Des pyramides de fruits et de légumes frais, des « cannages » à profusion, de la farine, du sucre, des céréales, du thé, du café : on trouve de tout chez Mme I. Steinberg, épicière.
Ida Steinberg
Fuir la misère
Au début du XXe siècle, Montréal connaît une importante vague d’immigration. Pour répondre au besoin en main-d’œuvre provoqué par le boum industriel, le Canada décide d’étendre son bassin d’immigrants de l’Europe occidentale vers l’Europe orientale. Les juifs ashkénazes répondent à l’appel en grand nombre. À Montréal, ils passent de quelques milliers au début du siècle, à 60 000 en 1931. Ils fuient majoritairement des conditions de vie arides et les persécutions dont ils sont victimes à travers l’Europe.
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À Montréal, d’abord installée près du marché Bonsecours, la famille déménage dans la rue Saint-Laurent en 1917. Ida, maintenant mère monoparentale de six enfants, décide d’ouvrir un commerce d’alimentation. Après avoir rempli son local de marchandises pour une valeur totale de 200 $, Ida suspend une enseigne devant son commerce, Mme I. Steinberg, épicière. La Main fourmille alors de nouveaux arrivants. Les commerces, comme celui d’Ida, se multiplient.
Le petit extra
Sam Steinberg
Pendant plusieurs années, la vie demeure difficile. Les enfants, pour aider leur mère à boucler le budget, travaillent comme camelot ou « planteur » dans les salles de quilles environnantes. Dès l’adolescence, Sam se démarque par son intérêt pour le commerce de sa mère. À 15 ans, grâce au soutien financier d’Ida, il ouvre une nouvelle succursale Steinberg, dans la rue Bernard. Il fonde alors le second jalon d’un immense empire en construction.
Les Steinberg
Steinberg
Pour épargner la santé de sa mère, Sam ferme le commerce de la rue Saint-Laurent en 1931. Dix ans plus tard, Ida décède. Malgré tout, la famille Steinberg, avec Sam en tête, poursuit sur sa lancée. Les épiceries Steinberg se propagent à travers le Québec, en plus des chaînes Wholesale Groceteria et Miracle Mart, nouvelles bannières de la famille. Dans les années 1950, le succès est tel que le nom Steinberg est introduit dans le langage courant. Partout au Québec, les gens vont faire « leur Steinberg ».
Durant la Seconde Guerre mondiale, en pleine période de rationnement, les Steinberg refusent de gonfler les prix comme le font certains concurrents. Tout le monde veut aller chez l’honnête Steinberg où les « cannes » de prunes sont vendues 10 cents plutôt que 19. Le mot se passe jusqu’à la ville d’Arvida, au Saguenay. Le président de l’Aluminum Company of Canada (Alcan), R. E. Powell, offre à Sam Steinberg de financer la construction d’une nouvelle succursale. À cet endroit, on est loin de connaître le succès espéré. Les citoyens de la région organisent le boycottage de cette « grosse société juive montréalaise venue s’emparer de l’argent des pauvres gens ».
En 1988, à la suite d’une importante saga familiale, les Steinberg se défont de l’entreprise au profit de la Caisse de dépôt et placement du Québec et de l’entreprise Socanav. Steinberg est alors la 21e plus grosse société canadienne en importance et compte 37 000 employés à travers le Canada. Quelques années plus tard, l’empire est démantelé. L’entreprise est partiellement rachetée par Provigo, Marché Richelieu et IGA.
ANCTIL, Pierre. « Les Juifs yiddishophones. Un siècle de vie yiddish à Montréal », dans BERTHIAUME, Guy, et al., Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 61-76.
ANCTIL, Pierre. Saint-Laurent. La Main de Montréal, Québec, Septentrion, 2002, p. 109.
HADEKEL, Peter, et Ann GIBBON. Steinberg. Le démantèlement d’un empire familial, Montréal, Libre Expression, 1990, 348 p.
LINTEAU, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération, 2e édition, Montréal, Boréal, 2000, 627 p.