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La grève des employés municipaux de 1918

04 novembre 2016
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Montréal n’est pas épargné par les conflits de travail qui, de 1918 à 1921, marquent l’Amérique du Nord. En décembre 1918, quatre syndicats d’employés municipaux votent une grève qui sera historique.

Décembre 1918. Alors que la Première Guerre mondiale a pris fin un mois plus tôt, on pourrait imaginer que les Montréalais célèbrent tranquillement le retour à la paix... Mais un conflit de travail crispe les relations entre les employés municipaux et les autorités publiques et va déboucher sur une grève historique.

Médéric Martin

Portrait de Médéric Martin.
Archives de Montréal. VM94,Z834.

Les origines des événements de décembre 1918 sont d’abord liées à l’expansion rapide du territoire et de la population de la Ville de Montréal : depuis 1881, elle a absorbé 23 municipalités sur l’île, faisant passer sa population de 140 000 habitants en 1881 à 618 000 en 1921, une augmentation de 450 %!

Les populations des villes fusionnées étant à majorité canadiennes-françaises, la proportion des Montréalais francophones va sensiblement augmenter – d’autant que, à la même époque, bien des anglophones déménagent vers des municipalités de banlieue comme Westmount ou Town of Mount-Royal. En 1914, la nouvelle majorité élit au poste de maire un ancien ouvrier cigarier devenu entrepreneur, Médéric Martin, politicien habile et très populaire parmi les employés municipaux. Il mettra fin à la vieille tradition d’alternance à la mairie entre un maire anglophone et un maire francophone.

Une Ville endettée

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Plan qui montre les annexions successives réalisées par la cité de Montréal, en spécifiant pour chaque municipalité incorporée sa superficie et la date d'annexion.
Archives de la Ville de Montréal. CA M001 VM066-6-P082.
Autre effet des annexions, la santé financière de la Ville s’affaiblit. Montréal hérite des anciennes municipalités comme Ahuntsic, Notre-Dame-de-Grâce et Rosemont de dettes totalisant 28 millions de dollars, dont 17 millions pour la seule Ville de Maisonneuve.

Au début de l’année 1918, la situation est telle que le gouvernement provincial place l’administration de la ville sous la tutelle d’une commission administrative de cinq membres dont le mandat est de réduire les dépenses municipales. Les élus locaux perdent le contrôle de leur budget et la commission décrète rapidement d’impopulaires congédiements et des gels de salaires. Elle nomme par exemple un nouveau directeur de la Sécurité publique, le 1er juillet 1918, qui congédie 23 officiers de police en un mois. À la fin de l’année, ce sont 54 employés municipaux supplémentaires, dont beaucoup de pompiers d’expérience, qui perdent leur emploi.

Ce climat d’insécurité ainsi qu’une inflation galopante liée au contexte de guerre ont pour résultat immédiat d’encourager la syndicalisation des employés de la Ville, dont les salaires n’ont pas augmenté depuis 10 ans. Le 10 septembre 1918, l’Union ouvrière fédérale des policiers, n° 62, première en son genre à Montréal, est mise sur pied pour représenter les 1025 agents qui patrouillent dans les rues de la métropole. Ils dénoncent premièrement leurs salaires inférieurs de 20 à 40 % à ceux de leurs confrères des autres villes canadiennes. De leur côté, les pompiers se plaignent d’être constamment en poste à la station à l’exception d’une journée toutes les deux semaines. La Ville refuse également de payer le coût de leurs uniformes, qu’ils doivent acheter à leurs frais.

Un front commun de quatre syndicats

La Patrie, 12 décembre 1918

Une du journal La Patrie du 12 décembre 1918 avec en titre \"Les quatre unions ont déclaré la grève ce midi\"
La Patrie, 40e année, no 243, Montréal, jeudi, 12 décembre 1918.
Au début du mois de décembre 1918, la coupe est pleine : en plus de la détérioration des conditions de travail et des congédiements à répétition, les syndiqués découvrent que les trois principaux dirigeants de la Sécurité publique nommés durant l’été par la commission administrative ont déjà été condamnés pour assauts et vol par effraction! Le 7 décembre, regroupés dans un front commun de quatre syndicats (policiers, pompiers, ingénieurs mécaniciens et employés de l’aqueduc et des incinérateurs de déchets), 1688 employés votent en faveur de la grève – un seul s’y oppose – et ils débrayent tous le 12 décembre à midi, sauf les pompiers.

Quelques heures plus tard, des détectives privés et des équipes de volontaires sont engagés pour assurer temporairement les services municipaux, ce qui mène à des confrontations violentes avec les syndiqués dans deux stations de police et à la caserne de pompiers du square Chaboillez. Environ 400 alarmes d’incendies sont déclenchées, alors que les soldats prennent position pour protéger l’usine de filtration de l’Aqueduc tout comme les postes de police!

Le lendemain, les pompiers emboîtent le pas, et les employés des tramways menacent de se joindre au mouvement par solidarité. De leur côté, les dirigeants financiers et patronaux s’attaquent à cet arrêt de travail dans les journaux, y voyant une menace socialiste, tandis que le maire Médéric Martin appuie ouvertement les grévistes qui contestent, comme lui, l’autorité de la commission administrative nommée par Québec!

Un tribunal d’arbitrage salutaire

La Patrie, 14 décembre 1918

Une du journal La Patrie du 14 décembre 1918 avec en titre \"La grève des unionistes a pris fin hier soir\".
La Patrie, 40e année, no 245, Montréal, samedi, 14 décembre 1918.
Au soir du 13 décembre, 33 heures seulement après le début de leur débrayage, les grévistes reprennent le travail après la création d’un tribunal d’arbitrage de cinq membres dont deux représentant les employés. Grâce à la médiation de l’archevêque de Montréal et du premier ministre Lomer Gouin, ils ont obtenu le renvoi des trois dirigeants contestés de la Sécurité publique.

Le tribunal d’arbitrage rend son rapport le 3 février 1919 : en plus d’améliorations générales des conditions de travail, on reconnaît aux employés municipaux le droit de se syndiquer, et leurs salaires sont augmentés. Un policier de première classe voit ainsi son salaire annuel passer de 1150 $ à 1400 $, alors que le syndicat réclamait un salaire de 1600 $ par année.

Les conflits de travail ne manqueront pas en Amérique du Nord durant les années 1918 à 1921 : Ottawa, Vancouver, Toronto et Québec sont le théâtre de débrayages tandis qu’une grève générale marquera l’histoire de Winnipeg au printemps 1919. Aux États-Unis, la grève des policiers de Boston en septembre 1919 mène à une vague de pillages et d’émeutes dans la ville qui fait 7 morts, cause l’intervention de la garde nationale et mène au congédiement définitif de 1200 agents… Ce contexte particulièrement tendu, explique aisément l’arrêt de travail historique de 33 heures voté par les employés municipaux montréalais.