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Désamorcer des bombes, un métier explosif!

13 octobre 2020

Dans les années 1960 et 1970, la police de Montréal, qui découvre le terrorisme urbain, crée une section technique pour le combattre. Robert Côté, un des pionniers du désamorçage de bombes témoigne.

Robert Côté 1961

Gros plan sur un policier qui porte une casquette avec le matricule 2175
Collection personnelle de Robert Côté
Robert Côté joint les rangs de la police de Montréal en 1959 à l’âge de 22 ans. Ancien parachutiste de l’armée canadienne, il devient patrouilleur et arpente les rues de la métropole, qui seront bientôt le théâtre d’événements violents.

Au début des années 1960, des manifestations nationalistes secouent Montréal. Un petit noyau de contestataires passe des manifestations aux graffitis sur les édifices fédéraux, puis aux cocktails Molotov, avant de se tourner vers les bombes à la dynamite. La ville est la scène d’un tout nouveau phénomène en Amérique du Nord : le terrorisme urbain. Le Front de libération du Québec (FLQ) est la figure de proue de ce mouvement qui culmine avec les kidnappings de James Richard Cross et de Pierre Laporte en 1970.

BOOM!

BOOM!

Capsule vidéo réalisée pour l’exposition Explosion 67. Terre des jeunes, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 16 juin 2017 au 13 mars 2020. Elle accompagnait un artéfact de la collection du Centre d’histoire dans une vitrine : une bouteille de Seven-Up provenant de l’usine de Ville Mont-Royal (1964, cote 2005.403). Centre d'histoire de Montréal, collection de témoignages, fonds Explosion 67 - Terre des jeunes, entrevue de Robert Côté, 2016-001-024-001.  

Réalisation : 
Antonio Pierre de Almeida

« La dynamite, ça trainait partout! » — Robert Côté

Robert Côté 1970

Un policier vu de côté est en train de prendre de l’équipement dans un camion sur lequel on peut lire « Explosives » et « Police ».
Collection personnelle de Robert Côté
Le 1er avril 1963, une bombe saute au coin des voies De Bleury et Dorchester (aujourd’hui le boulevard René-Lévesque) dans un édifice abritant le service des impôts du Canada. La population pense à un poisson d’avril, mais c’est le début des attentats à la bombe qui secoueront Montréal par vagues successives. La dynamite utilisée pour ces engins se trouve sur certains des grands chantiers montréalais, notamment celui du métro, et dans les carrières avoisinantes. Les boîtes rouges qui servent à l’entreposer ne sont pas verrouillées permettant ainsi ces vols d’explosifs. Ce sont environ 1000 bâtons de dynamite que le FLQ parvient à subtiliser. De ceux-ci, 300 sont récupérés lors d’opérations de désamorçage par les membres de la section technique de la police de Montréal, créée afin de combattre cette menace d’un nouveau genre. Trente policiers y sont affectés au début. Travaillant conjointement avec les forces armées, cette escouade est l’ancêtre du groupe tactique d’intervention actuel, le GTI.

Le 17 mai 1963, plusieurs boîtes aux lettres de Westmount sont piégées et cinq bombes sautent durant la nuit. C’est aussi le premier jour de travail de Robert Côté à la section technique. Il plonge dans l’action et apprend, en partie, son métier sur le tas. Bien qu’il ait reçu une formation de base d’artificier dans l’armée canadienne lors d’un séjour à la base militaire de Sainte-Thérèse, il doit faire preuve d’inventivité et de débrouillardise. Il a de la chance, se dit-il, les bombes montréalaises sont moins sophistiquées que celles de l’Armée républicaine irlandaise. Elles possèdent néanmoins toutes les mêmes composantes : une charge explosive au poids variable, une amorce et un mécanisme de retardement. Pendant les années qui suivent, les bombes continuent de sauter de façon intermittente, et la menace pèse sur les préparations de l’Exposition universelle de 1967.

Expo 67 et la menace terroriste

Robert Côté - équipe

Photo en noir et blanc montrant neuf policiers debout devant un édifice et des véhicules.
Collection personnelle de Robert Côté
Les organisateurs craignent les bombes et les fusillades, d’autant plus que plusieurs dignitaires et chefs d’État sont attendus à Montréal. Robert Côté et la section technique sont chargés de ce dossier en collaboration avec la marine canadienne. Cette dernière a un bateau, le YMT-11, amarré dans le port de Montréal, au quai Bickerdike, avec à son bord une équipe d’artificiers-plongeurs. Malgré l’angoisse, ces mois de 1967 sont relativement calmes. On constate une accalmie dans les appels à la bombe, et très peu d’incidents ont lieu sur le site même de l’Expo. Seuls des événements au pavillon de Cuba viennent légèrement troubler la paix.

