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Expo 67. Manger de tout et beaucoup

11 octobre 2017

Grand dossier

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L’Exposition a été l’occasion de multiples découvertes gastronomiques pour les visiteurs. Du côté des organisateurs, combler l’incroyable demande concernant l’alimentation fut un vrai casse-tête.

Expo 67 - Gastronomie

Rangée de personnes debout, de dos, installées devant un comptoir de casse-croûte
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4025.
Dès les grandes expositions du XIXe siècle, la gastronomie fait partie intégrante de l’organisation de ces évènements. Depuis, le visiteur, à la recherche de nouveauté, s’investit intensément dans la découverte de nourritures inconnues. Généralement, la plus grosse part de son budget, après les frais d’entrée, est consacrée à la restauration.

En 1967, le portrait gourmand des Montréalais est assez particulier. Montréal est reconnue comme une ville où la gastronomie est très présente. C’est une ville de restaurants, mais avec des limites. L’influence culinaire est majoritairement européenne. Pas nécessairement à cause de l’origine des premiers habitants du pays, mais plutôt parce que Montréal est une des portes d’entrée importantes de l’Amérique du Nord pour les Européens : depuis le début du XXe siècle, de forts liens maritimes transatlantiques établis entre les grands ports de France et d’Angleterre et Montréal ont fait de la ville une cité internationale, bien avant la tenue de l’Exposition de 1967.

Cependant, le Québécois francophone consomme surtout une nourriture traditionnelle, souvent teintée par la Grande Dépression des années 1930. Ainsi, les plats économiques sont la base de son alimentation : la soupe aux pois, les fèves au lard, le pâté chinois, le spaghetti sauce à la viande (qui n’a aucun rapport avec la cuisine italienne), le quart de poulet frit, le chop suey (plat originaire de San Francisco) ou encore le pouding chômeur. Pendant la période des fêtes, on ajoute évidemment la traditionnelle tourtière (pâté à la viande) et les beignes.

L’expérience culinaire vécue à l’Expo 67 va tout bousculer. Lors de sa visite, le citoyen local fait une découverte gastronomique… et il est souvent surpris par l’offre!

Législation modifiée pour l’Expo

Expo 67 - Bulldog Pub

Personnes attablées au pub le Bulldog
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4020.
Il est très difficile aujourd’hui de comprendre le choc alimentaire que l’Expo provoque chez les Montréalais. La ville est devenue au fil des ans une capitale gastronomique reconnue à travers le monde. Visiter Montréal aujourd’hui, c’est avant tout une aventure culinaire et culturelle. Mais, en 1967, le pain pita ou les falafels, les sushis et la viande de bison ou encore la fondue au chocolat ne font pas partie du paysage gourmand de Montréal. Il faut une modification législative pour que l’on puisse servir de la viande de cheval à l’Expo (qui est interdite de consommation au Québec) ou encore une autorisation spéciale du gouvernement fédéral pour approvisionner les restaurants en viande de bison. La Toundra, au pavillon canadien, propose des plats de viande de baleine (du béluga) de la baie d’Hudson. L’importation des fromages de lait cru ou encore de plusieurs types de charcuteries crues est interdite au Canada, sauf durant l’Expo.

La curiosité et le palais des Montréalais sont bien récompensés durant les six mois de l’Expo 67… Ils y découvrent des cuisines peu ou pas connues comme celle de la Suisse avec son restaurant Les Quatre Régions, un des plus populaires. Qui s’est assis à sa table se souvient de l’émincé de veau zurichois ou encore de la viande séchée et du jambon cru des Grisons. On découvre aussi une cuisine indienne traditionnelle, cuite dans le premier four tandoori de Montréal, ou encore on ose manger du poisson cru au pavillon du Japon… alors que les Québécois consomment très peu les poissons. Et que dire du caviar iranien? Bien que celui produit par les pays de l’URSS soit aussi disponible au restaurant Moskva, c’est celui de l’Iran qui est le plus recherché. Et en plus, il faut réserver une petite place dans son estomac pour déguster une succulente gaufre belge ou une portion de bo bo polynésien.

Expo 67 - Beergarden

Le Beergarden de l’Île Notre-Dame
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4021.
Le pavillon du Canada ainsi que ceux des provinces maritimes, de l’Ontario et du Québec ont mis beaucoup de soin à la préparation des menus de leurs établissements respectifs. D’ailleurs, à La Toundra, restaurant du Canada, on peut essayer des plats totalement inconnus des gens du sud du pays : le béluga de la baie James, les petits fruits du Labrador ou encore la soupe à la queue de castor… Au restaurant du pavillon du Québec, l’enjeu est de taille : convertir une cuisine régionale traditionnelle, souvent lourde et sans finesse, en une cuisine du terroir représentative du renouveau que connaît la province — défi très bien relevé et qui contribue, à sa façon, au développement de l’ITHQ, fondé en 1968.

