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Être policier à Montréal (1940-1960)

09 septembre 2019

Les critiques portées contre la police de Montréal dès les années 1940 culminent lors de l’enquête Caron. La professionnalisation du métier de policier règlera progressivement plusieurs problèmes.

« En 1959, mon premier sergent m’a dit : “Si tu veux ça aille bien dans la police, t’as trois choses à faire : pogne des voleurs, donne des tickets pis ferme ta gueule!” » – Robert Côté, policier inspecteur-chef retraité, conseiller du Musée de la police

Scandale - scène de crime

Photographie en noir et blanc, en plongée, montrant un policier passant un pinceau sur un combiné de téléphone.
Musée de la police de Montréal

Voilà le genre d’affirmation qui peut faire sourciller aujourd’hui, mais qui était plutôt commune au milieu du XXe siècle, avant la professionnalisation du service de police qui se fera au cours des décennies suivantes.

Vivement critiqué en 1944 par la commission royale d’enquête présidée par le juge Lucien Cannon, le Service de police de Montréal évolue dans un contexte compliqué. À Montréal, les années 1940 et 1950 se vivent sous le signe de la pègre et du « vice commercialisé ». Les policiers patrouilleurs et enquêteurs trouvent parfois la ligne bien mince entre leurs devoirs et l’appât facile du gain… d’autant plus qu’ils sont bien mal payés pour leurs services!

La Deuxième Guerre mondiale ne fait qu’exacerber les problèmes de recrutement auxquels font face les administrations policière et municipale. En effet, selon la loi, seuls les policiers affectés à un corps de police fédéral ou provincial sont exempts du service militaire. Les policiers municipaux de Montréal sont donc rapidement appelés sous les drapeaux, vidant ainsi les rangs déjà clairsemés. La guerre apporte également son lot de complications, notamment l’augmentation des écarts de conduite, qui rendent encore plus complexe la tâche des policiers montréalais. Il n’y a qu’à penser aux nombreux militaires en permission qui s’enivrent sur la voie publique et qui fréquentent les maisons closes de la ville… Pour tenter de remédier à la situation à court terme, les autorités permettent, en 1945, une embauche plus importante de cadets-constables et de policiers démobilisés des forces armées, de plus elles diminuent leurs attentes en matière de forme physique.

Recrutement et formation problématiques

« Il y avait une méthode qui s’appelait le ‟CQCR” : claque-question, claque-réponse. » – Sylvain Bissonnette, commandant au SPVM et historien de la police

Policier 1959

Un policier tend la main à un jeune policier fraîchement diplômé. D’autres policiers sont autour d’eux en plein air dans un parc.
Collection personnelle de Robert Côté
L’obstacle principal à ce problème de recrutement est bien simple : il s’agit d’une question d’argent. En effet, les salaires des policiers sont très bas à l’époque : environ 3300 dollars annuellement. C’est peu, surtout lorsque l’on considère les risques associés au travail. Pendant les conflits outre-mer, un employé d’usine gagne mieux sa vie qu’un constable. La paie ne suffisant pas, plusieurs policiers n’hésitent pas à combiner plusieurs emplois, et ce, même si cela n’est pas permis.

La formation manque de rigueur, et les nouveaux policiers apprennent bien souvent sur le tas. De 1920 à 1960, l’école de police de la Ville de Montréal se trouve au bain Morgan dans Hochelaga-Maisonneuve. La durée de la formation est de trois mois incluant des stages pratiques dans les postes la fin de semaine. Les murs verdâtres, l’odeur de désinfectant et de fumée de cigarette et le bruit de plus en plus accru des téléphones et des radios donnent aux nouvelles recrues un avant-goût de ce qui les attend.

Lors de leur formation, ces dernières reçoivent des cours de secourisme, font du conditionnement physique et des exercices militaires au parc Maisonneuve, en plus d’assister à des cours spécialisés notamment sur le Code criminel, le Code de la sécurité routière, les lois provinciales et les règlements municipaux. Les cours de tir se donnent au sous-sol du bain Morgan. La remise des diplômes a lieu au parc Maisonneuve. Les nouveaux policiers portent fièrement leur uniforme, mais sans leur insigne et leur arme de service, qu’ils recevront le lendemain lors de leur assermentation à la cour municipale.

Arrivées dans les différents postes de la ville, les recrues sont affectées au « beat », la patrouille à pied qui sillonne les rues. Les arrestations sont musclées, et les policiers doivent souvent compter sur la collaboration des citoyens pour amener le coupable à la boîte téléphonique du coin, qui permet de communiquer avec le poste et d’envoyer une voiture afin de mettre le délinquant en détention. Les scènes de crime et les enquêtes sont réservées aux policiers chevronnés. L’encadrement est plutôt laxiste et les promotions sont possibles si l’on connaît quelqu’un de bien placé. Ces conditions sont favorables à la tolérance et à la corruption au sein des effectifs policiers.

Du nouveau pour la police!

C’est au cours de cette période que le Service de police de la Ville de Montréal parvient à se syndiquer. Après plusieurs tentatives, une première convention collective est signée en 1944. Toutefois, des changements apportés aux règlements provinciaux entraînent, en 1950, la résiliation de la première convention et la signature d’une autre entente entre la Ville et la Fraternité des Policiers de Montréal, nouvellement formée.

En plus du syndicat, une autre nouveauté marque la police au milieu du XXe siècle : la création d’une première unité de policières. Affectées à l’escouade de la moralité juvénile (qui devient le Bureau préventif en 1948), ces policières ont pour but la prévention de la délinquance juvénile et la protection des jeunes. L’escouade ne compte que cinq personnes en 1941, mais ses effectifs montent en flèche après la guerre et atteignent 80 personnes en 1952. De ce nombre, 20 sont des femmes, dont 2 sergentes policières.

La police au banc des accusés

Menottes

Photographie en couleurs d’un objet métallique comptant deux anneaux pour les poignets qui sont reliés par une chaîne.
Musée de la police de Montréal

La proximité des policiers avec le monde interlope dans le cadre de leurs fonctions, mais aussi de leur vie quotidienne, crée une zone grise où règne une tolérance envers les activités illicites. La population, représentée par Pax Plante et l’escouade de la moralité, ne saurait en souffrir davantage, il faut que les choses changent.

L’enquête Caron (tenue de 1950 à 1953) met le Service de police de la Ville de Montréal sur la sellette. Au total, ce seront 58 officiers ou ex-officiers (incluant les directeurs Dufresne et Langlois) qui seront accusés. De ce nombre, une vingtaine sont mis à l’amende ou jugés indignes d’occuper des fonctions officielles. Il s’agit là d’un sévère coup sur les doigts. L’enquête aura comme conséquences la professionnalisation du métier de policier, qui caractérise les années 1970, ainsi que l’instauration d’une réelle indépendance entre le corps de police municipal et les autorités gouvernementales.

Références bibliographiques

CHARLEBOIS, Catherine, et Mathieu LAPOINTE (dir.). Scandale! Le Montréal illicite 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, 272 p.

TURMEL, Jean, et Yolande FRENETTE. Le Service de police de la cité de Montréal (1909-1971) : étude rétrospective sur son organisation, Montréal, s. é., 1974, 271 p.