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Les sœurs McNulty et le Mile End

15 avril 2019

Parmi les nombreuses familles peuplant le Mile End au début du XXe siècle, celle des sœurs McNulty détonne. C’est en effet Annie, une célibataire de 26 ans, qui dirige la maisonnée.

Les sœurs McNulty

Photographie en noir et blanc représentant un homme d’âge mûr entouré de quatre jeunes femmes devant un immeuble de brique.
Collection Vicky Robinson
L’édition 1911-1912 de l’annuaire Lovell contient une inscription inhabituelle. Au rez-de-chaussée d’un triplex nouvellement construit, sur l’avenue du Parc, un peu au nord de la rue Bernard, du côté est, résident les « McNulty Misses ». Quand le chef de famille — la seule personne recensée par l’annuaire — n’est pas un homme, on précise la plupart du temps qu’il s’agit d’une veuve. Or, non seulement aucune des demoiselles n’est veuve mais, lorsqu’elles résidaient à deux pas de là, rue Hutchison, au nord de Saint-Viateur, l’année précédente, c’est un homme, William McNulty, qui était décrit comme le chef de famille.

Les parents des demoiselles McNulty, Thomas et Elizabeth, sont arrivés d’Irlande pendant les années 1860. Thomas devient policier à la ville de Montréal en 1879, et ils ont neuf enfants. Sept survivent, dont un seul fils, William. Elizabeth décède, des suites de la grippe, fin avril 1901. On retrouve son mari mort sur la voie ferrée, écrasé par un train, à peine cinq jours plus tard. La famille, inquiète de ne pas l’avoir vu rentrer à la maison la veille, avait alerté ses collègues. The Gazette écrit qu’il s’est probablement suicidé en raison du chagrin causé par le décès de son épouse. Il appartient alors à l’aînée, Annie, une célibataire âgée de 26 ans, de devenir la chef de famille. Celui que le recenseur du Lovell considère comme le chef, mœurs de l’époque obligent, est son jeune frère de 20 ans, William. Ses sœurs diront qu’il rêvait de devenir médecin, mais le décès de ses parents l’oblige à se trouver tout de suite un emploi, d’abord comme machiniste et ensuite comme électricien. Annie, pour sa part, est téléphoniste.

Au moment du décès de leurs parents, les deux plus jeunes sœurs, Marcella et Jemina, que tout le monde appelle « Babe », ont 18 et 16 ans. Elles ont la réputation d’être indépendantes et fougueuses; l’aînée, raconteront-elles beaucoup plus tard, menait la maisonnée d’une main de fer et imposait une forte discipline. Au moment de son décès, en 1936, Annie McNulty était d’ailleurs devenue directrice adjointe de la prison pour femmes de Montréal. En 1909, toute la famille quitte le vieux logement de la rue Cadieux (de Bullion aujourd’hui) pour s’installer dans un triplex flambant neuf, du côté Outremont de la rue Hutchison.

Les « McNulty Misses »

Babe McNulty

Jeune femme portant un veston et une cravate, assise sur un balcon d’appartement, avec à ses pieds un petit chien.
Collection Vicky Robinson
Marcella et Babe acquièrent leur liberté l’année suivante, lorsque leur sœur aînée épouse un veuf qui a 20 ans de plus qu’elle. Il s’agit de Charles James Fox, gérant de la publicité au journal The Gazette. Tous deux anglicans, ils se sont peut-être connus comme paroissiens de la toute proche église de l’Ascension, ouverte cinq ans plus tôt sur l’avenue du Parc, juste au sud de la rue Saint-Viateur. Après leur mariage, Charles et Annie emménagent non loin, boulevard Saint-Joseph, tandis que Marcella et Babe laissent l’appartement de la rue Hutchison à leur frère William, qui se marie lui aussi en 1910. Elles se trouvent un nouveau logement dans un autre triplex qui vient tout juste d’être construit, au 2567 avenue du Parc (le 5887 aujourd’hui). C’est à cet endroit que le recenseur du Lovell découvrira les « Misses ». Marcella et Babe sont alors toutes deux sténographes, l’une pour un avocat et l’autre pour un marchand. Les frères Robinson, John et Garnett, vivent au rez-de-chaussée du triplex adjacent. Après une cour de quelques années, chacun d’eux réussit à séduire une sœur.

Après leurs mariages, en septembre 1915, les deux familles connaissent la vie typique des locataires montréalais et déménagent à plusieurs reprises, à la recherche de logements moins chers ou plus vastes. La génération suivante s’installera à Rosemont dans les années d’après-guerre. Après le décès de Marcella, en 1978, sa petite-fille Vicky a retrouvé des négatifs oubliés dans un coffre qui lui appartenait. Cette découverte nous donne accès à de très rares témoignages photographiques d’une famille irlandaise du Mile End et des rues du quartier, au début du XXe siècle.

Cet article est tiré du texte Les soeurs McNulty et le Mile End disponible sur le site Internet de  Mémoire du Mile End

Merci à Vicky Robinson, petite-fille de Marcella McNulty, qui a généreusement partagé les photos de sa famille. 

Référence bibliographique

 DESJARDINS, Yves. Histoire du Mile End, Québec, Septentrion, 2017, 355 p.