Édifié au cœur de Milton Parc en 1900, l’édifice Marlborough était destiné à la location haut de gamme. Son style Queen Anne devait charmer les bourgeois montréalais en quête d’un pied-à-terre.
Appartements Marlborough 1902
Des années 1880 à l’aube de la Première Guerre mondiale, ce sont plus de 200 de ces immeubles à appartements qui sortent du sol montréalais, et ce, par vagues successives. Ces édifices sont surtout localisés à proximité du Mile carré doré, du centre-ville et du quartier Milton Parc, ce qui témoigne du déplacement des activités économiques et commerciales du Vieux-Montréal vers le nord, autour de la rue Sainte-Catherine notamment. Ces mouvements migratoires internes font considérablement augmenter la densité de population de ces secteurs. Les lots de grande taille sont rares et ils sont, la plupart du temps, subdivisés en parcelles plus petites où la construction se fait désormais en hauteur. Les premiers immeubles à appartements de luxe sont construits pour offrir une apparence rappelant la résidence unifamiliale de la bourgeoisie et un cadre familier aux occupants.
Témoin d’un passé locatif montréalais
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L’immeuble est reconnaissable grâce à ses pignons décorés et à son toit en pente dominé par des tourelles de style Queen Anne. Sa façade est recouverte de briques avec des insertions de grès, notamment au niveau de l’entrée principale. Dans une de ces insertions, il est possible d’observer l’un des rares exemples montréalais de cadran solaire encore visible aujourd’hui. Ces cadrans sont utilisés pour connaître l’heure grâce à l’ombre projetée sur la surface de la table. Les girouettes, au sommet des tourelles, sont aussi peu fréquentes dans le paysage urbain de Montréal. Elles servent, quant à elles, à indiquer la direction du vent. Si l’avant de l’édifice est orné, les trois autres faces sont couvertes simplement de briques rouges alors que les soubassements sont en pierre, soulignant l’inspiration résolument britannique de la conception de l’édifice. Le Marlborough a peu changé en plus d’un siècle. Pour accéder aux appartements à l’arrière du bâtiment, il faut traverser la cour et emprunter un escalier. Les unités en façade et sur les côtés sont accessibles grâce à deux autres escaliers. Toutes, sans exception, sont munies d’un balcon.
Au départ, un service de conciergerie est prévu, et le téléphone, à l’usage de tous les occupants, se trouve à côté du bureau du concierge. Selon le Canadian Architect and Builder de janvier 1900, le rez-de-chaussée compte, outre le bureau du concierge et le hall, une salle d’attente en plus de 9 des 27 appartements. La taille des appartements varie entre trois et neuf pièces. La façade principale du Marlborough compte quatre niveaux, incluant le rez-de-chaussée, alors que l’arrière n’en compte que trois. Cette élévation particulière permet de se questionner sur l’aménagement intérieur des autres niveaux avec certitude. Toutefois, le quatrième étage est réservé à des studios d’artiste de 30 pieds sur 18 qui profitent, par leur localisation, d’une lumière naturelle en abondance. En plus de leur balcon, les appartements sont équipés d’une chute à déchet dans la cuisine et d’une infrastructure de communication par tube qui permet de dialoguer avec des visiteurs qui attendent au rez-de-chaussée. Des systèmes de ventilation, de refroidissement et de chauffage installés au sous-sol offrent aux locataires un confort novateur pour ce type d’habitation, et l’éclairage électrique, qui gagne en popularité, est installé dans tous les appartements. Les architectes ont ainsi fait bénéficier les locataires des dernières technologies résidentielles.
Une clientèle en évolution
Appartements Marlborough
Graduellement, ces derniers tombent en désuétude et sous le pic des démolisseurs, qui ne laissent que quelques exemples de ce passé révolu dans le paysage montréalais. Leurs occupants emménagent dans les nouveaux quartiers urbains de Westmount et Outremont laissant ainsi la place à une toute nouvelle clientèle. La rue Milton accueille notamment bon nombre d’étudiants qui fréquentent l’Université McGill, propriétaire pendant un temps du Marlborough, à quelques coins de rues de là.
L’édifice a toujours, en 2021, une fonction résidentielle en plein cœur du quartier Milton Parc et n’a pas été affecté par les transformations majeures de ce secteur au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Le Marlborough a été désigné comme lieu patrimonial par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada au début des années 1990 assurant ainsi sa pérennité comme témoin du passé locatif montréalais.
