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L’Institut Nazareth et la communauté aveugle de Montréal

19 juin 2019
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Créé en 1861, l’Institut Nazareth offre éducation et hébergement aux personnes aveugles de Montréal. Premier établissement de ce type au Canada, il laissera sa marque dans le paysage de la ville.

Institut Nazareth 1920

Immeuble ancien, de trois étages, avec clocher, bordant une rue.
BAnQ, Collection Félix Barrière.
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, cécité et pauvreté sont intrinsèquement liées. D’une part, la pauvreté est le sort réservé à la plupart des aveugles considérés comme inaptes au travail, d’autre part l’extrême indigence est souvent la cause même de la cécité. En effet, le manque d’hygiène, la malnutrition et les accidents de travail, qui sont principalement le lot d’individus de la classe ouvrière, figurent parmi les principales causes de la cécité. Lorsqu’ils ne sont pas pris en charge par leur famille, nombre d’aveugles tentent de survivre en mendiant dans les rues de la ville ou en se convertissant en musiciens ambulants, diseurs de bonne aventure ou colporteurs. En dernier recours, les aveugles peuvent espérer trouver gîte et nourriture à l’Hôpital Général ou à l’Asile de la Providence.

La création d’un premier asile pour aveugles sera l’initiative du père Benjamin-Victor Rousselot. Originaire de France et ayant lui-même des problèmes visuels, il s’inspire de l’Institution des aveugles de Paris pour fonder en 1858 une première salle d’asile dans un local de l’hospice Saint-Joseph de Montréal. Ce premier asile n’est alors pas réservé spécifiquement aux aveugles, mais offre divers secours aux démunis du quartier Saint-Antoine. Trois ans plus tard, Rousselot sollicite les Sœurs grises pour ouvrir un nouvel établissement, sur un vaste terrain situé sur la rue Sainte-Catherine, entre les rues Saint-Urbain et Jeanne-Mance. Ce nouvel édifice portera d’abord le nom d’Asile Nazareth.

Une institution pionnière

Atelier Nazareth

Grand immeuble d’un seul étage, avec arches vitrées au-dessus des portes. Des voitures anciennes sont stationnées devant
BAnQ. Collection Félix Barrière.
C’est en mars 1862 que l’Asile accueille un premier pensionnaire aveugle. Rapidement, la prise en charge et l’éducation des aveugles deviennent les principaux services offerts par l’établissement. En 1869, on inaugure un bâtiment avec chapelle réservé aux aveugles, œuvre de Victor Bourgeau, un des architectes de la basilique Notre-Dame. La décoration intérieure de la chapelle est quant à elle confiée à l’artiste Napoléon Bourassa. Derrière la chapelle, on trouve des jardins aux plates-bandes fleuries, des arbres fruitiers et un potager.

Au cours de la première décennie, l’Asile accueille trois ou quatre nouveaux pensionnaires par année. Le nombre d’admissions double toutefois à partir des années 1870, pour atteindre environ 12 nouvelles inscriptions au tournant du XXe siècle.

Pendant les premières années, les procédés d’écriture pour aveugles étant encore à leurs balbutiements au Canada, les religieuses enseignent surtout le développement d’habiletés manuelles. L’Asile Nazareth fait toutefois figure de pionnier, car il est la première école à introduire l’enseignement du braille en Amérique du Nord.

Créé par Louis Braille à la fin des années 1820, ce système d’écriture tactile mettra près de 100 ans à s’imposer à travers l’Occident. Au moment où l’Asile Nazareth est créé, divers systèmes d’écriture sensorielle se font encore concurrence, particulièrement de ce côté-ci de l’Atlantique. Bien que les sœurs de l’Asile Nazareth optent pour le braille, se procurer des ouvrages n’est pas une mince affaire. Les quelques livres en braille sont encore tous imprimés en Europe. Les livres sont importés au compte-goutte, à prix élevé, en raison des coûts de transport. Malgré la quasi-absence d’ouvrage en braille, ce système d’écriture est tout de même enseigné à Nazareth dès 1865. Le manque de manuels est en partie compensé par un enseignement oral. Les services de l’Institut incluent aussi des ateliers de travail ainsi qu’un département de musique. L’enseignement de la musique occupera d’ailleurs une place prépondérante à Nazareth, qui formera de nombreux musiciens, dont plusieurs feront ensuite carrière comme organistes d’église ou accordeurs de piano.

