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Bethune le communiste, de Montréal à Madrid

17 février 2019
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La Grande Dépression amène Bethune à repenser le rôle de l’État dans le système de santé. Puis un voyage en URSS lui confirme que d’autres modèles sociopolitiques sont possibles.

Bethune en Espagne

Photo en noir et blanc d'un médecin et d'une infirmière devant une camionnette.
Bibliothèque et Archives Canada. PA-160591.
La Grande Dépression des années 1930 provoque de violentes confrontations entre le libéralisme, la social-démocratie, le communisme et le fascisme. Jusqu’en 1934, Norman Bethune manifeste peu d’intérêt pour la chose. Son engagement social s’exprime plutôt par la création d’une clinique au YMCA de Verdun. Chaque samedi, il y soigne gratuitement les familles des chômeurs de ce quartier ouvrier durement éprouvé par la crise économique.

En août 1935, Bethune participe à un congrès international de médecine à Leningrad, en URSS, en compagnie d’éminents collègues tels Hans Selye et Frederick Banting. Il profite de l’occasion pour visiter les cliniques, les sanatoriums et les hôpitaux. La Russie postrévolutionnaire l’impressionne : « Le spectacle le plus fascinant qui se soit produit sur cette terre depuis la Renaissance. » Il demeure néanmoins réticent face à un communisme qu’il qualifie de « religion moderne ».

De retour à Montréal, il refuse la présidence de l’association Les Amis de l’Union soviétique. Il n’est pas persuadé que le communisme constitue la solution au problème, mais il avoue à son amie Marian Dale Scott un irrésistible besoin de faire quelque chose. Alors qu’une jaunisse le force au repos, il en profite pour lire Karl Marx. La conversion idéologique de Bethune est en cours : en novembre 1935, il devient secrètement membre du Parti communiste, alors frappé d’illégalité. Il approfondit sa connaissance du marxisme en assistant aux conférences des leaders du Parti, Stanley Bréhaut Ryerson et Fred Rose, et en fréquentant la librairie marxiste de la syndicaliste Léa Roback.

Une médecine en crise

Bethune en Espagne

Photo en noir et blanc de deux médecins faisant une transfusion sanguine à un blessé, et une infirmière et un homme sont de l'autre côté du lit.
Bibliothèque et Archives Canada. C-067451.
Bethune aime associer la théorie, l’observation et l’action. La médecine à but lucratif lui offre un champ de bataille familier. Comme l’économie capitaliste, la médecine basée sur la concurrence et le profit individuel lui semble en crise. Des médecins sont inactifs et sous-payés pendant que des milliers de malades sont incapables de payer leurs services. En ces temps de crise, l’intervention des gouvernements devient plus acceptable. Pour Bethune, il faut sortir la médecine de la charité « qui avilit celui qui la donne, tout en corrompant celui qui la reçoit ». Il rêve de lancer un mouvement pour faire la promotion d’un système de santé publique. Le moment est bien choisi : la Ville de Montréal s’apprête à créer un programme municipal de santé pour les chômeurs.

En décembre 1935, dans son appartement de la rue du Fort, il réunit à ses côtés le docteur Shister, cardiologue du Women’s General Hospital, le docteur MacLeod, jeune médecin en pratique privée, et Libbie Park, infirmière pour des consultations externes. Ils deviennent rapidement le Montreal Group for the Security of the People’s Health (Groupe montréalais pour la protection de la santé publique), et rédigent un manifeste proposant, entre autres, la création d’un programme d’assurance-maladie universel, l’uniformisation du régime d’emploi du personnel soignant et des mesures préventives. Le document est lancé en pleine élection provinciale, en 1936. Mais déjà, Bethune a l’esprit ailleurs et songe à l’Espagne, là où se joue le sort du monde.

Juillet 1936. La guerre civile vient d’éclater et Madrid la Républicaine est menacée par les troupes du général Franco. Touché, Bethune forme un comité d’aide à la démocratie espagnole. Il quitte ensuite son emploi pour aller travailler comme médecin aux côtés des forces républicaines antifranquistes, sans même connaître l’espagnol!

Médecin de guerre

Bethune 1937

Une foule à l'extérieur d'une gare
Bibliothèque et Archives Canada. C-074974.
Bethune arrive à Madrid en novembre, avant l’offensive brutale des nationalistes. Il assiste à la résistance farouche des Madrilènes, soutenus par le 5e régiment communiste et les premières unités des Brigades internationales, formées par des sympathisants communistes du monde entier. Préférant le champ de bataille au travail anonyme dans un hôpital, il met sur pied, en quelques semaines, un service motorisé de transfusion sanguine qui affiche fièrement son origine nationale, Servicio Canadiense de Transfusión de Sangre. Avec l’aide de l’architecte montréalais Hazen Sise, du journaliste Henning Sorensen et de nombreux Espagnols, Bethune apporte du sang aux soldats blessés sur les lignes de combat, ce qui lui vaut le grade honorifique de commandante, médecin-major, le plus haut titre jamais conféré à un étranger dans le corps médical espagnol. Les Alliés et la Croix-Rouge s’en inspireront par la suite.

Bethune s’illustre en Espagne comme un propagandiste redoutable, employant tous les moyens modernes de communication (journaux, radio, film). Il invente, bouscule les conventions et vit intensément, suscitant admiration et irritation. Des conflits de personnalités, des disputes professionnelles et des querelles administratives sur fond de paranoïa politique poussent ses collègues à réclamer son départ. Le service de transfusion est intégré à l’armée républicaine et Bethune renvoyé au Canada.

À son retour au pays, en juin 1937, on lui demande d’entreprendre une campagne en faveur de la cause républicaine qui l’amène aux quatre coins de l’Amérique du Nord avec le film Heart of Spain. Son charisme et sa sincérité augmentent le recrutement des Brigades internationales, attirent les dons et les médias. Il en profite pour rendre publique son adhésion au Parti communiste.

Ce texte est tiré de l’exposition Les aventures de l’imprévisible Dr Bethune présentée par le Centre d’histoire de Montréal du 17 novembre 2009 au 29 août 2010.