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Montréal avant l’incendie du 10 avril 1734

08 novembre 2016

Parcourons Montréal en 1734, et imaginons la vie des habitants de cette petite ville coloniale, française et catholique. Cité de commerçants et de militaires, elle couvre le Vieux-Montréal actuel.

Vue de Montréal en 1721

Vue de la ville de Montréal en 1721
1721. Veue de la Ville du Montréal en Canada. The Newberry Library (États-Unis). VAULT drawer Ayer MS Map 30 sheet 106.

Le Montréal de 1734 est une petite ville coloniale française et catholique qui correspond au Vieux-Montréal d’aujourd’hui. Il n’y a pas de démocratie, pas de journaux, les épouses sont soumises à leur mari, les soldats sont nombreux, l’esclavage est reconnu par la loi et la torture fait partie de la procédure judiciaire. Ville de commerce et ville militaire, Montréal vit au rythme des changements de la garde et de l’appel des cloches aux nombreuses célébrations religieuses.

Une ville fortifiée

Plan de Montréal en 1731

Plan de Montréal en 1731
Archives nationales d’outre-mer (France). FR CAOM 3DFC480B.
Par mesure de protection, la ville est entourée d’une enceinte. Depuis 1717, des maçons et des tailleurs de pierre travaillent à remplacer la palissade en bois par un mur en pierre. Des portes permettent de communiquer avec l’extérieur.

Les activités commerciales ont lieu dans la basse ville, le long de la rue Saint-Paul, près du fleuve. Cette partie de la ville est plus densément bâtie et peuplée. Depuis l’incendie de 1721, il est interdit de construire en bois à l’intérieur des murs. Les marchands y ont fait bâtir leur demeure en pierre à l’image de leur fortune, avec boutique donnant sur la rue. Les Lemoine Monière, Berey des Essars, de Francheville et Volant Radisson habitent cette rue animée.

Dans la haute ville, située sur la colline traversée par la rue Notre-Dame, les résidences sont plus espacées. C’est là que les sulpiciens ont choisi de faire construire l’église paroissiale, en 1672, pour s’éloigner un peu des bruits de la basse ville. Tous les jours, des paroissiens, telle la veuve Francheville, s’y rendent pour prier. Les communautés religieuses installent aussi leur monastère, couvent, chapelle, jardin et verger dans cette partie de la ville.

Une vie réglementée

Maquette Montréal 1745 - place du marché

Maquette de Montréal en 1745, vue sur la place du marché
Centre d'histoire de Montréal.
Tous les habitants connaissent bien la vie réglementée de la ville. Il y a les jours de marché, les mardis et les jeudis, où on retrouve les cris des maraîchers, des bouchers, des poissonniers avec lesquels il faut négocier. Quand le son du tambour se fait entendre, la foule s’approche pour écouter l’huissier Jean-Baptiste Decoste crier « De par le Roy » et lire d’une voix forte une nouvelle ordonnance ou annoncer l’exécution publique d’un voleur. C’est sur la place publique, en 1709, qu’il a été ordonné que les « panis » (des Autochtones) et les « nègres » soient désormais considérés comme des esclaves.

La vie des Montréalais est aussi régie par la religion catholique, la seule autorisée en Nouvelle-France. Ils doivent régulièrement faire abstinence, se rendre à la messe, se confesser et chômer les dimanches et les jours de fêtes religieuses. Le curé délivre aux voyageurs, avant leur départ, un billet de confession leur permettant de recevoir la communion ou, encore, des certificats de bonnes mœurs à ceux qui veulent accéder à un poste administratif. Il garde toujours l’œil bien ouvert. Le juge Raimbault en sait quelque chose. Il s’est vu interdire l’entrée de l’église lors de la fête de Pâques, faute d’avoir confessé une liaison avec une veuve. Le curé interdit aussi aux cabaretiers de servir de l’alcool pendant la messe et il lui faut même rappeler que les chiens ne sont pas acceptés dans les églises…

Tous ces règlements n’empêchent pas les dames de la bonne société de jouer en cachette aux cartes ou de danser toute la nuit, ni à certains et certaines de boire un coup dans les ruines du château de Callière.