L’offre alimentaire et gastronomique de l’Expo 67 (et des premières années de Terre des Hommes) est à l’image de l’exposition et de son éclat. Quel mets découvrir, quels poisson ou viande essayer? Voilà la plus importante décision à prendre pour le visiteur en 1967.

À la découverte des alcools du monde

Expo 67 - Beergarden

Serveuse du Beergarden tenant plusieurs verres de bière
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4028.
Mais c’est surtout pour la consommation de boissons alcoolisées que le changement est remarquable. Le vin, par exemple, n’est pas dans les habitudes de la majorité des Montréalais. Et même s’ils en consomment régulièrement, on ne leur offre qu’une sélection très limitée de produits — souvent de qualité douteuse, comme le fameux Québérak ou encore le St-George que l’on trouve dans toutes les noces. Bref, le Montréalais type ne connaît pas les vins et boit n’importe quoi! Or, durant l’Expo 67, les restaurants des pavillons proposent à leurs clients une gamme très évoluée de vins, presque tous inconnus des Montréalais. De plus, la Régie des alcools a un magasin sur l’île Sainte-Hélène, près du métro, où il est possible de se procurer près de 500 nouveaux produits non disponibles dans les comptoirs hors de l’Expo. Ce magasin fait des affaires d’or tout au long des six mois de l’Exposition.

L’autre découverte est celle des single malt, ces whiskies écossais tellement prisés aujourd’hui, mais totalement inconnus en 1967, car on ne les importe pas au Québec. C’est au Bulldog Pub de La Ronde que l’on goûte les premiers single malt… et les bières britanniques, elles aussi pratiquement inconnues des Montréalais.

Peut-on nourrir 50 millions de visiteurs?

Expo 67 - restaurant Bavarois

Foule attablée dans un restaurant
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4029.
La Compagnie de l’Expo avait planifié le nombre de places assises dans les restaurants en fonction de 35 millions de visiteurs. Trois types d’établissements étaient prévus : les restaurants situés dans les pavillons nationaux, un certain nombre de commerces construits par la Compagnie de l’Exposition et gérés par des concessionnaires et, finalement, près de 70 casse-croûtes et boutiques de restauration répartis sur tout le site. Mais les prévisions sur l’achalandage se sont avérées beaucoup trop prudentes. Déjà, lors des premières journées d’ouverture, on s’en va vers la catastrophe.

Avec plus d’un million de visiteurs lors de la première fin de semaine, la capacité de toutes les installations de l’Expo est excédée; que ce soit le métro, l’Expo-Express, le Minirail, les toilettes ou encore la restauration. Dans plusieurs cas, les casse-croûtes se trouvent sans nourriture au milieu de l’après-midi du dimanche 30 avril (journée où l’on accueille plus d’un demi-million de visiteurs!). Les files de gens devant les autres restaurants sont tellement longues qu’une attente d’une heure et demie ou même deux heures pour prendre place n’est pas rare. Et la facture dans plusieurs de ces commerces est particulièrement salée. Les responsables des services alimentaires de l’Expo sont submergés de plaintes provenant des visiteurs.

Cependant, la direction de l’Expo, le responsable des concessions alimentaires Maurice Novek en tête, constitue rapidement une cellule de crise et entreprend de régler le plus rapidement possible le problème. Les prix exorbitants sont compliqués à corriger. La volonté de la direction de l’Expo est que les prix pratiqués sur le site soient équivalents à ceux du centre-ville de Montréal. De plus, une taxe de 12 % est ajoutée à la facture finale pour couvrir les frais de la Compagnie de l’Exposition. Dès la réception des premières plaintes, la direction des concessions envoie ses inspecteurs vérifier les prix dans tous les établissements alimentaires sous sa juridiction et fait corriger à la baisse le coût des repas, en fonction de l’entente prise entre les gestionnaires des concessions et la direction de l’Expo.

Réguler les prix des repas

Expo 67 - restaurant Le Raphaël

Vue de la terrasse du restaurant Le Raphaël avec un pavillon thématique et le pont Jacques-Cartier à l'arrière-plan
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4027.
Mais les restaurants des pavillons nationaux relèvent directement du commissaire général, Pierre Dupuy. En effet, les pavillons sont considérés comme territoire international, et la direction de l’Expo a peu de pouvoir sur les commissaires généraux de ces pavillons (sauf en ce qui a trait à la salubrité des aliments). De plus, dans plusieurs des cas, ces restaurants sont considérés comme des établissements de luxe, les prix demandés découlent donc de cette classification. Il faut aussi comprendre que les frais doivent être amortis en six mois seulement et qu’on ne peut pas compter sur une clientèle fidèle. Des négociations sont entreprises par le commissaire adjoint, Robert Shaw, et un équilibre des prix est graduellement atteint. Bien sûr, si l’on mange dans certains restaurants comme Le Concorde (pavillon de la France) ou Le Château (pavillon de la Tchécoslovaquie), il faut s’attendre à une facture élevée, mais il est possible de prendre un bon repas à un prix raisonnable dans la plupart des restaurants nationaux.

