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Visite du croiseur français Descartes à Montréal en 1913

14 juillet 2022
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Les photographies d’un jeune Montréalais nous emmènent à bord d’un croiseur français en 1913, et nous invitent aux festivités qui ont souligné la venue de ce bâtiment de guerre.

Croiseur Descartes 1913 - 1

Photo en noir et blanc prise sur le pont d’un bateau. Écrit à la main, on peut lire « Descartes 1913 ».
Archives privées, fonds Nantel-Bergeron.
Le grand croiseur Descartes, construit par la marine française et mis en service en janvier 1897, avait notamment pour mission de montrer le pavillon national à l’étranger et dans l’Empire français. Le croiseur de guerre fit partie de la Division de l’océan Indien et, en 1912, intégra la Division des Antilles et de Terre-Neuve. Attaché à la station navale de Terre-Neuve, le Descartes surveillait les pêcheries des bancs, au point de vue des intérêts français dans ces parages, et portait secours aux pêcheurs en détresse.

En 1913, le gouvernement de la République française envoya le croiseur à Montréal pour qu’il participe aux réjouissances entourant la fête nationale du 14 juillet. Selon un article de l’époque, la France voulait, ce faisant, témoigner sa sympathie et son souvenir non seulement « à ceux de ses enfants récemment établis au Canada, mais aussi à ses enfants d’autrefois, qui se souvenaient d’elle ». Les célébrations se déroulèrent du 13 au 16 juillet 1913. La venue du Descartes bénéficia d’une large couverture de presse avec photos à l’appui. Les événements entourant les festivités firent la une de plusieurs journaux montréalais, dont La Patrie, La Presse, Le Devoir.

Eugène Nantel, jeune homme de 19 ans, fraternisa avec les marins du Descartes et immortalisa leurs rencontres à l’aide de photos. Les écrits qui apparaissent sur le recto des photos présentées dans cet article sont de sa main. Eugène naquit à Saint-Jérôme en 1894. Il était le fils d’Onésime Maréchal et de Pacifique Nantel, un inspecteur d’école dans les comtés de Terrebonne et Deux-Montagnes. Eugène suivit d’abord les traces de son père, étudia à l’École normale Jacques-Cartier, obtint ses diplômes et devint instituteur, mais il quitta vite l’enseignement. Au moment de la visite du croiseur Descartes à Montréal, le jeune homme était instituteur à Montréal, à l’école primaire du Sacré-Cœur, rue de Maisonneuve (à présent rue Alexandre-DeSève).

Le public invité à bord

Croiseur Descartes 1913

Photo en noir et blanc montrant quelques personnes et un marin sur une partie extérieure d’un grand bateau.
Archives privées, fonds Nantel-Bergeron.
L’arrivée du grand croiseur Descartes à Montréal provoqua le plus vif enthousiasme dans la population qui se pressa au quai numéro 24, au pied de la rue Beaudry, où était amarré le navire. Le public fut admis à bord et, guidé par un membre de l’équipage, chacun pouvait, à sa guise, visiter le croiseur dans ses moindres détails. Ce que ne manqua pas de faire notre photographe en herbe.

Le Descartes, de type croiseur de deuxième classe, était en partie en bois, et ses organes vitaux — machines motrices, chaudières, appareils à gouverner, soutes à munitions — étaient protégés au moyen d’un pont cuirassé en dos d’âne. Les informations sur sa vitesse de croisière et son artillerie — calibre et nombre de canons ou de tubes lance-torpilles — varient d’un journal à l’autre. Une chose attira l’attention du public montréalais : l’étonnante facilité du maniement des canons, un enfant pouvait sans difficulté pointer la plus grosse pièce à bord dans n’importe quelle direction.

Une messe fut célébrée à bord du croiseur, ce qui fut souligné par le journal français Le Gaulois. Pendant que le piquet de service du Descartes présentait les armes, l’archevêque de Montréal, monseigneur Bruchési, précédé d’enfants de chœur et accompagné de plusieurs prêtres, avait été conduit à l’autel dressé sous la tente, sur la dunette arrière du croiseur, entre deux canons. Le commandant, son état-major et les hommes d’équipage, en grande tenue, occupaient la chapelle improvisée sur le pont. L’archevêque de Montréal adressa une allocution aux marins, presque tous des Bretons.

Dévoilement de la statue de la France

Croiseur Descartes 1913 Marins

Photo en noir et blanc de trois marins. En écriture manuscrite, on peut lire « Marins Descartes 1913 ».
Archives privées, fonds Nantel-Bergeron.
En 1913, une souscription publique, initiée par monsieur Paul Genin, sous les auspices du Comité France-Amérique, était lancée dans le but d’offrir à la colonie française de Montréal une statue à la gloire de sa patrie. La cérémonie du dévoilement eut lieu le dimanche 13 juillet. Des milliers de personnes se massèrent sur la place Viger, en face de l’Union nationale française. La statue, œuvre du sculpteur français Paul Chevré, représentant la France (en Marianne), fut installée dans le terre-plein devant l’édifice. Pour l’occasion, l’édifice remis à neuf depuis quelques jours était décoré de drapeaux et de banderoles tricolores et de l’écusson de la République française. Une immense estrade, drapée aux couleurs de la France, occupait presque toute la façade de l’établissement.