Le jour de l’incendie

Illustration de Karl Dupéré-Richer

Illustration représentant la rue Saint-Paul vers 1734, avec l'Hôtel-Dieu d'un côté et des maisons de l'autre
Illustration de Karl Dupéré-Richer. Une école montréalaise pour tous.
Le jour de l’incendie qui détruira une partie de la rue Saint-Paul, le 10 avril 1734, les quelque 2500 habitants de Montréal entreprennent une autre journée de labeur. Chacun vaque à ses occupations à l’intérieur des fortifications. Les rues de terre sont embourbées par la fonte des neiges, ce qui rend la marche particulièrement difficile. Certains passants déambulent en tenant un mouchoir parfumé sur leur nez pour chasser les odeurs nauséabondes. Il faut dire que les habitants ont la fâcheuse habitude de déverser dans la rue et dans leur cour ordures et pots de chambre… Après un long hiver, le temps doux veut s’installer. On attend les premiers navires de France avec les nouvelles de la métropole, les marchandises et les passagers.

Le matin du 10 avril, Thérese de Couagne, la veuve de François Poulin de Francheville, va à la messe très tôt. Elle monte au grenier avec son esclave, Angélique, vers sept heures pour nourrir les pigeons. Entre midi et 13 heures, elle retourne à l’église pour se recueillir devant le Saint-Sacrement et y ira de nouveau pour la prière du soir. Elle y croisera alors Marie-Louise Poirier dite Lafleur, son ancienne domestique, lui promettant de la reprendre à son service quand Angélique sera partie. Angélique, elle, travaille dès l’aurore. Dans l’après-midi, elle cueille des feuilles de pissenlits le long des murs des couvents, des jardins privés et des murailles entourant la ville, avant de revenir à ses tâches ménagères. En fin d’après-midi, elle taquine sa voisine Marie-Manon, l’esclave autochtone de François Bérey des Essars, le trésorier du roi, qui est assise sur le pas de la porte. Marie-Manon prend l’air quelques minutes avant de retourner faire cuire un castor sur la broche.

Chacun vaque à ses occupations

De leur côté, Marguerite de Couagne et Charlotte Trottier Desrivières, toutes les deux âgées de 10 ans, sont de retour de leurs classes du samedi chez les sœurs de la congrégation de Notre-Dame et jouent dans la rue Saint-Paul et dans la cour de la maison de la veuve Francheville avec la petite Amable Lemoine Monière. Le père d’Amable, le marchand Alexis Lemoine Monière, est sans doute en train de faire la liste des marchandises qui seront nécessaires pour la traite, alors que ses domestiques préparent les caves voûtées pour recevoir les marchandises de France. Claude Thibault, sorti de prison deux jours plus tôt, marche beaucoup cette journée-là, mais on ne sait trop ce qu’il fait. D’autres semblent moins occupés : Marguerite César dite Lagardelette passe l’après-midi du 10 avril accoudée à la fenêtre de sa maison de la rue Saint-Paul, à épier les faits et gestes de chacun. C’est une femme qui adore répandre des rumeurs qui n’ont souvent aucun fondement et que tous craignent. Tous ces gens sont dans la ville fortifiée le jour de l’incendie, s’occupant de leurs ouvrages sans savoir que leur vie sera bouleversée à compter de 19 heures.

Cet article est une version remaniée de textes de l’exposition Qui a mis le feu à Montréal? 1734. Le procès d’Angélique, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 11 octobre 2006 au 30 décembre 2008.

La belle vie sous surveillance

Malgré les foudres du curé, plusieurs dames de marchands et de fonctionnaires aiment danser toute la nuit aux bras des cavaliers, les soirs de bals. Chez les Lemoine Monière et les Bérey des Essars, les maîtresses ont donné des ordres stricts aux domestiques et aux esclaves, car les dames bien nanties rivalisent d’ingéniosité pour exposer leur richesse. Un extrait du journal de Madame Bégon donne un aperçu de ces festivités :

« Le croiras-tu, cher fils, que cette dévote madame Verchères a fait danser toute la nuit dernière? Nos prêtres vont joliment prêcher; le jour de la Notre-Dame, dans l’avent, donner le bal!
Ce qu’il y a de beau, c’est que demain, il y en a un chez madame Lavaltrie, après demain chez madame Brageloyne. Voilà de quoi désespérer monsieur le curé! »

Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Journal de Madame Bégon, P2, P1; P2, P27; P2, P28, Rocbert de la Morandière, Elisabeth (Madame Bégon), 12 novembre, 9 et 11 décembre 1748.

Référence bibliographique

Beaugrand-Champagne, Denyse. Le procès de Marie-Josèphe-Angélique, Montréal, Libre Expression, 2004, 296 p.