Par contre, le problème le plus important, celui du manque chronique de places, demande beaucoup plus de travail à l’équipe de M. Novek. On procède à une approche en deux temps. Premièrement, on rencontre plusieurs des restaurateurs et commissaires généraux des pavillons pour agrandir les installations ou tout au moins ajouter des places assises. La Belgique monte une tente en face de son pavillon, sur le bord du lac des Cygnes, et y offre sensiblement le même menu que celui de la brasserie du pavillon. Au pavillon des provinces de l’Atlantique, on remplace la cuisine de service du deuxième étage par des tables supplémentaires. Au pavillon du Québec, on utilise tous les recoins possibles pour ajouter des places. On fait de même dans de nombreux restaurants et salles à manger.

Puis on crée plusieurs nouveaux établissements, certains en lien avec des pavillons, d’autres en construction libre. La Yougoslavie, qui a un restaurant, le Sveti Stefan, mais situé à la Ronde au Carrefour international, accepte un casse-croûte en terrasse, qu’on aménage rapidement sur le côté du pavillon. On fait de même avec le pavillon des Nations Unies, mais cette fois-ci le commerce (spécialisé en nourriture pakistanaise) est situé au sous-sol, à l’entrée du cinéma.

Création de nouveaux restaurants

Expo 67 - place de l'Univers

Vue sur un comptoir d'un bar-terrasse et de la place de l'Univers
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4023.
Quelques nouveaux restaurants apparaissent aussi sur l’île Notre-Dame. Ainsi, le concessionnaire suisse gestionnaire des casse-croûtes Sur le Pouce ajoute un autre établissement, installé à la hâte dans un endroit-repos situé sur le bord du canal. La chaîne d’alimentation Steinberg construit elle aussi rapidement un casse-croûte sous une tente, adjacente au pavillon de la compagnie Kodak. Mais c’est l’arrivée du Saint-Hubert BBQ qui connaît le plus grand succès. Cette entreprise n’avait pas soumissionné afin d’avoir des concessions à l’Expo — semble-t-il par manque de confiance dans le succès de l’aventure. Relancé par l’équipe de M. Novek, le restaurateur finit pas accepter et s’installe dans deux endroits stratégiques de l’Expo : à l’île Notre-Dame, sous l’immense pavillon de l’Homme à l’œuvre, ainsi qu’à La Ronde, dans un kiosque situé tout près de l’entrée, face à l’Aquarium Alcan. Évidemment, il est impossible d’aménager assez vite des cuisines pour ces deux succursales. Les poulets sont cuits dans un des restaurants situés en ville puis rapidement transportés vers l’Expo.

Au fil du temps, les problèmes liés à la restauration disparaissent et les plaintes des visiteurs se font de plus en plus rares. Il est évident que l’expérience gastronomique à l’Expo pouvait être une aventure dispendieuse, mais les correctifs apportés à l’offre alimentaire permirent à tous les visiteurs d’y trouver leur compte. On mangea bien à l’Expo et, surtout, on mangea beaucoup : plus de 10 millions de hot-dogs, plus de 6 millions de hamburgers et plus de 3000 tonnes de frites furent servis durant les six mois d’Expo 67.

Expo 67 - L'Abbaye

Deux hôtesses ou serveuses à l'entrée du restaurant L'Abbaye
Collection personnelle Roger La Roche. CAN_MT1967-PH-4022.

Plusieurs restaurants se sont démarqués. Le plus prestigieux de l’Expo fut Le Château du pavillon de la Tchécoslovaquie — c’était aussi le plus dispendieux; le plus populaire fut Le Bavarois Munich, situé au Village international; le mieux coté selon les critiques gastronomiques des journaux fut Les Quatre Régions du pavillon suisse (qui deviendra le William Tell, situé dans la rue Stanley et aujourd’hui fermé). Les plus médiatisés sont cependant demeurés le Santa Anita du pavillon du Mexique et le Moskva de l’URSS.

L’impact de l’expérience gastronomique offerte à Expo 67 est difficile à mesurer 50 ans plus tard, mais il est certain que l’ouverture culturelle vécue par les Montréalais lors de l’événement est en partie liée aux découvertes culinaires.