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Expo 67 et l’exploration spatiale

11 juin 2018

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La conquête de l’espace fut un des thèmes favoris des visiteurs d’Expo 67. Et, malgré la volonté des organisateurs, la rivalité entre les États-Unis et l’URSS occupa le cœur des présentations.

Expo 67 - Roger La Roche (CAN_A_MT1967-PH-62)

Intérieur du pavillon des États-Unis à Expo 67
Collection personnelle Roger La Roche
Dès le début de la planification des pavillons thématiques, Pierre Dupuy rêvait qu’un d’entre eux soit consacré à l’exploration spatiale et regroupe les efforts de tous les pays, en particulier les programmes des États-Unis et de l’URSS. Pour le commissaire général, la course à la Lune ne devait pas être l’objet d’une présentation par pays, mais plutôt d’une exposition conjointe démontrant que la découverte de notre système solaire devait se faire dans la solidarité et apporterait l’espoir à l’humanité.

Dupuy voulait à tout prix éviter une approche compétitive entre les deux grands acteurs de la guerre froide, les États-Unis et l’URSS. Mais ces pays refusèrent de participer à cette expérience et préférèrent faire étalage de leurs savoirs et de leurs réussites dans leur pavillon respectif. Sur les îles d’Expo 67, la guerre froide a été ressentie au travers non pas des tensions géopolitiques de l’époque, mais de la promotion des réussites et ambitions aérospatiales des deux factions s’opposant de part et d’autre du chenal Le Moyne. Le commissaire général de l’Exposition dut se contenter d’un pont symbolique — la passerelle du Cosmos, reliant les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame…

Cependant, un des thèmes retenus par la direction de l’Exposition, L’Homme explore l’Univers, reprenait la thématique de l’exploration spatiale, avec une approche plus « encyclopédique ». Dans le sous-thème L’Homme, la planète et l’espace, on trouvait surtout des expositions sur l’astronomie et l’astrophysique, la conquête spatiale y avait une place de choix, mais dans une approche plus générique et surtout apolitique.

L’exploration spatiale impressionne

Expo 67 - Roger La Roche (CAN_A_MT1967-PH-393)

Intérieur du pavillon de l'URSS
Collection personnelle Roger La Roche
Il faut se rappeler qu’en 1967, la course à la Lune était un des sujets de conversation privilégiés des visiteurs. En effet, la section la plus impressionnante du pavillon des États-Unis demeurait celle de l’exploration spatiale : on y voyait de véritables capsules spatiales provenant des projets Mercury, Gemini et Apollo ainsi qu’un satellite Surveyor et une maquette grandeur nature du LEM (le module lunaire qui serait utilisé lors des missions Apollo 11 à 17 pour alunir). Le pavillon soviétique avait lui aussi un étalage impressionnant de satellites (pour la plupart des maquettes d’astronefs n’ayant jamais été lancés) ainsi qu’une réplique grandeur nature du module Vostok 1 qui permit à Youri Gagarine d’être le premier homme dans l’espace. De plus, on trouvait dans ce pavillon une documentation abondante et très intéressante sur les recherches et les réussites spatiales de l’URSS. La France, le Canada avaient également une section réservée à l’exploration spatiale — la France avec sa fusée Diamant et le Canada avec son satellite Alouette, entre autres.

La découverte de l’Univers était donc au centre de l’attention, pourtant l’année 1967 a été lourde de conséquences pour les programmes spatiaux américain et soviétique. Le premier vol avec un équipage du programme Apollo, initialement identifié comme AS-204 puis renommé Apollo 1, devait être lancé le 21 février 1967. Il s’agissait de la quatrième mission du programme Apollo et de la première avec un équipage à bord. Le 27 janvier 1967, les trois astronautes (Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee) effectuent des tests à bord de la capsule. Le vaisseau Apollo placé dans la tour de service au sommet de son lanceur est fermé de manière hermétique avec son équipage en scaphandre à l’intérieur, les liaisons avec l’extérieur sont physiquement débranchées tandis que les communications ne se font plus que par radio. Ce test est une étape essentielle, car il permet de s’assurer que le vaisseau est capable de fonctionner de manière autonome.

Mais, dès le début du test, plusieurs problèmes surgissent. Au bout de cinq heures, une surtension dans le circuit électrique est constatée. Dix secondes plus tard, Chaffee pousse un cri, puis White annonce qu’il y a le feu dans le cockpit. Six secondes après, on entend Chaffee s’exclamer qu’il y a un incendie. On entend un dernier cri : « Je suis en train de brûler! ». Puis les communications sont interrompues. Il ne s’est écoulé que 15 secondes depuis le signalement de l’incendie. Les trois astronautes périssent de façon atroce. Une enquête est immédiatement demandée et le programme Apollo est arrêté jusqu’à la conclusion de celle-ci. Alors que l’Expo 67 ouvre ses portes, on ne sait toujours pas si les États-Unis pourront reprendre les vols à court terme.

