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Le policier Latulippe dévale le mont Royal à ski

05 janvier 2021

Policier montréalais, Charles-André Latulippe témoigne ici de son expérience au sein de l’originale escouade à ski du mont Royal, une unité qui a aujourd’hui disparu.

Charles-André Latulippe

Photographie couleur d’un homme âgé aux cheveux blancs assis dans un fauteuil.
Centre d’histoire de Montréal
À la suite d’études en administration au Collège O’Sullivan de Montréal, Charles-André Latulippe fait son entrée à l’École de police le 2 juillet 1946. Il termine sa formation au mois de septembre suivant, puis est envoyé au poste 17 dans le quartier Saint-Henri. Âgé de 19 ans, il est trop jeune pour patrouiller la nuit mais, compte tenu de sa scolarité, il est affecté au poste d’opérateur. L’une de ses tâches est, entre autres, de dactylographier les rapports d’incident.

Amateur de sport et de plein air, il tente, l’année suivante, de devenir membre du corps de policiers à cheval de Montréal afin d’être intégré à l’escouade à ski qui sillonne le mont Royal pendant la saison hivernale. Le responsable lui donne sa chance, mais il chute à la toute fin de la descente à cause d’un amas de neige, et le lieutenant refuse sa candidature. Le responsable lui suggère de s’entraîner et de faire un second essai l’année suivante. Après ce faux départ, le constable Latulippe suit une formation à la station de ski Chantecler dans les Laurentides. Sa deuxième tentative, en 1948, dure une heure et est couronnée de succès : il peut enfin intégrer la patrouille à ski de la police de Montréal.

Être policier sur le mont Royal

Policiers à ski

Photographie en noir et blanc sur laquelle on voit des policiers à ski se tenir en ligne droite. L’un d’eux se tient devant la ligne.
Collection du Centre d’histoire de Montréal. 2012.89.11.8a.
Cette escouade a été créée par le lieutenant Jean Bernard en 1940. Toutefois, la montagne fait partie de la vie des Montréalais depuis bien plus longtemps. Elle devient un lieu de rassemblement pour les amateurs de sports d’hiver au XIXe siècle, mais aussi un endroit privilégié par la communauté anglophone qui construit de nombreuses résidences luxueuses sur ses flancs. C’est lorsqu’elle est transformée en parc que la police à ski et à cheval commence à y patrouiller.

Le sous-poste de police numéro 10 s’installe dans la demeure secondaire et les dépendances de l’ancienne résidence de lord Strathcona. Faisant partie de la division ouest du Service de police de la Ville de Montréal, le mont Royal d’alors est décrit par Charles-André Latulippe comme la « jungle », où les patrouilleurs doivent demeurer à l’affût des comportements indécents et illégaux. Les fins de semaine, ce sont des milliers de personnes qui fréquentent la montagne. En hiver, les policiers à ski circulent de l’avenue du Mont-Royal à l’avenue des Pins et de l’avenue du Parc jusqu’à Côte-des-Neiges. Les skieurs blessés doivent être traînés sur une civière jusqu’au poste avant d’être amenés à l’hôpital. Selon Latulippe, chaque semaine, ce sont une trentaine de personnes qui doivent être ainsi évacuées!

Les policiers à ski sont privilégiés : ils passent leur journée à l’extérieur et profitent du grand air. Le printemps revenu, ils doivent toutefois quitter le mont Royal et réintégrer leur poste de quartier où ils sont affectés à la circulation, à la patrouille à pied ou, comme c’est le cas pour le constable Latulippe, à l’autoradio.

Raid sur la montagne

Charles-André Latulippe - civière

Photographie en noir et blanc sur laquelle on voit un policier à cheval tirant une civière attelée à l’animal. Derrière la civière, il y a deux policiers à ski.
Centre d’histoire de Montréal. 2012.89.11.10a.
Promu en 1952, Charles-André Latulippe est nommé responsable de l’escouade à ski en décembre cette année-là. Sa vie se transforme : il n’a plus à quitter la montagne l’été et peut profiter des spectacles et des concerts estivaux. La vie est belle pour le sergent Latulippe. Cependant, au tournant de l’année 1958, il fait face au plus gros événement de sa carrière de policier : le raid du chalet sur le mont Royal.