Après l’Expo, les attentats reprennent de plus belle : en 6 mois, 31 bombes sont découvertes. Robert Côté en désamorce à lui seul près de la moitié. La plus grosse bombe qu’il neutralise à Montréal est celle découverte dans une voiture sur la rue Saint-Jacques près de la Banque de Montréal le 11 juillet 1970. Elle contient 150 livres de dynamite et elle est prête à détoner. Pourtant, ce n’est pas celle-là qui lui a donné le plus froid dans le dos, mais bien celle qui menace l’établissement Eaton, rue Sainte-Catherine Ouest, en 1968. Symbole du capitalisme anglophone décrié par le FLQ, ce magasin est la cible de deux attentats la même journée. Dans la nuit du 21 novembre, un engin explosif éclate dans le sous-sol. Malgré tout, la direction ouvre les portes au public comme si de rien n’était. En après-midi, Robert Côté reçoit un appel : ça va sauter de nouveau! Il parvient à neutraliser la bombe et est applaudi par la foule à sa sortie du magasin. Principale constatation à la suite de cet événement : l’équipement de protection et de désamorçage n’est pas adapté à la vie réelle. Dans le cas du magasin Eaton, l’écran protecteur ne passait même pas dans les portes tournantes de l’édifice… C’est alors muni seulement de ses pinces acquises à la quincaillerie Pascal au coût de 3,95 dollars que Côté se met au travail.

Quand les bombes ne suffisent plus

Remorque Angèle

Photographie couleur montrant la partie arrière d’un camion bleu auquel est attachée une remorque sur laquelle il y a un grand contenant de métal cylindrique. Sur la porte de la remorque, il est écrit « explosifs » en lettres majuscules.
Collection personnelle de Robert Côté
Le FLQ passe à la vitesse supérieure en octobre 1970 lorsque ses membres enlèvent le diplomate James Richard Cross le 5 octobre, puis le ministre du Travail et vice-premier ministre Pierre Laporte quelques jours plus tard. Ce dernier meurt, et son corps est découvert une semaine plus tard à Saint-Hubert. Quant à Cross, il demeure en captivité pendant 62 jours. Montréal voit, le 3 décembre 1970, le plus grand déploiement policier et militaire de l’histoire du Canada avec l’opération Cordon qui permet de déterminer le lieu où est séquestré Cross et de procéder à sa libération. C’est Robert Côté qui, après de longues heures, peut enfin lire le dernier communiqué du FLQ confirmant la présence de Cross au 10 945 avenue des Récollets, à Montréal-Nord. Après un refus des autorités algériennes de délivrer un sauf-conduit aux terroristes québécois, ceux-ci se tournent vers Cuba. Le sauf-conduit est émis et le pavillon du Canada à Terre des Hommes devient, l’espace de quelques heures, territoire cubain. C’est là que Cross sera libéré.

Peu avant, une voiture sort du garage de la rue des Récollets avec les fenêtres couvertes de papier journal afin qu’il ne soit pas possible d’identifier où sont assis ses différents occupants. Deux bombes de 5 livres sont à bord, et c’est la première fois qu’est utilisé le dead man switch, un mécanisme de détonation à ressort, une hantise pour la section technique. Désamorcer des bombes à Montréal n’est pas de tout repos, tout doit être inventé ou adapté, comme c’est le cas avec « Angèle » la remorque qui sert à transporter les bombes. Le plus compliqué n’était pas de neutraliser les bombes, mais bien de les reconstituer après une explosion afin de pouvoir présenter des preuves irréfutables devant un jury au cours d’un procès.

Robert Côté

Gros plan sur un homme en complet assis les mains croisées et posées sur une table de salle à manger
Centre d’histoire de Montréal

Après 14 ans de service, Robert Côté quitte la section technique afin de pouvoir être promu. Il est chargé de mettre sur pied et de commander le Groupe tactique Alpha dans le cadre des Jeux olympiques de 1976. Devenu ensuite directeur des télécommunications, il met en place le système d’urgence 911 de la Communauté urbaine de Montréal le dimanche 1er décembre 1985. Il prend sa retraite en mai 1990 alors qu’il est directeur du district 42 du SPCUM, situé à l’angle des rues Jarry et Saint-Hubert, avec le grade d’inspecteur-chef. 

Merci à Robert Côté et à Paul-André Linteau pour la relecture de cet article et au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal pour son soutien à la recherche.

Références bibliographiques

CENTRE D’HISTOIRE DE MONTRÉAL. Entrevue de Robert Côté, collection témoignages, fonds Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960, 2012-089-007-001.

CENTRE D’HISTOIRE DE MONTRÉAL. Entrevue de Robert Côté, collection de témoignages, fonds Explosion 67 – Terre des jeunes, 2016-001-024-001.

CÔTÉ, Robert. « Autopsie d’une opération. L’opération Cordon : le dénouement de la crise d’Octobre », Chroniques d’hier à aujourd’hui, Service de police de la Ville de Montréal, novembre 2010, p. 4-5.

CÔTÉ, Robert. « Expo 67 et la Police de Montréal », Notre mémoire collective, Service de police de la Ville de Montréal, hiver 2017, p. 12.

LAURENDEAU, Marc. « Front de libération du Québec », L’Encyclopédie canadienne, 11 août 2013. (Consulté le 10 mars 2020).

SABOURIN, Andrée. « La Crise d’octobre », À la découverte de la Collection nationale, octobre 2010. (Consulté le 10 mars 2020).