Dans le cadre d’un projet sur les liens familiaux et la place des aïeuls au sein de la communauté portugaise de Montréal, des grands-parents témoignent de ce qui les unit à leurs petits-enfants. Ici, le témoignage de Manuela Marujo.
Dans le cadre de l’exposition Fil de tendresse, fio de ternura, Joaquina Pires est allée à la rencontre de grands-parents et de petits-enfants luso-montréalais, accompagnée de Fernando dos Santos, photographe, et de Francisco Peres, vidéaste. Plusieurs ont généreusement témoigné. Ici, retrouvez les mots de Manuela Marujo, grand-mère de quatre petits-enfants dont deux petites-filles nées en 2012 et en 2014.
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Manuela Marujo
Une liste infinie de mots doux, que l’amour que l’on voue aux petits-enfants nous permet facilement de trouver pour nous exprimer. Ce sont des expressions de tendresse, de câlins, un langage du cœur difficile à restituer dans une langue seconde et qui sonne faux lorsqu’on essaie de le traduire. Le langage de l’affection est celui qui nous vient spontanément dans notre langue maternelle.
Les grands-parents issus de l’immigration ou encore ceux qui voient rarement leurs petits-enfants, parce qu’ils habitent loin ou même à l’étranger, doivent choisir une langue de communication avec leurs petits-enfants. Ceux qui parlent couramment les deux langues peuvent se poser des questions telles que : Quelle langue vais-je utiliser avec mes petits-enfants lorsqu’ils seront encore tout jeunes? Dois-je choisir la langue du pays où ils sont nés et où ils risquent de vivre? Dois-je renoncer à leur parler dans leur langue d’origine et à leur transmettre cette richesse culturelle? Apprendre la langue maternelle de leurs grands-parents, même si c’est de manière passive, sera-t-il avantageux dans leur vie?
Les situations sont multiples et complexes, et cette courte réflexion m’amène à effleurer certaines préoccupations auxquelles je suis confrontée tout comme d’autres grands-parents.
Une grande tolérance linguistique
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Tout comme moi, beaucoup de grands-parents qui se sentent obligés de transmettre leur patrimoine linguistique et culturel à leurs descendants sont profondément isolés. Ceci est encore plus vrai lorsque les parents des enfants ne se donnent pas cette priorité ou encore quand eux-mêmes sont peu outillés pour enseigner leur langue d’origine à leur progéniture. Dans cette perspective, le grand-père ou la grand-mère se retrouvent seuls dans cette difficile mission. De leur côté, certains enfants peuvent développer un lien moins fort avec ceux ou celles qui parlent une langue « étrange », surtout lorsqu’elle est différente de leur propre langue maternelle.
J’ai quatre petits-enfants. Avec deux de mes petites-filles, j’ai des contacts plus assidus, tandis que je vois moins souvent les deux autres. Je constate qu’il existe une grande différence de compréhension entre celles avec qui je suis plus souvent en contact et les deux autres. Avec ces derniers, dont la langue de la mère n’est pas le portugais, j’ai dû me résigner à parler en anglais, car, lorsque je leur parlais en portugais, ils se renfermaient dans un silence très contraignant, sans réagir ni interagir.
Un choix épineux
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Ainsi, je comprends parfaitement et je ne juge point les grands-parents qui, dans une situation semblable, choisissent de parler avec leurs petits-enfants dans la langue du pays de résidence afin de se sentir plus proches d’eux. C’est difficile d’être persévérant, et la seule certitude qui justifie mon comportement inébranlable, c’est ma conviction profonde que le patrimoine linguistique que je leur lègue a une valeur inestimable.
Ayant choisi de parler portugais avec mes deux petites-filles, je sais que l’apprentissage passif de la langue se fera et j’espère un jour pouvoir leur parler dans une ou l’autre de nos deux langues. Cette langue de tendresse qui sort naturellement lorsque j’ouvre la bouche, je l’enrichis avec des chansons, des comptines, des jeux et des lectures. J’ai bon espoir qu’elle pourra un jour se transformer et devenir une autre forme de pensée et d’appréhender le monde.
Par Manuela Marujo (témoignage écrit en 2016)