Le 11 juillet 1940, Conrad Poirier photographie une troupe de théâtre sur les quais du club d’aviron de Lachine. Pour les amateurs de théâtre d’été, les jeunes artistes allègent le climat de guerre.
Le « désir du rivage », si l’on reprend l’expression de l’historien français Alain Corbin, prend tout son sens à Lachine. Sur les rives du lac Saint-Louis, ce site splendide de l’archipel montréalais est depuis longtemps un point de transit important pour la navigation, notamment depuis la construction du canal de Lachine au XIXe siècle. En plus de l’important trafic maritime, la navigation de plaisance prend son essor dans le secteur, par l’entremise d’associations nautiques comme le club d’aviron de Lachine. Des courses de régates au théâtre d’été : les rives de Lachine attirent les Montréalais dès les premiers jours de l’été.
Les phares du lac Saint-Louis
Dans le secteur de Lachine, la navigation n’a jamais été aisée. Au fil du temps, les Montréalais ont su doter cette zone de repères visuels. Ceux-ci étaient en effet nécessaires pour éviter les rapides du fleuve Saint-Laurent en empruntant l’étroit canal de Lachine et pour rendre moins hasardeuse la manœuvre sur le lac Saint-Louis aux multiples hauts fonds et courants contraires. Le premier bateau-phare moderne est amarré toute l’année au large de Pointe-Claire en 1863 sur le haut fond Gut au sud de la Pointe Charlebois.
Lors de l’apogée économique du port de Montréal, au tournant des XIXe et XXe siècles, la sécurité du transport maritime devient une priorité. En plus des six bateaux-phares balisant le chenal sur le lac Saint-Louis, on aménage deux phares portuaires de chaque côté de l’étroite entrée ouest du canal de Lachine. De nos jours, les iconiques phares jumeaux du parc Saint-Louis de Lachine sont les dernières balises toujours existantes datant de cette période faste où des dizaines de bateaux transitaient chaque jour par le canal.
Si les balises du lac Saint-Louis aident à la navigation commerciale, elles facilitent aussi les activités de plaisance, comme l’aviron.
Une passion historique pour l’aviron
Club aviron Lachine
La Deuxième Guerre mondiale affecte toutefois les activités de l’association. En 1942, le conseil d’administration vient à la conclusion qu’il n’y a plus suffisamment de jeunes hommes pour assurer une membriété suffisante, la plupart contribuant à l’effort de guerre. Comme les activités et les dons sont en déclin, le pavillon du club d’aviron fait l’objet d’une donation à l’Université McGill. Les finances de l’association restant incertaines, elle n’est pas en mesure de reprendre possession du pavillon à la fin de la guerre. Le club d’aviron est alors l’ombre de lui-même : 10 des 90 membres du club d’aviron recrutés par l’armée ont été tués au combat outre-mer. L’Université McGill vend en 1950 le pavillon au Lachine Anglers Club. La membriété est alors en baisse constante, plus qu’une trentaine de rameurs, dont une vingtaine étudiants, font partie de l’association en 1954. En 1962, le Lachine Anglers Club ne renouvelle pas le bail du club d’aviron, le forçant à déménager son équipement et, ultimement, à cesser ses activités, 99 ans après sa fondation.
Si l’aviron a connu un déclin, l’intérêt se réveille tranquillement au fur et à mesure des années, notamment avec les Jeux olympiques de Montréal en 1976. Le lac Saint-Louis étant un lieu idyllique pour la pratique de l’aviron, des passionnés font renaître l’organisation en 1997. Poursuivant la tradition initiée en 1863, le nouveau club d’aviron propose différents services autant pour les femmes que pour les hommes : des cours d’initiation au camp de jour en passant par la pratique de l’aviron de mer dans les rapides de Lachine. L’un de ces passionnés de l’aviron, Richard Cabana, redécouvre les archives du Lachine Rowing Club. En 2013, il publie un livre sur l’histoire du club depuis les débuts en 1863, célébrant avec fierté le 150e anniversaire de l’aviron au Québec.
Les rives de Lachine n’attirent pas uniquement les activités liées à la navigation. Le site riverain est le parfait décor pour accueillir l’un des premiers théâtres d’été au Québec. Allons à la rencontre de ces jeunes acteurs qui tentent l’expérience au début des années 1940.
Théâtre d’été à l’ombre du phare de Lachine
Lachine - troupe de comédiens
Prise en juillet 1940, une photographie montre des acteurs sur le quai du phare à Lachine. Ils goûtent régulièrement à la brise du lac Saint-Louis entre deux répétitions. Propriétaire du spacieux pavillon, le Lachine Rowing Club le loue à la troupe de théâtre d’été. Grâce aux 1000 dollars prêtés par Peggy, « Pegs », la mère de l’actrice Gillian Hessey-White, les artistes ont un toit pour jouer la comédie, beau temps, mauvais temps. S’inspirant du théâtre d’été présenté en Nouvelle-Angleterre, ce mouvement artistique prend son essor au Québec. La troupe de Lachine est l’une des pionnières.
Quelques jours après la prise de cette photo, la saison du Montreal Lakeshore Summer Theater est inaugurée dans ce lieu enchanteur. Rire et émotions fortes sont au rendez-vous avec la comédie Distaff Side et le thriller Night Must Fall. Aux dires des chroniqueurs artistiques de la Montreal Gazette, la première saison est un succès. Le public en redemande, bien que quelques-uns s’offusquent du ton satirique de certains dialogues théâtraux critiques envers un contexte de guerre s’intensifiant. Malgré l’appui du public, le théâtre cesse les représentations en septembre 1942 : le rationnement d’essence rend difficile le déplacement des spectateurs à Lachine.
Pour les jeunes acteurs et actrices de la photographie, c’était le début d’une carrière dans le show-business. Ainsi, le jeune homme sur la droite de la photo, Herbert Whittaker, deviendra un critique de théâtre bien connu. Bien que brève, cette expérience pionnière de théâtre d’été aux abords du lac Saint-Louis est un succès.
Sans contredit, le parc Saint-Louis a été le point de convergence de nombreuses activités à travers le temps : de la navigation commerciale à celle de plaisance, en passant même par le théâtre d’été. Lieu de commerce et de villégiature, Lachine tire son attrait de son accès privilégié au rivage du lac Saint-Louis.
L’auteure remercie la Société d’histoire de Lachine et le Club d’aviron de Lachine pour leur collaboration.
Cet article est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 6 septembre 2015. Il a été enrichi pour sa publication dans Mémoires des Montréalais.