Merci à Richard Phaneuf et à Charlotte Thibault de la Communauté Milton Parc pour leur relecture de cet article.
Andrew Frederick Gault naît en Irlande du Nord en 1833. Huitième d’une famille de neuf enfants, il fait carrière dans le milieu des affaires et du textile. Son succès retentissant lui vaut le surnom de « roi du coton au Canada ».
La famille Gault émigre au Canada en 1842 et subit plusieurs revers de fortune, notamment le décès du patriarche. Pendant sa jeunesse, Andrew Frederick étudie au High School of Montreal, établissement scolaire principalement destiné à la bourgeoisie anglophone de Montréal. En s’associant avec son frère, Robert Leslie, Andrew Frederick Gault fonde la Gault Brothers and Company qui devient la Gault Brothers’ Company Limited en 1896. Après quelques années de disette où les frères Gault risquent gros, le succès est de nouveau au rendez-vous. À la fin des années 1890, le capital de Gault frôle le million de dollars. C’est à cette époque qu’il fait construire les appartements Marlborough. En plus de ses activités avec son frère, Andrew Frederick s’implique dans différents conseils d’administration et investit massivement dans l’industrie des cotonnades.
À l’image de bien des hommes de la grande bourgeoisie d’affaires montréalaises, Gault fait moult donations à des organismes de charité, scolaires comme religieux. C’est notamment le cas du Montreal Diocesan Theological College qui se trouve à un coin de rue des appartements Marlborough. Andrew Frederick Gault décède l’été 1903, il est inhumé le 10 juillet au cimetière du Mont-Royal.
Le terrain sur lequel est construit le Marlborough a été la propriété successive de plusieurs personnes, et ce, dès les premières décennies du XIXe siècle. En effet, Mary Ann Barnes devient propriétaire à la suite d’un achat fait auprès de Robert Shaw en 1831.
Le site est ensuite vendu, pour la somme de 900 livres en décembre 1860, au révérend John Cordner. Les propriétaires subséquents sont : Selina Anne Wood (achat de 7400 dollars, en octobre 1888), Isabel Clift (achat de 15 687,53 dollars, en mai 1893), Andrew Frederick Gault (achat de 17 051,65 dollars, en décembre 1898). L’homme d’affaires fait construire le Marlborough en 1899, sur un terrain vague selon l’acte de vente. D’autres propriétaires se succèdent au XXe siècle : Gault Realties Ltd (achat de 105 000 dollars, en septembre 1912) et Jean-Paul Crête et Jacques Filion (achat de 160 000 dollars, en juillet 1960). Crête et Filion vendent la propriété la même journée à The Royal Institution for the Advancement of Learning qui s’avère être, en fait, l’Université McGill. La vente se conclut pour la somme de 250 000 dollars faisant réaliser un profit considérable aux deux vendeurs. En mai 1979, ce sont Gunther Ryssok et Roussoudan Tarkhanian qui se portent acquéreurs de l’immeuble au prix de 355 000 dollars.
Enfin, le Marlborough passe aux mains de Canada inc. en 1982 pour 720 000 dollars. Cette société, présidée par Lucien Bohbot, fait de ces appartements une copropriété divise vendue un peu plus d’un million de dollars en 1992.
HINTON, Michael. « Gault, Andrew Frederick », Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, vol. 13, 2003. (Consulté le 8 octobre 2021).
HUPPÉ, Isabelle. Les immeubles à appartements de l’île de Montréal, émergence et évolution d’une typologie, 1880-1914, rapport de recherche (maîtrise en histoire appliquée), Université du Québec à Montréal, avril 2008, 155 p.
HUPPÉ, Isabelle. « Les premiers immeubles d’appartements de Montréal, 1880–1914. Un nouveau type d’habitation », Urban History Review / Revue d’histoire urbaine, no 39, vol. 2, printemps 2011, p. 40–55.
PINARD, Guy. « Le Marlborough », La Presse, 11 octobre 1992, p. C7.
The Canadian Architect and Builder, The C. H. Mortimer Publishing Co. of Toronto, Toronto, vol. 13, no 1, janvier 1900, 33 p.