En décembre 1957, une plainte officielle est déposée : des voyous troublent la quiétude de la montagne en insultant les passants et en faisant parfois preuve de violence. On envoie alors en reconnaissance deux patrouilleurs à ski habillés en civil. À la suite de leur rapport qui corrobore les faits, une rafle est organisée quelques jours plus tard, le 5 janvier 1958. Les efforts combinés de l’escouade à ski, du corps de policiers à cheval, des patrouilleurs de l’autoradio et de quelques détectives portent fruit : 20 délinquants sont écroués. Parmi eux, un dénommé Stanley Tex Parsons dont l’arrestation opposera le sergent Latulippe à ses supérieurs, l’assistant-inspecteur Minogue et l’inspecteur Caron. Minogue demande la libération de Parsons qui s’avère être le fils d’un ami proche. Latulippe refuse : Parsons a été inscrit au registre d’écrou et ne peut donc pas être libéré. Selon Latulippe, soit Parsons est libéré à la demande de ses supérieurs, soit il reste en cellule. Cette réponse conduit à un affrontement entre le sergent Latulippe et ses supérieurs. Parsons demeure derrière les barreaux. Il fait un séjour de trois mois en prison. Les autres délinquants arrêtés reçoivent eux une amende de 40 dollars, soit l’équivalent de trois semaines de travail pour un ouvrier à cette époque.

Mutation

Charles-André Latulippe - intérieur poste

Photographie en noir et blanc montrant deux policiers en uniforme de chaque côté d’un comptoir. Un troisième policier est visible dans le corridor à travers le cadre d’une porte ouverte.
Centre d’histoire de Montréal. 2012.89.11.7a.
La satisfaction du devoir accompli est de courte durée. Pour s’être opposé à ses supérieurs, le sergent Latulippe est muté au poste 07 à Tétreaultville, le plus à l’est de la ville. Le travail y est morne et répétitif. De là, il est transféré au poste 16 tout près du parc La Fontaine et il obtient, de surcroît, une promotion : sergent, il devient lieutenant. En décembre 1958, on lui demande même de revenir sur la montagne! Acceptant cette offre avec enthousiasme, le lieutenant Latulippe aura sous sa direction les policiers à ski, mais aussi du corps de policiers à cheval de la Ville de Montréal. Il a à sa disposition en plus de deux paires de skis, un cheval, une motocyclette et une voiture banalisée, de quoi susciter la jalousie… De nouveau aux commandes de cette unité, le lieutenant Latulippe instaure une discipline stricte et rigoureuse à une équipe où, selon lui, le laisser-aller est fréquent. Quelques-uns se braquent contre le nouveau lieutenant et déposent des griefs auprès du syndicat, la Fraternité des policiers de Montréal. Les manigances de ses subalternes réussissent : Latulippe se voit dans l’obligation de quitter la montagne en décembre 1961.

Envoyé de nouveau au poste 16, le lieutenant Latulippe quitte le Service de police de la Ville de Montréal en 1966. Il est embauché pour travailler à la sécurité d’Expo 67 et il devient instructeur au centre de ski La Réserve dans les Laurentides. Quant à elle, l’aventure de l’escouade à ski sur le mont Royal prend fin en 1990 : la direction du Service ne voit alors plus l’utilité de cette unité.

Merci à Paul-André Linteau pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche.

Références bibliographiques

Centre d’histoire de Montréal, collection témoignages, fonds Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960, entrevue avec Charles-André Latulippe, 2012-089-011.

LATULIPPE, Charles. Mémoires d’avant, pendant et après mes années dans la police de Montréal, Saint-Sauveur, King Communications, 2013, 253 p.