autonomie des organismes. Les défis demeurent toutefois de taille pour le milieu. Parmi eux, la tarification sociale du transport en commun et l’embourgeoisement de quartiers comme le Centre-Sud, Hochelaga, Rosemont et le Sud-Ouest. Les groupes communautaires continuent de lutter contre une « logique de services » qui subordonne les luttes sociales à la prestation de services publics normalement prodigués par l’État. La reconnaissance de l’expérience et de l’expertise des groupes communautaires est aussi un enjeu important. En effet, le mouvement communautaire joue un rôle décisif dans la ville pour l’avancement des droits de la personne et la justice sociale. En 2021, c’est au tour de la Ville de Montréal de se doter d’une politique de reconnaissance des organismes communautaires qui souligne leur rôle dans la création d’une ville égalitaire et inclusive. On compte alors plus de 800 organismes d’action communautaire autonome à Montréal.
Les organismes communautaires jouent un rôle essentiel auprès des populations vulnérables et ce rôle est d’autant plus primordial en période de crise. Pendant la récession de 1981-1982, ces groupes viennent en aide à un grand nombre de familles que la situation a placée en position de vulnérabilité. Lorsque le séisme frappe Haïti, en 2010, la Maison d’Haïti joue un rôle important pour l’intégration des Haïtiens qui arrivent à Montréal dans le cadre du programme de parrainage mis sur pied après le tremblement de terre. Suite aux conflits politiques au Moyen-Orient et aux vagues de réfugiés qui les ont accompagnés à partir de 2015, les organismes communautaires ont aussi été sur la ligne de front pour accueillir les nouveaux arrivants et favoriser leur intégration. Pendant la crise sanitaire de la COVID-19, le rôle des organismes communautaires est plus essentiel que jamais, alors qu’un nombre accru de Montréalais ont besoin d’aide alimentaire, de services en emploi ou de faire valoir leurs droits.
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