Le Plateau-Mont-Royal a vibré au rythme des bars lesbiens dans les années 1980. Une communauté lesbienne dynamique s’y est formée, puis développée, avant d’évoluer vers d’autres secteurs de Montréal.
Carte bars lesbiens 1982-2007

La visibilité lesbienne connaît un « âge d’or » à Montréal dans les années 1980, principalement en raison de l’établissement d’un « territoire » distinct sur le haut de la rue Saint-Denis. La répression policière, qui a précédé et suivi l’accueil des Jeux olympiques d’été de 1976 par la ville de Montréal, a chassé la plupart des bars du centre-ville. Dans les années 1970, les espaces de cultures publiques des lesbiennes et des gais migrent donc vers l’est. Les gais construisent une nouvelle enclave, soit le « Village gai », alors que les lesbiennes créent leurs propres lieux dans le quartier du Plateau-Mont-Royal. Les conférences nationales au Women’s Information and Referral Centre sur la rue Saint-Urbain, les danses féministes à la Powerhouse Gallery de la rue Saint-Dominique et l’ouverture en 1977 de Coop-Femmes sur le boulevard Saint-Laurent sont des événements qui, avec d’autres, commencent à forger des liens communautaires. À cette époque, beaucoup de jeunes lesbiennes du quartier adhèrent aussi à un mode vie contre-culturel en habitant dans des logements communaux à moindre coût. Ainsi, une culture publique se fait de plus en plus visible en se développant vers l’est, autour des axes que sont les rues Saint-Denis et Rachel. Émergeant au sein de cette culture, les bars deviennent vite des lieux urbains où grandit une intense dynamique sociale.
La spécificité des bars de la rue Saint-Denis
Carte de visite du Labyris

Les bars de la rue Saint-Denis contrastent avec ceux du centre-ville des années 1970 qui avaient des caractéristiques et des clientèles différentes. En effet, dans les années 1980, les lesbiennes ont une plus grande autonomie pour définir les lieux qu’elles créent ou qu’elles fréquentent. Le Lilith s’annonce d’ailleurs comme un endroit où « les femmes peuvent s’entendre, se produire, se divertir ». Ses propriétaires favorisent toutes sortes d’activités culturelles, comme des expositions d’art ou de bijoux, des concerts, des lancements de livres ou des projections de vidéos. Elles veulent qu’il soit un espace où les lesbiennes peuvent être elles-mêmes. En 1991, l’une de ses propriétaires, Pauline Lacroix, explique ce parti pris : « [J]'avais besoin de me retrouver comme lesbienne au milieu de lesbiennes et, comme je pensais qu’il nous manquait des lieux de rencontre où nous retrouver dans l’estime de nous-mêmes, j’ai pensé à un bar d’un type particulier. »
Ces lieux de rencontre, qui perdurent tout au long des années 1980, instituent la rue Saint-Denis comme le territoire d’une affirmation communautaire. Issues de la génération du baby-boom, les lesbiennes qui fréquentent ces bars appartiennent, pour la plupart, à une communauté francophone. Elles cherchent une place spécifique et créent par le fait même des lieux définis selon leurs propres idéaux. Cependant, alors que le Labyris et le Lilith ferment respectivement leurs portes en 1989 et 1991, le paysage nocturne se transforme peu à peu sous l’influence des plus jeunes générations.
Les nouvelles étendues territoriales : vers la fin d’un âge d’or…
Alys Roby à L'Exit

Malgré cette pléthore d’options qui s’offrent aux lesbiennes pour se retrouver le temps d’une soirée, l’époque est au changement. Durant la décennie 1990, comme le montre la carte, les boîtes de nuit lesbiennes s’implantent dans le Village. Les clubs du Village comme Le Loubar (plus tard le Nana Pub, le PTown et le Drugstore) et le K2 (plus tard, le G-Spot, le Sisters, Le Lounge, le Sisters II et le Pub Magnolia), avec leurs grandes pistes de danse et la diffusion des musiques house et néo-soul, appartiennent à une nouvelle gamme et correspondent à un autre style de vie nocturne montréalaise. Mais ils n’existeront que le temps d’une décennie : entre 1992 et 2003, le nombre total de bars lesbiens à Montréal passe de sept à une seule enseigne!
ESCOMEL, Gloria. « Pauline et sa Lilith », Treize : revue lesbienne, vol. 8, no 2, 1991, p. 12-13, 31.
PODMORE, Julie. « Gone “underground”? Lesbian visibility and the consolidation of queer space in Montréal », Social & Cultural Geography, vol. 7, no 4, 2006, p. 595-625.
PODMORE, Julie. « Lesbians as village “queers”: The transformation of Montréal’s lesbian nightlife in the 1990s », ACME: An International Journal for Critical Geographies, vol. 12, no 2, 2013, p. 220-249.