Les conditions de travail des policiers de Montréal s’améliorent dans la première moitié du XXe siècle. La formation et l’équipement se modernisent tandis que les luttes syndicales s’intensifient.
« Je vous dis qu’à Montréal y a des vrais policemen / Rien qu’à les voir défiler je vous assure qu’y sont plantés / Des bandits pis des voleurs ça s’adonne qu’y en ont pas peur / Y craignent pas de se faire tuer pour protéger la société » — Les policemen, La Bolduc (1932)
Policiers 1920
Le Département de police de Montréal est ébranlé par les conclusions du juge L. J. Cannon qui font suite au travail de la toute première commission royale d’enquête à Montréal en 1909. On va tenter de réorganiser rapidement le service dans l’espoir de faire taire les critiques.
En 1917, des experts new-yorkais du Bureau municipal de recherche (BMR) arrivent en ville. Ils ont pour objectif d’étudier l’administration municipale, d’en trouver les failles et de proposer une façon d’y remédier. Au terme de leur enquête qui dure plusieurs mois, les experts font des recommandations, notamment en ce qui concerne le recrutement et la rétention des effectifs policiers. Toutefois, à cause d’un bilan financier désastreux, Montréal est mise sous tutelle en 1918. La ville passe alors sous autorité provinciale, tout comme son service de police. Lorsque la tutelle prend fin, en 1921, la gestion de la police est remise entre les mains du comité exécutif.
Malgré l’enquête Cannon, les recommandations du BMR et la tutelle, les choses ne s’améliorent pas au Service de police de Montréal, au point où il est de nouveau pointé du doigt. Le 6 octobre 1924 s’ouvre l’enquête du juge Louis Coderre. Dans ses conclusions, il déplore l’incompétence, l’indiscipline et la corruption des policiers ainsi que l’ingérence politique qui a permis au « vice commercialisé » de se répandre partout à Montréal au point de devenir un véritable fléau moderne. Malgré les critiques sévères, le rapport est relégué aux oubliettes, et il faudra attendre l’enquête Caron pour que les choses changent en profondeur au sein de la force.
Les effectifs policiers
Police 1920
Jusqu’au milieu des années 1930, le salaire des policiers est comparable à ceux offerts dans les magasins et les usines, ce qui est loin d’être une incitation à l’enrôlement. Les effectifs sont en poste 13 jours sur 14, sur des quarts de jour ou de nuit, et une journée de travail dure 13 heures. De plus, les policiers sont mécontents car les heures supplémentaires ne sont pas payées. Au moins, ce sont les nouveaux qui sont affectés au quart de nuit!
Au début du XXe siècle, la police est divisée en deux grandes branches : la sûreté (bureau d’enquête des détectives) et la gendarmerie. Les affectations sont diverses : le service normal, la patrouille ou les tâches auxiliaires (aide aux détectives, police montée, circulation, etc.). Les constables peuvent aussi avoir des tâches non policières, comme l’entretien ou les communications.
La formation, quant à elle, est essentiellement la même qu’au cours des décennies précédentes quoiqu’un cours de sauvetage est ajouté au début des années 1910. Ce n’est que 10 ans plus tard qu’est fondée une véritable école de police dans l’est de la ville, au bain Morgan. Au cours de leur formation de trois mois, les cadets y font des exercices physiques, de tir au revolver et reçoivent des cours de langue et de procédures en plus d’assister à des causeries légales. Malgré les difficultés de recrutement, ce n’est que le quart des aspirants qui réussit tous les tests et accède à la profession.
Tout est une question d’équipement!
Policier uniforme
Pendant longtemps, les policiers ont patrouillé à pied et c’est encore le cas au cours des premières décennies du XXe siècle. Quant aux voitures tirées par les chevaux, servant au transport des prisonniers et des blessées, elles sont graduellement remplacées par des ambulances et des fourgons. Certains groupes de policiers, notamment ceux affectés à la circulation, ont dorénavant la possibilité de se déplacer en motocyclettes puis en automobiles. Les choses sont bien différentes à Toronto alors que les policiers circulent à moto depuis 1910. Ce nouveau moyen de transport n’est adopté à Montréal qu’en 1918. Le Service se procure 10 Harley-Davidson auxquelles sont ajoutés des side-cars l’année suivante. Équipés d’un chronomètre, les effectifs affectés à la circulation surveillent de près les excès de vitesse. Si un automobiliste ne respecte pas la limite, il aura rapidement un policier à ses trousses. En 1920, un peu plus de 1220 interventions sont faites auprès des conducteurs fautifs.