À quatre heures et cinq heures, on entendit tout à coup dans le lointain les sons atténués, mais qui grandissaient peu à peu, d’une fanfare militaire, et la foule à mesure que la musique s’avançait distinguait l’enlevante marche Le Régiment de Sambre-et-Meuse. Une émotion indescriptible s’empara de tout le monde et, quand on vit apparaître le corps des marins du Descartes précédé de l’Harmonie de Montréal, ce fut un véritable délire qui souleva les spectateurs et qui s’exprima en vivats formidables.

Réjouissances au parc Dominion

Parc Dominion 1913

Photo en noir et blanc montrant des hommes tirant une corde et à l’arrière-plan une foule nombreuse et un kiosque dans un parc.
Archives privées, fonds Nantel-Bergeron.
Les fêtes françaises se terminèrent trois jours plus tard au parc Dominion. Des courses à pied et des tournois de souque à la corde, organisés entre les marins du Descartes, amusèrent la foule, venue nombreuse. La Patrie du 17 juillet donnait le nom des marins gagnants : Guellec-Lemaesson, Cherhuel, Hernaut, Pichon, Levanoué, Gagnon, Martin, Malvain, Izabeau, Julé, Lecarrère, Anselme, Esvau.

Le 20 juillet à 10 heures, le Descartes appareilla. Brèves sonneries de clairon, le commandant Pagliesi-Conti monta sur la dunette, l’enseigne Lathan, officier de quart, prit le portevoix et donna des commandements répétés par les quartiers maîtres : « Rentrez la passerelle d’arrière. » Le lien qui reliait le croiseur de France à la terre canadienne venait de se rompre. Le vaisseau de guerre évolua puis alla prendre les eaux profondes du fleuve, les remorqueurs le quittèrent. Quand le Descartes repassa devant le quai, les cris de « Vive la France » de la foule retentirent.

Eugène Nantel et la Grande Guerre

Eugène Nantel

Photo d’un groupe de 17 jeunes hommes prise à l’extérieur d’un établissement scolaire.
Archives privées, fonds Nantel-Bergeron.
À l’été 1914, la France entrait en guerre. Le croiseur Descartes fut considéré comme bâtiment armé en guerre du 9 août 1914 au 10 février 1917. Il navigua dans les eaux des Antilles et, en 1915, il assura la protection des ressortissants français à Port-au-Prince. Il rejoignit le port de Lorient en 1917, où il servit de ponton. Il fut rayé de la Liste des bâtiments de la flotte le 10 mai 1920, un an plus tard, il était vendu pour démolition.

L’impression que la puissance militaire du Descartes fit sur Eugène Nantel eut-elle un impact sur la destinée du jeune instituteur? Possible, car, en janvier 1915, soit un an et demi après la venue du croiseur de guerre à Montréal, le photographe amateur s’enrôla dans les forces armées canadiennes. Dans une entrevue qu’il accordait à Paris, en mars 1917, Eugène avouait à Élizabeth Montizambert, alors correspondante de guerre pour des journaux montréalais, que le froid et l’humidité des tranchées, les dangers et les risques de mort au front n’étaient rien comparés à l’excitation de sentir qu’il accomplissait quelque chose d’important. Pour ce jeune lieutenant, la vie militaire était la meilleure qu’il n’ait jamais eue.

Un mois après l’entrevue, il participait à la bataille de Vimy, où il fut blessé. Après la guerre, et malgré les blessures subies au combat, Eugène Nantel poursuivit la carrière militaire, beaucoup mieux adaptée qu’une salle de classe à son caractère emporté.

Membres de l’équipage

Croiseur Descartes 1913 Marins parc Dominion

Photo en noir et blanc d’un groupe de marins et d’officiers dans un parc d’amusement.
Archives privées, fonds Nantel-Bergeron.

Selon La Presse du 10 juillet 1913, l’État-major du Descartes comprenait 16 officiers : le commandant Henri Pugliesi-Conti, premier officier, le lieutenant du vaisseau Abel Prévinquière, officier en second, le médecin major Louis Léon Mauran et Ludovic Maximilien Allard, le chef mécanicien; les enseignes de vaisseau de première classe Jean Chouquet, Adolphe Guéguen, H. P. Latham, Jacques M. C. Trolley de Prévaux, Marcel J. L. Robbe; les mécaniciens principaux, deuxième classe, Émile F. Lambert, Piriou, Hippolyte F. Silvy; le commissaire de deuxième classe, Victor L. M. Millet; les enseignes de vaisseau de deuxième classe, Jean L. Daniel, Jean F. H. Hutter, Pierre V. J. Gouton.

Références bibliographiques

La Patrie, 30 mai 1913, 8, 10, 14, 17 et 21 juillet 1913, 6 août 1913, BAnQ numérique.

La Presse, 10 et 14 juillet 1913, BAnQ numérique.

Le Devoir, 12 juillet 1913, BAnQ numérique.

Le Canada, 17 juillet 1913, 5 septembre 1919, BAnQ numérique. 

L’action populaire, 10 juillet 1913, BAnQ numérique

BOUCHER, Elizabeth [pseudonyme d’Élizabeth Montizambert]. « 22nd Batallon should be proud of these two men », The Star, 31 mars 1917.

GRANDQUEBEC.COM. « Visite du croiseur Descartes », Histoire de Montréal, grandquebec.com

FORUM PAGES 14-18. « DESCARTES – Croiseur », Forum PAGES 14-18 – Les combattants & l’histoire de la Grande Guerre.

WIKIPÉDIA. « Classe Descartes » (caractéristiques du Descartes), Wikipédia.