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Les organisations politiques sino-montréalaises ou les coulisses du pouvoir

17 septembre 2018

Au XXe siècle, trois partis politiques organisent la communauté sino-montréalaise. Ils maintiennent aussi un lien avec la mère patrie et favorisent la solidarité entre les Chinois de Montréal.

Dossier Chinois

Foule qui célèbre dans le Quartier chinois. On peut lire sur une banderole \"V-J Day celebration by the Chinese community of Montreal\".
2 septembre 1945. Photo : Conrad Poirier. Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Sur les photographies de Conrad Poirier du défilé du V-J Day (Victory over Japan Day) du 2 septembre 1945, des membres de la communauté chinoise défilent dans les rues de Montréal en suivant des porte-étendards aux couleurs des Chinese Free Mason et du Guomindang. Des images conservées au musée McCord montrent les membres de la société Hin-Jing. Ces clichés révèlent une composante importante de la communauté sino-montréalaise : l’appartenance à des associations politiques.

Reflétant la coutume pratiquée en Chine, les membres des communautés chinoises à l’étranger font partie d’un clan familial, d’associations professionnelles, religieuses et d’entraide et, parfois, d’un parti politique. À Montréal, comme ailleurs, les activités politiques sont organisées par trois grands partis : le Hin-Jing (Parti réformiste chinois), le Zhigongdang (francs-maçons chinois) et le Guomindang (Ligue nationale chinoise, représentée par leur devise San Min Chu I).

Organisations politiques chinoises

Groupe d’hommes chinois du Parti réformiste chinois assemblés à l’occasion d’un souper.
Musée McCord. MP-1987.41.14.
Ces groupes étant considérés comme dissidents en Chine impériale, leurs membres sont contraints au secret ou à l’expatriation. Pour éviter les soupçons d’activisme en Amérique, le Zhigongdang, par exemple, se renomme « francs-maçons chinois », un nom familier pour les autorités locales. Les francs-maçons chinois ont donc peu à voir avec l’organisation fondée au XVIe siècle au Royaume-Uni, sinon qu’il s’agit également d’une société secrète. Recrées au sein des communautés chinoises en Amérique, ces associations reçoivent régulièrement la visite d’hommes politiques influents et elles les aident, entre autres, à financer leurs actions politiques en Chine.

Trois grands partis politiques

Défilé de la Victoire

Le 2 septembre 1945, le défilé de la Victoire parade sur la rue De La Gauchetière Ouest dans le Chinatown. En avant-plan, un petit garçon porte une pancarte de l’association Chinese Free Mason.
BAnQ. Fonds Conrad Poirier, P48,S1,P12331.
Initié par Kang Youwei, le Hin-Jing (Parti réformiste chinois) est voué à la défense de la dynastie Quig (1644-1912), réformée sous une monarchie constitutionnelle. Quant aux adhérents du Zhigongdang, ils ont pour objectif de faire tomber cette dynastie d’origine mandchoue, considérée comme une domination étrangère. Le Zhigongdang milite pour la fin du régime impérial et le retour au pouvoir d’un Chinois : un Han. Issus du milieu populaire, les membres du Zhigongdang sont essentiellement des Cantonais originaires du sud de la Chine. Également opposés au régime impérial, les nationalistes de la Ligue nationale chinoise, ou le Guomindang, chérissent la devise San Min Chu I signifiant « les trois principes du peuple ». Ce slogan républicain, énoncé par le docteur Sun Yat-Sen, désigne le nationalisme, la démocratie et le bien-être du peuple comme pierres angulaires de la nouvelle nation chinoise. En 1911, Sun Yat-Sen devient le premier président de la Chine moderne, mais il est contraint de fuir le pays en 1918. La plupart des adhérents de ce parti sont des Mandarins du nord de la Chine, d’origine bourgeoise.

Si les deux derniers groupes ont des objectifs communs (détruire le régime dynastique et instaurer une république), ils ne s’entendent pas sur les moyens pour y parvenir ni sur leur conception de la Chine idéale. La rivalité entre le Zhigongdang et le Guomindang s’explique aussi par les disparités socio-économiques qui les caractérisent et par l’origine géographique et linguistique de ses membres.

