Territoire agricole puis zone industrielle marquée par le chemin de fer, La Petite-Patrie, quartier du marché Jean-Talon et de la Plaza St-Hubert, invite à découvrir sa riche histoire.
Jusqu’à la fin des années 1800 le secteur qui correspond aujourd’hui à La Petite-Patrie est un territoire agricole, ce qui donne à son habitat des allures de village paisible. Ces terres sont les villages de Côte-de-la-Visitation (1870) et de Côte-Saint-Louis (1878) et s’étalent autour des chemins Saint-Laurent, de la Côte-Saint-Michel (rue Jarry) et de la Côte-de-la-Visitation (boulevard Rosemont). Là s’établissent des propriétaires terriens dont les noms sont aujourd’hui familiers aux habitants du quartier, tels Beaubien, Molson ou Boyer. Eh oui, le nom de ses rues correspond à l’endroit où se trouvaient jadis leurs terres agricoles!
Les carrières, première activité industrielle des côtes
Carrière Martineau et Rogers
Parmi eux, le plus important est la carrière Martineau, située entre les rues Marquette, Garnier, Beaubien et des Carrières. Ses pierres ont notamment servi à la construction de l’église Saint-Édouard dans le quartier et même à celle de la basilique Notre-Dame. Plus de 150 ouvriers y travaillent durant ses meilleures années, ce qui nous montre l’importance des carrières dans le secteur de l’emploi. Devenue un véritable danger public dans les années 1930, à la fin de son exploitation, elle est aménagée : on y enfouit déchets et terre pour la remblayer et la transformer en parc. S’y trouve aujourd’hui le parc Père-Marquette. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à avoir connu ce destin! Sous les parcs Laurier, Rosemont et Pélican se trouvent aussi d’anciennes carrières du secteur : les carrières O. Limoges, Rogers and Quirk et De Lorimier et Rogers, respectivement.
L’arrivée du chemin de fer
Petite-Patrie - chemin des Carrières
L’événement qui viendra bouleverser le paysage urbain de ce secteur est la construction du chemin de fer du Canadian Pacifique Railway à la fin du XIXe siècle. En effet, avec l’arrivée du chemin de fer, des industries vont se développer autour du rail, par exemple les Shops Angus où on confectionne justement des trains. Employant 3000 ouvriers à son ouverture en 1904, rapidement 5000, et même 12 000 pendant la Deuxième Guerre mondiale, cette usine est l’industrie phare du quartier. Puis, profitant de la présence du chemin de fer, de nombreuses entreprises ouvrent à proximité : la cour à bois L. Villeneuve (la plus ancienne de Montréal), la fabrique de pâtes Catelli ou encore la fabrique Coca-Cola, toutes situées sur la rue Bellechasse, près du boulevard Saint-Laurent. On y trouve toujours ces bâtiments en 2018.
Bien qu’apportant un souffle économique nouveau au secteur, le chemin de fer isole le quartier. C’est pourquoi on entreprend la construction de ponts ferroviaires et de viaducs qui créent des brèches et permettent alors de mieux circuler du nord au sud et inversement. Au début du XXe siècle seront ainsi construits les ponts de la rue Saint-Denis et du boulevard Saint-Laurent, suivis de ceux des avenues Papineau et De Lorimier dans les années 1930. Encore aujourd’hui, il faut inévitablement emprunter un des viaducs pour entrer ou sortir de l’arrondissement, et la sécurité de ceux-ci demeure un problème pour les résidants.
La population augmente et… change!
Église Saint-Édouard
Vers 1910, les travailleurs agricoles sont désormais une minorité, supplantés par les ouvriers. En effet, en 1911, près de 75 % de la population travaille dans les usines ou les chantiers. Par ailleurs, de plus en plus de gens s’installent dans le secteur, attirés par les emplois qui abondent et les terrains peu chers. Ce sera le cas des immigrants italiens qui commencent à migrer en grand nombre vers cette partie de la ville, si bien qu’on parlera bientôt d’une Petite Italie. Ils viennent rejoindre les habitants d’origines écossaise et canadienne-française. Ainsi, en l’espace d’à peine 20 ans, les villages ont disparu et la ville s’étale. En 1910, ceux-ci sont annexés à la ville de Montréal. On parlera alors du quartier Saint-Édouard, qui tient son nom de la paroisse catholique nouvellement créée (1895).
Vie de paroisse
Avec le développement urbain, le quartier voit naître ses premières paroisses. Ainsi, après l’église Saint-Édouard (1909) et l’église italienne Notre-Dame-de-la-Défense (1918), des dizaines d’autres lieux de culte naîtront. Les résidants du quartier n’auront donc plus à parcourir des kilomètres pour se rendre dans les églises qu’ils fréquentaient au sud du chemin de fer. Par ailleurs, avec l’arrivée de nombreux immigrants de confessions diverses, et ce principalement à partir des années 1970, des temples et mosquées apparaissent aux côtés des églises existantes.
Un quartier qui se dynamise
Plaza Saint-Hubert
Par ailleurs, le commerce va bon train dans ce secteur de la ville, particulièrement sur la rue Saint-Hubert. S’y installent des commerces qui ont toujours pignon sur rue en 2018, notamment le théâtre Plaza (1922), la boutique de photographie Lozeau (1927), la librairie Raffin (1930), le magasin Labelle fourrures (1947) ou encore la première rôtisserie Saint-Hubert Barbecue (1951), qui témoignent de la fidélité des clients du quartier et de la passion des commerçants. C’est en 1954 que les marchands de la rue Saint-Hubert décident de se regrouper dans une association. La Plaza St-Hubert connaît alors ses heures de gloire. Durant la décennie qui suit, elle est la deuxième rue commerciale de la ville, derrière la rue Sainte-Catherine.
La Petite-Patrie
La Petite-Patrie - escaliers
À partir des années 1980, l’immigration s’intensifie et se diversifie dans ce secteur. Maintenant bon troisièmes, les habitants d’origine italienne sont devancés par ceux de langues espagnole et arabe. Après avoir été un territoire agricole puis une zone industrielle, le secteur est maintenant un quartier résidentiel, animé par la présence de nombreux commerces et restaurants. La Petite-Patrie a beaucoup changé, mais ses ruelles, ses maisons, ses parcs et ses commerces témoignent de sa riche histoire.
CARON, Isabelle. « Des mémoires “à excaver” : interpréter la présence des carrières de pierre grise à Montréal », Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada, vol. 27, nos 3 et 4, 2002, p. 15-28.
DELAGRAVE, Louis, et Marie BRISEBOIS. Rosemont—La Petite-Patrie, il y a longtemps que je t’aime, Montréal, Éditions Histoire Québec, 2017, 150 p.
LECLERC, Jean-François (dir.). Promenades historiques à Montréal, Montréal, Les Éditions du Journal, 2016, 240 p.