À l’aube du XXe siècle, des milliers de saisonniers italiens arrivent au printemps pour travailler sur les grands chantiers du pays. Ils annoncent une vague migratoire qui marquera Montréal.
Vue du port de Montréal depuis l’ascenseur du Canadian Pacific Railway
En 1881, Montréal ne compte qu’une centaine d’Italo-Montréalais, mais, dans les décennies suivantes, leur nombre décuplera. Ils viennent d’abord comme travailleurs saisonniers puis forment progressivement les noyaux d’une population qui compte, en 2016, plus de 260 000 personnes.
En Italie
Ouvriers italiens
Les Italiens prennent d’abord le bateau pour Montréal dans l’espoir de revenir quelques semaines plus tard vers la mère patrie. Pour un agriculteur ou un ouvrier italien, un contrat au Canada représente d’importants bénéfices. Lorsqu’il gagne environ 25 ou 30 sous par jour en Italie, il peut récolter 1,50 $ en travaillant une journée sur les chantiers de chemin de fer ou dans les mines du Canada. De leur côté, les grandes entreprises, comme le Canadien Pacifique ou le Grand Tronc, recherchent activement ces ouvriers étrangers, bon marché et temporaires, qui sont peu susceptibles de provoquer des conflits de travail.
Le système des padroni
Antonio Cordasco
Le plus célèbre des padroni est Antonio Cordasco. Il agit comme recruteur exclusif du Canadien Pacifique. La compagnie ferroviaire est alors le plus important employeur de travailleurs italiens à Montréal. En 1903, ce sont 3500 Italiens qui y sont embauchés. Cordasco assure leur transport, leur hébergement dans des pensions et leur nourriture. Il reçoit un prix par tête de la part du Canadien Pacifique, en plus d’imposer une taxe aux ouvriers et de vendre à fort prix ses produits de première nécessité.
Quand le travail n’est pas au rendez-vous
Ouvriers italiens
En 1904, en réponse à l’appel des padroni, des milliers d’Italiens débarquent dans le port de Montréal. L’hiver se prolonge et les chantiers tardent à ouvrir. Dans une lettre adressée au premier ministre canadien, sir Wilfrid Laurier, le maire de la ville, Hormidas Laporte, s’inquiète de la situation :
« Des personnes autorisées m’informent qu’à l’heure actuelle il y a, au moins, 1200 de ces immigrants parmi notre population, sur lesquels au moins 600 sont absolument dénués de ressources. […] Un sentiment de crainte pénètre nos citoyens, à la pensée que ces gens qui ont été attirés à Montréal par de coupables manœuvres peuvent se livrer à des excès, parce que nous n’avons pas suffisamment de travail à leur donner. »
Lorsque les emplois manquent, les Italiens convergent vers le centre-ville de Montréal où ils trouvent des pensions et, potentiellement, des contrats d’appoint. Reste que plusieurs doivent vivre de la charité et ont mauvaise réputation dans l’opinion publique.
Faire souche
Ouvriers italiens
Le déclin des agents recruteurs est aussi dû à un important changement de pratique migratoire. Dès le début du XXe siècle, certains Italiens décident de s’installer définitivement à Montréal. Ils enjoignent famille et amis à venir les rejoindre et assurent les contacts pour leur trouver un emploi. Grâce à l’immigration dite de parrainage, le travail des agents recruteurs devient progressivement caduc.
Le nombre croissant d’Italiens qui choisissent de demeurer à Montréal permet la formation des premières paroisses nationales italiennes, dont Notre-Dame-du-Mont-Carmel (1905), dans l’actuel quartier Centre-Sud, et Notre-Dame-de-la-Défense (1910), située au nord de la rue Bellechasse et mieux connue sous le nom de « Petite Italie ».
En 1886, Antonio Cordasco arrive à Montréal avec les premiers contingents de travailleurs saisonniers. Il est embauché par le Canadien Pacifique et passe rapidement de simple manœuvre à contremaître.
Lors d’une grève en 1901, le Canadien Pacifique lui offre 1 $ pour chaque briseur de grève recruté. Cordasco en déniche 2000. À partir de ce moment, il devient le recruteur (padroni) exclusif du Canadien Pacifique.
En 1904, une parade est organisée en son honneur. Plus de 2000 ouvriers italiens se rassemblent. Le padroni est alors couronné « roi des travailleurs italiens ». Quelques mois plus tard, le rapport de la Commission royale sur l’immigration des journaliers italiens et des procédés frauduleux des bureaux de placement met au jour ses activités malhonnêtes. Son règne prend fin abruptement.
BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA. « Histoire de l’immigration : groupes ethniques et culturels », Bibliothèque et Archives Canada, [En ligne], 11 janvier 2016.
http://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/immigration/histoire-ethniques-cu... (Consulté le 06 juin 2016).
HARNEY, Robert F. « Montreal’s King of Italian Labour: A Case Study of Padronism », Labour / Le Travail, vol. 4, 1979, p. 57-84.
LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, 2e édition, Montréal, Boréal, 2000, 627 p.
MUSÉE CANADIEN DE L’IMMIGRATION DU QUAI 21. « Commission royale sur l’immigration italienne, 1904-1905 », [En ligne], Musée canadien de l’immigration du Quai 21.
http://www.quai21.ca/recherche/histoire-d-immigration/commission-royale-... (Consulté le 16 nov. 2016).
RAMIREZ, Bruno. « Immigrants italiens dans l’espace social et culturel montréalais », dans BERTHIAUME, Guy, et al. (dir.), Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 43-60.
RAMIREZ, Bruno. « CORDASCO, ANTONIO », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, [En ligne], Université Laval/University of Toronto, 2003.
http://www.biographi.ca/fr/bio/cordasco_antonio_15F.html (Consulté le 16 novembre 2016).
RAMIREZ, Bruno. « Brief Encounters: Italian Immigrant Workers and the CPR 1900-30 », Labour / Le Travail, vol. 17, no Spring, 1986, p. 9-28.
RAMIREZ, Bruno. Les premiers italiens de Montréal : L’origine de la Petite Italie du Québec, Montréal, Les Éditions du Boréal Express, 1984, 136 p.
Référence citation : Extrait d’une lettre d’Hormidas Laporte, maire de Montréal, à sir Wilfrid Laurier, 31 mai 1904, Commission royale sur l’immigration des journaliers italiens et des procédés frauduleux des bureaux de placement, 1904, p. 102.