Déménagements et mutations

Institut Louis-Braille

Bâtiment de briques, de quatre étages, sur lequel grimpe une vigne
BAnQ. Fonds ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.
Au début du XXe siècle, la clientèle de l’Institut augmente sensiblement, pour atteindre un nombre plafonnant autour d’une centaine au commencement des années 1930. Cette population, encore largement issue de la classe ouvrière, dépasse amplement la capacité d’accueil de l’Institut. Les pensionnaires sont entassés dans des dortoirs surpeuplés, où l’aération est déficiente. De plus, le quartier, autrefois paisible et aux abords de la ville, a depuis été largement rattrapé par l’urbanisation. Nazareth déménage donc en 1932 dans un tout nouvel édifice, mieux adapté à ses besoins. Situé au 4565, chemin Queen-Mary, celui-ci est spacieux, muni de douches et comprend des chambres bien insonorisées et aérées, favorisant la pratique de la musique. C’est le début d’une nouvelle ère pour la communauté de Nazareth, qui voit ses effectifs s’accroître substantiellement dès lors.

Au tournant des années 1930, de nouvelles associations, souvent fondées par d’anciens pensionnaires de l’Institut, voient le jour. Face à cette nouvelle concurrence, l’Institut Nazareth cède peu à peu certains secteurs d’activité à d’autres organismes. L’Institut restreint ainsi graduellement son offre de services pour se consacrer principalement à l’éducation des aveugles d’âge scolaire et devient à l’aube des années 1940 une école spécialisée pour les jeunes garçons et les filles âgées d’environ 25 ans et moins. En 1940, l’Institut déménage à nouveau, pour s’installer cette fois dans un édifice de la Côte-Saint-Michel (aujourd’hui boulevard Crémazie Est).

Ayant adopté la mixité depuis ses débuts, Nazareth délaisse finalement l’éducation des garçons en 1953. Celle-ci est alors confiée au tout nouvel Institut Louis-Braille, dirigé par les Clercs de Saint-Viateur, qui a pignon sur la rue Claremont, à Westmount, jusqu’à ce qu’il déménage en 1960 sur la rue Beauregard à Longueuil.

Réformes gouvernementales et nouveau mandat

Institut Nazareth - enseignement

Une femme en costume de religieuse et une jeune fille posent leurs mains sur un livre. Une autre jeune fille se tient debout à leurs côtés.
BAnQ. Fonds Armour Landry.
Avec la montée de l’État providence au cours des années 1960 et 1970, les soins de santé et les services aux personnes handicapées sont de plus en plus pris en charge par le gouvernement. Au début des années 1960, des classes de semi-voyants sont créées dans des écoles spécialisées. Puis, en 1974, le ministère de l’Éducation prend la responsabilité de la scolarisation des élèves hébergés dans les établissements relevant du ministère des Affaires sociales, parmi lesquels les élèves aveugles et semi-voyants de l’Institut Nazareth et de l’Institut Louis-Braille.

Les politiques adoptées par le gouvernement québécois bouleversent en profondeur les deux principaux instituts pour aveugles, qui se dotent d’une nouvelle structure administrative en 1975. L’Institut Nazareth et l’Institut Louis-Braille fusionnent alors pour former l’Institut Nazareth et Louis-Braille, devenant du même coup un organisme public. La communauté des Sœurs grises reprend alors pour son usage l’édifice occupé par l’Institut Nazareth, sur le boulevard Crémazie. Quant aux élèves des deux anciens instituts, ils seront à nouveau regroupés dans un seul campus, soit celui de l’immeuble de l’ancien Institut Louis-Braille, à Longueuil.

Puis, en 1979, le gouvernement québécois régionalise les services d’éducation adaptés aux enfants aveugles et semi-voyants. Les enfants résidant dans les régions de l’ouest de la province sont désormais pris en charge par la Commission scolaire de Chambly. Cette réforme entraine la fin de l’œuvre éducative à l’Institut Nazareth et Louis-Braille, transformant ainsi le mandat de l’organisme, qui se consacre depuis à la réadaptation. Installé au 1111, rue Saint-Charles, à Longueuil, et intégré au CISSS (centre intégré de santé et de services sociaux) de la Montérégie-Centre, l’Institut Nazareth et Louis-Braille offre aujourd’hui divers services de réadaptation aux personnes ayant une déficience visuelle résidant dans les régions de Montréal, de la Montérégie et de Laval.

Références bibliographiques

COMMEND, Susanne. Les Instituts Nazareth et Louis-Braille, 1861-2001 : Une histoire de cœur et de vision, Québec, Septentrion, 2001, 326 p.

PATRIMOINE IMMATÉRIEL RELIGIEUX DU QUÉBEC. « L’éducation aux aveugles à l’Institut Nazareth », [En ligne], Récit de pratique culturelle.
http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=378

TRUDEAU, Nicole. « Institut Nazareth », [En ligne], Encyclopédie canadienne, 16 décembre 2013.
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/institut-nazareth