Devenu le premier policier noir de l’histoire du Québec en 1974, Édouard Anglade a été un leader communautaire à Montréal. Il est un modèle de réussite pour les jeunes Montréalais afrodescendants.
Cet article fait partie d’une série de quatre rédigés dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs pour reconnaître le travail des employés et employées afrodescendants de la Ville de Montréal. Le Réseau d’action des employées et employés noirs de la Ville de Montréal honore ainsi quatre personnes qui ont œuvré pour la Ville et qui ont laissé d’importants legs.
—
Haïtiens - Édouard Anglade
Il voyage vers Montréal avec un visa de touriste valide pour trois mois. N’ayant pu obtenir le visa d’étudiant, il part pour New York pour attendre cette autorisation; il y travaille dans plusieurs manufactures et profite de son séjour pour apprendre l’anglais. Ayant finalement reçu son visa, il revient quelques mois plus tard à Montréal pour étudier l’informatique. Il arrive dans la métropole au moment où la dictature des Duvalier se durcit et où la ville voit affluer une première vague de réfugiés et d’immigrants haïtiens.
À Montréal, il est employé comme conseiller financier par la compagnie Crown Life et se révèle aussi un organisateur et un animateur d’associations culturelles et sportives, alliant ainsi ses deux grandes passions : le sport et le piano. Pour gagner sa vie, il travaille dans les assurances, mais son grand rêve est de devenir policier.
Premier policier noir de Montréal
Après avoir obtenu la citoyenneté canadienne, il se porte candidat à un poste d’agent de police et est admis à l’École nationale de police du Québec. Être le premier policier noir de Montréal est un défi exaltant pour Édouard Anglade. Admis après avoir réussi les examens d’entrée, il intègre finalement les rangs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) le 3 janvier 1974, à la veille de ses 30 ans. Il a par la suite gravi les échelons pour devenir sergent-détective.
Édouard Anglade est affecté, après son stage de formation, au poste 9, renommé plus tard le poste 24. Durant deux ans, il travaille comme patrouilleur. En 1975, après des cours de préparation à la lutte antiterroriste, il fait partie de l’équipe des policiers affectés à la sécurité des athlètes pendant les Jeux olympiques de Montréal. En 1977, il est transféré au Bureau des stupéfiants. À la section des narcotiques, il devient agent double chargé d’infiltrer différents réseaux montréalais du crime organisé. Il aide à démanteler plusieurs réseaux de trafiquants de drogue dont certains opèrent au niveau de la police. En 1983, il est assigné à la section de surveillance électronique.
En 1985, on le retrouve au poste 24 où il subira du harcèlement. Le 17 juin 1988, la commission d’appel en matière de relations professionnelles, dans un jugement devenu célèbre, reconnaît qu’Édouard Anglade a été victime de harcèlement discriminatoire. Radio Canada diffuse sur ses ondes cette histoire et le Comité Bellemare reconnaît que dans les services de police s’exerçait de la discrimination à l’égard des membres des communautés noires. En 1993, il est promu au poste 25. À compter de 1994, durant deux années, il part en mission d’évaluation en Haïti, auprès du gouvernement de Robert Malval.
Distinctions et hommage
Homme d’actions et de convictions, dévoué à son métier de policier, Édouard Anglade a reçu deux fois, en 1995 et en 2004, le prix du Gouverneur général du Canada pour services distingués, ainsi que plusieurs distinctions de marque, parmi lesquelles un certificat de reconnaissance pour sa conduite exemplaire par le SPVM et la nomination de citoyen d’honneur de la Ville de Montréal en 1997. Édouard Anglade est décédé le 13 juin 2007 et l’Assemblée nationale du Québec lui rend alors un hommage posthume.
Édouard Anglade considérait que la police devait être proche de ces citoyens et devait se préoccuper des minorités visibles. En effet, dès 1981, en dehors de ses relations avec les organisations communautaires haïtiennes, il commence à rencontrer périodiquement les membres du comité de direction de certaines organisations comme le Negro Community Center. Il réussit à établir des ponts avec les jeunes des communautés noires anglophones et devient, face à l’attrait du crime organisé, un modèle pour les jeunes Noirs. Il participe aussi à de nombreux ateliers, colloques et conférences. En 1988, le nouveau chef de la police de la communauté urbaine de Montréal, Roland Bouget, l’encourage à persévérer dans cette direction, mais son supérieur immédiat à une vision différente du rôle de la police.
Une autre conception de la police
Pour Édouard Anglade, la police doit tisser des liens de confiance avec la population alors que pour son supérieur la police doit surtout jouer un rôle de répression, deux visions diamétralement opposées. Dans un cas, il s’agit de considérer que la fonction du policier est essentiellement de dépister des groupes qu’il faut réprimer, dont les jeunes Noirs, qui deviennent ainsi un groupe ciblé. Selon Édouard Anglade, l’institution policière doit jouer un rôle préventif en établissant des rapports de confiance avec les communautés noires, pour éviter des tensions.
En 1994, Édouard Anglade publie aux éditions du CIDIHCA le livre Nom de Code Mao, parcours d’un policier haïtien à Montréal, avec un avant-propos de Maryse Alcindor, future sous-ministre de l’immigration, et une préface de Jacques Duchesneau, directeur du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal. Il rédige aussi un projet de politique de rapprochement avec les communautés noires à l’intention de la direction du SPVM.
Édouard Anglade constitue un modèle non seulement pour les jeunes Noirs, mais aussi pour tous les citoyens de Montréal. Il a su mettre sa carrière de policier au service des citoyens de la ville.
ANGLADE, Édouard, Nom de code Mao, parcours d’un policier haïtien à Montréal, les éditions du CIDIHCA, 2006.
BEAUSOLEIL, Jean-Marc, Créole Blues, les éditions Somme toute, 2022.