La première voiture du Service de police de Montréal est une automobile d’occasion achetée en 1912 au coût de 4433 dollars; elle sert exclusivement aux déplacements du chef Campeau. Le Service s’en procure une seconde la même année afin d’assurer le transport des prisonniers. En 1914, les effectifs policiers bénéficient de deux autres voitures et d’une ambulance. Tous ces véhicules sont pilotés par des chauffeurs expressément embauchés pour cette tâche. Dix ans plus tard, en 1924, il y a une flotte de 15 voitures de police à Montréal, mais cela s’avère rapidement insuffisant pour cette ville en expansion. De plus, il faut attendre 1932 pour que les voitures soient équipées de radio.
L’augmentation constante du nombre de véhicules automobiles à Montréal est telle qu’on met sur pied le service de la circulation en 1927. La Ville réfléchit à la question du stationnement (où peut-on se stationner et pour combien de temps), crée des voies à sens unique pour réguler le flot des voitures et installe des panneaux indicateurs. Ce n’est qu’en 1930 que sont mis en service les premiers feux de circulation au coin des rues Sherbrooke et University. Au départ, les véhicules ne se verrouillent pas et les malfaiteurs y voient une occasion en or. Les premiers vols de voiture ont lieu dès 1913… au nombre de 42! C’est alors la responsabilité des détectives et du service des enquêtes de retrouver les automobiles volées.
Associations et premières armes syndicales chez les policiers
Policiers années 1930
En 1903, une seconde association est créée, mais dans le but de faire bouger les policiers : l’Association athlétique amateure de la Police de Montréal. Encore une fois, l’idée vient du Service de police de Toronto. Les dirigeants de l’association font la promotion de l’activité physique et de l’esprit de corps. Les membres participent à des compétitions opposant la force policière montréalaise à d’autres venues d’ailleurs au Canada et des États-Unis. Malgré tout, cette association semble avoir un succès partiel en ce qui concerne la mise en forme des effectifs puisque le BMR de New York déplore, dans son rapport de 1917, la piètre condition physique de la plupart des policiers montréalais.
Ces deux associations sont l’initiative des officiers et des dirigeants du Service de police. La première à naître au sein des constables est l’Union ouvrière fédérale des policiers (UOFP), affiliée au Congrès des métiers et du travail du Canada. Le syndicat local no 62 amorce ses activités à Montréal le 10 septembre 1918. Bien qu’elle ne soit pas reconnue par la Ville, qui voit d’un mauvais œil la syndicalisation des services municipaux, l’UOFP souhaite travailler avec les élus afin d’offrir le meilleur service policier qui soit à la population montréalaise. L’Union s’inscrit dans un mouvement syndical plus large ailleurs au pays, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Les mauvais salaires et les horaires exigeants, ainsi que le regroupement du Service de police, de celui des incendies, de celui de l’éclairage et de la cour du recorder (ancien nom de la cour municipale) au sein du Service de la Sécurité publique contribuent à mettre la table aux demandes des différents syndicats municipaux pour de meilleures conditions de travail et une sécurité d’emploi.
Le bras de fer entre les syndicats et la commission administrative qui gère alors la ville mise sous tutelle est tel que les employés municipaux déclenchent une grève le 12 décembre 1918. Ce sont les policiers qui mènent le bal auquel se joignent rapidement les autres services. Trente-trois heures plus tard, dans l’urgence, on parvient à une entente d’arbitrage, et les employés retournent au travail, mais l’UOFP n’est toujours pas reconnue officiellement comme la voix des policiers par la Ville. Devant des assauts de toutes parts, l’Union cesse ses activités en 1923.
Le droit d’association des policiers et des policières ne sera reconnu qu’en 1943 alors qu’est fondée l’Association canadienne des Policiers de Montréal, affiliée au Congrès du Travail du Canada.
Merci à Paul-André Linteau pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche.
GILBERT, Jean-Paul. La Police à Montréal : étude monographique de la professionnalisation des Services de la Police, Mémoire (M.A.), Université de Montréal, 1965, 254 p.
GIROUX, Éric. Les policiers à Montréal : travail et portrait socio-culturel, 1865-1924, Mémoire (M.A.), Université du Québec à Montréal, 1996, 149 p.
LAPOINTE, Mathieu. Nettoyer Montréal. Les campagnes de moralité publique, 1940-1954, Montréal, Septentrion, 2014, 400 p.
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