Un rôle politique et soulageant

La Presse 14 décembre 1933

Coupure du journal La Presse intitulée « Le Chinatown : champ de bataille de deux clans »
La Presse, 14 décembre 1933, p. 3.
Les trois partis sont fondés à Montréal au tournant du XIXe et du XXe siècle. Pour les expatriés montréalais, les liens d’appartenance politique permettent notamment d’amoindrir le sentiment d’impuissance et d’isolement. Avec la faramineuse taxe d’entrée imposée aux Chinois en 1885 et la Loi d’exclusion des Chinois de 1923, il est presque impossible pour les immigrants de faire venir les membres de leur famille ou de leur communauté au Canada. Nombre d’immigrés retournent en Chine à des intervalles réguliers pour voir leur épouse qui est hébergée dans leur famille dans leur village natal. La période trouble vécue en Chine dans la première moitié du XXe siècle a des conséquences directes pour les proches des immigrants chinois. C’est pour ces raisons, entre autres, que les expatriés s’impliquent au sein de certains groupes, dont l’objectif est d’améliorer la situation vécue en Chine. Si la composante politique joue un rôle certain et entraine des rivalités, ces organisations ont également un rôle structurant. Elles sont soucieuses d’apporter de l’aide aux membres de la communauté locale et en Chine. Les associations politiques s’occupent d’organiser régulièrement des activités pour la communauté sino-montréalaise comptant environ 1200 personnes.

Si les convictions des groupes politiques diffèrent, les alliances entre les partis sont fréquentes et changent au gré du contexte politique. Lorsque la situation en Chine devient explosive, des tensions se font sentir à Montréal entre les partis politiques. En 1912, la dynastie Quig s’effondre. Célébrant ensemble la fin du régime impérial des Mandchous, les membres du Zhigongdang et les nationalistes du Guomindang craignent un raid des supporteurs des Quig, le Hin-Jing, à leur siège de la rue De La Gauchetière. Comme le pouvoir et le territoire sont divisés en Chine pendant plusieurs années, les dissensions renaissent à Montréal. Le Zhigongdang dénonce l’alliance du Guomindang avec un nouveau joueur, le Parti communiste chinois, ainsi que la montée de son influence. S’alliant au Hin-Jing, les francs-maçons forment alors un groupuscule s’entrainant aux arts martiaux, le Dartcoon Club. Un conflit avec les nationalistes à propos du contrôle d’une maison de jeu dégénère en bagarre le 13 décembre 1933 au restaurant Man Hong du 71, rue De La Gauchetière. Les protagonistes se battent à coups de sabre, ce qui résulte à plusieurs blessés graves. Mais les incidents entrainant de la violence sont, somme toute, relativement rares à Montréal, particulièrement si l’on compare avec les autres villes canadiennes.

Des rivalités mises à l’écart

Organisations politiques chinoises

Groupe d’hommes chinois réunis devant le siège social du Parti réformiste chinois au 1006, rue Saint-Urbain.
Musée McCord. MP-1987.41.8.
Les années de troubles et de divisions laissent la Chine affaiblie face aux envahisseurs. À la suite de l’invasion brutale du Japon en 1937, les rivalités entre les organisations politiques sont mises de côté pour venir en aide ensemble aux victimes de la guerre. Les associations montréalaises font un véritable front commun. Entre 1938 et 1944, l’effort combiné des membres des francs-maçons, du Guomindang et du YMCI chinois permet d’amasser 400 000 $ pour venir en aide à leurs compatriotes en Chine, fournissant entre autres des avions, des ambulances et des médicaments. La fin du conflit est accueillie avec soulagement et joie, comme le soulignent les célébrations du 2 septembre 1945. En cette occasion, les partis politiques joignent une fois encore leurs efforts pour organiser cet événement haut en couleur.

Depuis 2001, la place Sun-Yat-Sen, à l’intersection des rues Clark et De La Gauchetière, rappelle l’héritage politique de cet important homme d’État, premier président de la Chine moderne et fondateur du Guomindang.Dans les années suivant la Deuxième Guerre mondiale, l’influence des organisations politiques montréalaises décline graduellement notamment avec l’arrivée au pouvoir du Parti communisme chinois. Néanmoins, les nationalistes du Guomindang et les membres du parti des francs-maçons continuent à perpétuer les traditions chinoises et à célébrer les fêtes annuelles pendant encore quelques décennies. Malgré les résistances des anciens du Guomindang, les membres de la communauté chinoise montréalaise commencent à s’ouvrir davantage sur le monde.

Cet article est tiré de la chronique « Montréal, retour sur l’image », parue dans Le Journal de Montréal du 30 août 2015. La section sur les francs-maçons chinois a été enrichie pour la publication dans Mémoires des Montréalais en 2018.

Références bibliographiques

« Le Chinatown : champ de bataille de deux clans », La Presse, 14 décembre 1933, p. 3 et 27.

« Chinamen wanted for assault held following seach », The Montreal Gazette, 15 décembre 1933, p. 3.

CHAN, Kwok B. Smoke and Fire: The Chinese in Montreal, Hong Kong, The Chinese University Press, 1991, 338 p.

HELLY, Denise. Les Chinois à Montréal : 1877-1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987. 315 p.

HSU, Pu-Shih Thomas. The Chinese-Canadian News Presses, Coverage of Canada’s Recognition of the People’s Republic of China and its Effects on the Vancouver Chinese Community, 1968-1972, Mémoire (M.A.) (Histoire), Université Simon Fraser, 2005, 203 p.