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Auguste-Joseph de Bray et l’École des hautes études commerciales de Montréal

02 juin 2017
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Fraichement arrivé de Belgique, Auguste-Joseph de Bray lance, en 1910, le premier programme universitaire canadien en sciences commerciales. L’École des hautes études commerciales de Montréal est née.

Auguste-Joseph de Bray

Portrait d'Auguste-Joseph de Bray.
Albert Dumas. Archives-HEC Montréal. Fonds Rodolphe Joubert. A007/XPH, 0063.
La bourgeoisie francophone de Montréal voit grand lorsqu’elle décide de fonder, au début du XXsiècle, une école de commerce. Du jamais vu au Canada. Elle cherche à se doter d’un institut qui formera des hommes d’affaires pouvant être compétitifs dans un monde économique qui se complexifie. Pour ce faire, elle s’inspire de l’Europe où elle va recruter son premier directeur.

Aux origines d’une idée

À la fin du XIXe siècle, Montréal est la métropole financière et industrielle du Canada. La bourgeoisie francophone, bien que très active, demeure dans l’ombre de l’élite économique anglophone. Cette dernière est reconnue pour détenir d’importantes sociétés, comme le Canadien Pacifique ou la Banque de Montréal. Elle contrôle aussi le Montreal Board of Trade où les francophones se font rares. Ceux-ci décident de constituer, en 1886, la Chambre de commerce de Montréal.

École des hautes études commerciales de Montréal

L'École des hautes études commerciales de Montréal sur la rue Viger, au coin de Saint-Hubert.
Archives de la Ville de Montréal. VM94, SY, SS1, SSS17, D119

À la même époque, les écoles de commerce sont déjà bien implantées dans plusieurs pays d’Europe. Du côté des États-Unis, elles sont en pleine éclosion. En 1890, Damase Parizeau, marchand de bois et cofondateur de la Chambre, lance l’idée de créer une école de commerce. Il faut toutefois attendre l’élection de Lomer Gouin, en 1905, pour voir le projet se réaliser. Ami du milieu d’affaires francophone, le premier ministre Gouin prend sous son aile l’ambitieuse entreprise. En 1907, une loi est adoptée pour l’ouverture de l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC), un établissement de niveau universitaire.

Un recrutement outremer

École des hautes études commerciales de Montréal

Édouard Montpetit et les étudiants de la troisième promotion de l’École des HEC dans une salle de classe.
Archives-HEC Montréal. Fonds du Directorat. P005/XPH, 0010.
Les membres de la Chambre de commerce de Montréal sollicitent leurs contacts européens pour recruter le futur directeur, appelé « principal ». Leur dévolu tombe sur un Belge, Auguste-Joseph de Bray. Du haut de ses 33 ans, il impressionne par son curriculum vitae et son parcours académique. De « hauts personnages » de Belgique le recommandent.

Dans une entrevue réalisée avant son départ en 1908, l’enthousiasme de De Bray est palpable. Il dit vouloir s’inspirer du meilleur des instituts européens. En plus de l’école, il souhaite annexer un musée, un bureau de renseignement commercial, une revue et une bibliothèque. De Bray développe un programme d’études sur trois ans et recrute le corps professoral. Sans surprise, quelques Européens se joignent à l’équipe.

Des bâtons dans les roues

Henry Laureys

Portrait d’Henry Laureys.
Archives-HEC Montréal. Fonds du Directorat. A007/XPH, 0038.
Pendant que De Bray s’affaire à lancer l’école des HEC, le premier ministre Gouin doit défendre son précieux projet face à l’opposition des nationalistes conservateurs gravitant autour d’Henri Bourassa et du journal Le Devoir. Ces derniers dénoncent les importantes dépenses encourues pour l’ouverture et le fonctionnement de l’établissement. Le caractère non confessionnel de l’institut dérange également. L’Église hésite à recommander le nouveau programme aux finissants de ses collèges classiques. Cette mauvaise presse porte un coup dur aux inscriptions.

À l’interne, des tensions s’éveillent entre De Bray et Isaïe Préfontaine, président du bureau de direction de l’école. Ce dernier insiste pour orienter le programme vers une formation pratique. Au contraire, De Bray tient mordicus à conserver le niveau universitaire de son institut : « […] en réduisant la partie scientifique déjà trop peu importante […] et en augmentant la partie pratique, l’École cesse d’être un établissement d’instruction supérieur et devient une académie commerciale. Elle formera des employés subalternes au lieu de former des hommes d’affaires. » Les méthodes de gestion financière de De Bray sont aussi en cause. En écho, de mauvaises langues racontent que le principal néglige d’aller à la messe…

Démission et succession

École des hautes études commerciales de Montréal

Groupe d'étudiants, vu de dos, dans la salle des sciences géographiques, immeuble rue Viger.
Archives-HEC Montréal. Fonds du Directorat. A007/XPH, 0013.
En avril 1916, De Bray envoie sa lettre de démission au premier ministre Gouin. Dans celle-ci, il dit vouloir aller contribuer à la reconstruction de la Belgique en plein conflit mondial. Après son mandat, il demeure à Montréal quelques années et rentre finalement dans son pays d’origine en 1919.

Henry Laureys, un Belge recruté par De Bray, prend le relais de la direction. Il est, entre autres choses, reconnu pour avoir mené à bien certains projets entamés par son prédécesseur et pour avoir continué à défendre le programme de formation supérieure.

Contribution à la recherche : Jean-Christophe Racette.

Quelques professeurs belges

Outre Joseph-Auguste de Bray et Henry Laureys, d’autres Belges sont appelés à travailler dans le domaine de l’enseignement au Québec au cours du XXe siècle. Alfred Fyen dirige la nouvelle École d’arpentage de Québec en 1907. L’année suivante, il prend la direction de l’École polytechnique de Montréal. Il fonde ensuite l’École des arts décoratifs et industriels et l’École d’Architecture.

Charles De Koninck, arrivé en 1934, est professeur et doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Laval pendant une trentaine d’années. L’homme est reconnu pour ses positions controversées en faveur d’une éducation laïque.

Finalement, les réformes du système d’éducation des années 1960 et 1970 ainsi que la demande créée par le baby-boom d’après-guerre provoquent un important besoin en professeurs. Des Belges sont recrutés et occupent bientôt des postes de la maternelle à l’université.

Références bibliographiques

HARVEY, Pierre. Histoire de l’Écoles des Hautes Études Commerciales de Montréal. Tome 1 : 1887-1926, Montréal, Québec/Amérique, 1994, 383 p.

JEANEN, Cornelius J. « Quelques aspects des activités professionnelles des immigrants belges (XIXe-XXe siècles) » dans Les immigrants préférés : les Belges, sous la direction de Serge Jaumain, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, p. 139-158.

RUMILLY, Robert. Histoire de l’École des hautes études commerciales de Montréal, 1907-1967, Montréal, Beauchemin, 1966, 214 p.

VERMEIRRE, André. L’immigration des Belges au Québec, Sillery, Québec : Septentrion, 2001, p. 93-100.