En 1945, les Chinois de Montréal organisent un grand défilé célébrant la fin de la guerre. Toute la population de la ville est conviée à des festivités pittoresques et d’envergure.
Défilé de la Victoire
S’étant réunis au siège de la Chinese Benelovent Association à l’Hôpital chinois au 112, rue De La Gauchetière Ouest, Gordon Yuen, Frank Lee, Jack Young, Thomas Hum, Charlie-Song Wong et Yip Wing forment ensemble le comité pour les fêtes de la Libération de la Chine. Sous l’impulsion de ces hommes dynamiques qui sont des membres influents des associations chinoises, la rue De La Gauchetière est décorée de banderoles multicolores et drapeaux des pays alliés. Sous le regard curieux des Montréalais, deux arcs de triomphe s’élèvent de part et d’autre de la rue De La Gauchetière, l’un au croisement de la rue Saint-Laurent et l’autre à l’intersection Saint-Urbain. Toute la population est conviée aux festivités s’annonçant hautes en couleur. Invités de marque, discours officiels, cortège animé, feux d’artifice, performances d’arts martiaux, théâtre, danses et musique sont au programme.
Une fête mémorable
Le clou des festivités est sans contredit une grande procession dans les rues de Montréal. Sur les trottoirs, des dizaines de milliers de personnes sont venues voir le défilé. La musique de cinq fanfares militaires se joint à celles des tambours, des gongs, des cymbales et des flûtes de l’orchestre chinois. Suivant le rythme, des danseurs revêtus du costume traditionnel du lion exécutent la danse de la Victoire sous les yeux étonnés des enfants montréalais. Le grand dragon défile également, escorté de plusieurs gardes. Commençant leur trajet sur la rue De La Gauchetière, les associations chinoises paradent, suivies des fanfares, des danseurs traditionnels et de 14 chars allégoriques présentant les portraits des chefs des États alliés et des moments forts de l’histoire chinoise.
Défilé de la Victoire
Sur la rue De La Gauchetière, à la hauteur de Saint-Urbain, une grande scène extérieure est aménagée par l’association des francs-maçons chinois pour les représentations prévues dans la soirée. De la danse traditionnelle y est présentée ainsi qu’une performance enlevante d’arts martiaux mettant en scène des experts du sabre chinois. Selon les mémoires du président des francs-maçons, Jack Huang, les deux pièces de théâtre organisées en soirée sont si courues que « même l’eau n’aurait pas pu passer à travers la foule compacte ». Malheureusement, le sens de l’histoire échappe à bien des spectateurs occidentaux, qui s’émerveillent néanmoins des costumes colorés et de la gestuelle du théâtre chinois.
Un rare moment d’unité
Défilé de la Victoire
Marquant la participation courageuse de la Chine aux côtés des alliés, la fête est encensée dans les journaux les jours suivants. The Montreal Gazette relate le discours du représentant du maire, Alcide Goyette, qui souligne l’excellente réputation des citoyens chinois de la ville de Montréal. Le Petit Journal en profite même pour rappeler l’histoire de la communauté chinoise montréalaise. Celle-ci ayant souvent été discriminée par la presse par le passé, ces textes révèlent un changement de ton important.
Les autorités canadiennes ont désormais une plus grande ouverture envers les expatriés chinois, considérant les actes de bravoure des soldats sino-canadiens et l’effort de guerre de la communauté civile lors de la Deuxième Guerre mondiale. Reflétant cette nouvelle acceptation, la loi d’exclusion des Chinois (empêchant l’immigration chinoise au Canada sauf dans de rares cas) est levée en 1947.
Cet article est tiré de la chronique « Montréal, retour sur l’image », parue dans Le Journal de Montréal du 30 août 2015. La chronique a été révisée et enrichie pour sa publication dans Mémoires des Montréalais en 2018.
Situé au 53-57, De La Gauchetière, le Chunking Café est en fête. Comme son enseigne lumineuse l’annonce, on y sert du chop suey. N’essayez pas d’en trouver en Chine! Ce plat, s’inspirant d’un ragoût de la région de Canton, serait une déformation du terme cantonnais tsap seui, signifiant « restants mélangés ». Selon la légende, lors de la ruée vers l’or, à San Francisco, des mineurs seraient entrés dans un restaurant chinois après la fermeture en réclamant un repas. Le cuisinier improvisa un plat de restes de légumes et de viandes, le tout arrosé de sauce soya épaissie. À son grand étonnement, le plat fut un succès. La mode se répand un peu partout en Amérique du Nord, le Chop Suey Café étant souvent le premier restaurant chinois à s’installer en ville. Dès les années 1930, les ménagères québécoises des milieux modestes servent ce mets bon marché, cuisiné ou acheté en conserve, le vendredi, jour maigre.
« Parade et manifestations orientales, les Chinois triomphent à Montréal », Le Petit Journal, 2 septembre 1945, p. 2-7 et p. 10.
« Final, Official V-J Day Marked Boisterously by Chinese Colony ». The Montreal Gazette, 3 septembre 1945, Vol. CLXXIV, no 211, p. 11.
CHAN, Kwok B. Smoke and Fire: The Chinese in Montreal, Hong Kong, The Chinese University Press, 1991.
HELLY, Denise. Les Chinois à Montréal : 1877-1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987.