Les défis des programmes spatiaux américain et soviétique

Expo 67 - Roger La Roche (CAN_A_MT1967-PH-64)

Intérieur du pavillon des États-Unis à Expo 67
Collection personnelle Roger La Roche
L’objectif de redémarrage pour 1970, suggéré par le président John Kennedy, semble peu probable, et c’est avec un mélange d’enthousiasme et de pessimisme que le visiteur explorait la section du pavillon américain consacrée à la conquête de l’espace. (En fait, le programme a repris en novembre 1967 avec le vol d’essai du lanceur Saturne V. Le 11 octobre 1968, après deux autres tests, le vol Apollo 7 décolle. Il s’agit du premier vol habité, avec à son bord trois astronautes, Donn Eisele, Walter M. Schirra et Walter Cunningham.)

Du côté soviétique, ce fut tout aussi dramatique. Profitant de l’ouverture d’Expo 67 pour faire un coup d’éclat, la Russie mit en orbite son premier Soyouz habité le 23 avril, quelques jours avant l’ouverture de l’exposition. Il s’agissait du Soyouz 1, avec le colonel Vladimir Mikhailovich Komarov à bord. Les Soviétiques voulaient faire d’une pierre deux coups : profiter de leur présence à l’Expo pour montrer sous un jour favorable leur réussite spatiale, ce qui serait un pied de nez aux Américains, et mettre de l’avant leur participation à l’Expo, un atout pour la propagande du parti lors des célébrations du 1er mai à Moscou.

La mission prévoyait le lancement de Soyouz 1 le 23 avril puis, le lendemain, la mise en orbite de Soyouz 2, avec à son bord trois autres cosmonautes : Valeri Bykovski, Levgueni Khrounov et Alekseï Lelisseïev. Lors d’une rencontre en orbite, deux des cosmonautes de Soyouz 2 devaient effectuer une sortie extravéhiculaire vers Soyouz 1. Mais le vol de Soyouz 1 ne s’est pas bien passé. Les problèmes commencèrent peu après le lancement. Un de ses panneaux solaires ne put se déplier, provoquant un manque de puissance pour le système du vaisseau, et des détecteurs d’orientation défectueux compliquèrent aussi sa manœuvrabilité. L’équipage de Soyouz 2 aurait pu réparer le panneau solaire de Soyouz 1, mais une mauvaise météo à Baïkonour empêcha son lancement. Avant que l’on puisse mettre en orbite les trois autres cosmonautes, les problèmes techniques de Soyouz 1 provoquèrent le désorbitage de celui-ci. Le vaisseau devint incontrôlable et le parachute principal ne s’ouvrit pas. Le parachute de secours, déployé manuellement, s’entortilla, ne freinant pas la chute du vaisseau. Komarov fut tué par l’impact à l’atterrissage. Les Soviétiques arrêtèrent les vols habités jusqu’à la conclusion des enquêtes et ne purent reprendre les vols avant le 14 janvier 1969, alors que Soyouz 4 et 5 réalisèrent les objectifs de la mission de Soyouz 1 et 2.

Les États-Unis et l’URSS ne firent pas grand cas dans leur pavillon respectif de ces accidents mortels ni de la perte de leurs astronautes — mais les visiteurs avertis savaient très bien que les programmes spatiaux les plus importants étaient en arrêt.

Le pavillon L’Homme, la planète et l’espace

Expo 67 (CHM.62)

Carte postale montrant une vue extérieure de L'Homme interroge l'Univers
Centre d'histoire de Montréal. 62.
C’est dans ce cadre que les présentations du pavillon L’Homme, la planète et l’espace furent aménagées; évidemment, comme la planification de celui-ci s’est effectuée avant les accidents, on n’y mentionnait pas du tout ces « incidents » malheureux. Les objectifs du pavillon étaient de fournir aux visiteurs une meilleure connaissance de leur propre planète ainsi que de l’espace immédiat (pour ne pas dire le « voisinage ») de leur système solaire. Bien sûr, on y présenta l’exploration spatiale comme étant le futur de l’humanité, mais sans faire mention de la « course à la Lune » qui était pourtant dans l’imaginaire de tout un chacun.

Pour cela, on divisa le pavillon en trois sections : L’Homme au sein de la Terre; L’Homme sur la Terre et L’Homme au-dessus de la Terre. La principale visée du pavillon, telle que définie en 1965, se décline ainsi : « Chacune de ces présentations renseignera le visiteur, tout en faisant ressortir la façon dont l’homme tire profit de son entourage immédiat, les effets que produit sur l’homme son milieu ambiant, ainsi que le rôle qui lui est dévolu de transformer la nature et son milieu. » Bref, on tient à une présentation scientifique, mais dans un cadre d’exploitation des ressources. Le système solaire y était présenté comme un bassin potentiellement inépuisable de ressources minières et d’énergie. On demeurait loin du premier pas symbolique de l’homme sur un corps céleste autre que le sien! Nous n’étions pas encore à l’étape d’une réflexion sur « l’Univers des Hommes ».

Cependant les visiteurs furent conquis, tout autant par les présentations des pavillons américain et soviétique que par la découverte des programmes aérospatiaux français et canadien. Et, deux ans plus tard, le dimanche 20 juillet 1969, sur le site de Terre des Hommes, plusieurs visiteurs purent voir en direct, grâce à une multitude de postes de télévision installés sur place (y compris à La Ronde!), l’alunissage de Neil Armstrong et Buzz Aldrin, les deux astronautes d’Apollo 11.