L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Victor Hudon et l’industrie textile

06 décembre 2017

Peu connu, l’homme d’affaires Victor Hudon a cependant joué un rôle important dans le développement de l’industrie cotonnière du Canada au XIXe siècle, et a grandement participé à l’essor d’Hochelaga.

Victor Hudon - parade

Photo noir et blanc d'un char allégorique s'intitulant Victor Hudon et l'industrie textile.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec. P48,S1,P13894.
Les 24 juin 1946 et 1947, lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste, les Montréalais ont pu admirer un char allégorique dont le thème était Victor Hudon et l’industrie textile. Qui est celui qui recevait un tel honneur?

Victor Hudon est un bel exemple de marchand qui transforme son capital commercial en capital industriel, en mettant sur pied une des premières sociétés par actions cotées en bourse au Québec. Il est également le parfait exemple d’un industriel canadien-français du XIXe siècle évincé de son entreprise par de plus puissants industriels anglophones soutenus par de solides institutions financières.

Carrière commerciale

Victor Hudon

Photo de Victor Hudon
Bibliothèque et Archives nationales du Québec. 0002724846.
Victor Hudon est né à Rivière-Ouelle en 1812. En 1830, il entre comme commis dans un commerce de nouveautés, la maison J. Chouinard, à Québec. Deux ans plus tard, à Montréal, il est également commis dans le même type de magasin, chez Jean-Baptiste Casavant, rue Saint-Paul. Les affaires sont prospères et Casavant l’envoie diriger la succursale de Saint-Césaire. C’est là qu’il fait la rencontre de William Unworth Chaffers, le plus important marchand de cette municipalité, avec qui il s’associe pour une période de cinq ans. En 1835, il épouse Marie Godard avec laquelle il aura trois filles et six fils, dont trois deviendront jésuites.

Hudon revient à Montréal en 1842 et, avec son cousin Éphrem Hudon, fonde un commerce de nouveautés et d’épicerie. Les Hudon commencent à importer des marchandises d’Angleterre, de France et d’Espagne. Les bureaux de l’entreprise sont situés au 140, rue Saint-Paul Est. En 1857, les deux cousins mettent fin à leur association et Victor Hudon décide de faire cavalier seul. Il étend ses importations à la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et la Sicile, en plus des pays ci-haut mentionnés. Il importe de plus de grandes quantités de vin. Pendant une période de 10 ans, il commerce avec Cuba, échangeant du bois d’œuvre contre du sucre et de la mélasse. En 1861, il se porte acquéreur du terrain situé au 138, rue Saint-Paul Est et fait construire un magasin-entrepôt qu’il occupera jusqu’en 1871.

Victor Hudon s’est également intéressé au domaine des transports. En 1857, il est un des membres fondateurs du conseil d’administration de la Compagnie de navigation du Richelieu. En 1865, il est mentionné comme directeur provisoire de la Compagnie de chemin de fer Mont-Royal, dont l’objectif était de relier certains points de Montréal par le train. Lors de la campagne électorale de 1872, on apprend que Hudon est directeur provisoire du Canadien Pacifique.

La question du crédit

Banque Jacques-Cartier

Illustration montrant une scène de rue avec la banque Jacques-Cartier en 1873
Bibliothèque et Archives nationales du Québec. http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2082308
Pour aider à la mise sur pied de sociétés par actions, plusieurs marchands anglophones et francophones fondent la Bourse de Montréal en 1853. Victor Hudon fait partie du groupe. Pour un commerçant ou un industriel, la question du capital financier est vitale. Pour un francophone, il est difficile d’obtenir du crédit de la part d’institutions bancaires, pour la plupart anglophones. C’est pour cette raison que l’on voit les frères Hudon parmi les fondateurs de la Banque des Marchands en 1846. Malheureusement, cette institution n’eut qu’une existence sur papier.

Plus heureuse est la formation de la Banque Jacques-Cartier en 1861, dont Victor Hudon est un des premiers directeurs. Cette banque, formée principalement de marchands comme Hudon, jouera un rôle important dans sa carrière. Il est également directeur de la Mutual Life Insurance of Canada en 1872 et de l’Atlantic Insurance Company of Montreal en 1875, compagnie avec un capital autorisé d’un million de dollars. Signe qu’il détient une solide réputation dans les milieux d’affaires anglophones, il est le seul francophone membre du comité d’arbitrage du Montreal Board of Trade au début des années 1870.

Ambitions politiques

Victor Hudon rêve aussi de transporter ses ambitions sur le plan politique. Il se porte candidat conservateur dans Hochelaga aux élections fédérales d’août 1872. Il demeure en effet dans la ville d’Hochelaga à la fin des années 1870, alors qu’il a plutôt habité au centre-ville de Montréal au cours de sa vie.

Il veut toucher la fibre patriotique des électeurs en affirmant que seul l’établissement de manufactures dans le pays pourra stopper l’émigration vers les États-Unis et ramener les Canadiens français partis travailler au sud de la frontière. Ces arguments seront insuffisants, Hudon subit la défaite face à un autre conservateur, Louis Beaubien, les libéraux n’ayant présenté aucun candidat.

La filature Hudon

Victor Hudon - filature

Plan figuratif d'une propriété appartenant à Victor Hudon présentant les lots no 34 à 38 du cadastre du village d'Hochelaga
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (Vieux-Montréal). CA601,S53,SS1,P700.
Victor Hudon met cependant en pratique ce qu’il prêche en campagne électorale. Il constitue en société la Compagnie des moulins à coton de V. Hudon (aussi appelée « filature Hudon » ou « la Hudon »), à Hochelaga, en 1873, après avoir obtenu du conseil municipal une exemption de taxes pour une durée de 20 ans. La même année, les premiers actionnaires procèdent à l’élection des membres du conseil d’administration, dont la majorité est francophone. Victor Hudon est désigné président du conseil.

Bâtiment en brique de 5 étages, mesurant 65 mètres par 24, la nouvelle filature abrite 300 métiers. Une machine à vapeur de 600 chevaux est alimentée par 6 chaudières, tandis que la cheminée, haute de 40 mètres, domine le quartier. La création de l’entreprise a nécessité d’importants investissements, pour la construction de l’usine, pour l’importation de la machinerie d’Angleterre, pour le recrutement des cadres et de la main-d’œuvre qualifiée, etc. Des Canadiens français ayant travaillé dans les filatures des États-Unis forment une partie de la main-d’œuvre.

Malgré la crise économique sévissant de 1873 à 1878, la filature Hudon est la première en importance au Canada jusqu’au début des années 1880. L’entreprise est fort lucrative, car l’industrie cotonnière est avantagée par la Politique nationale mise en place par Macdonald en 1879.

L’arrivée de Gault

Andrew Frederick Gault

Photo de plein pied d'Andrew Frederick Gault
Musée McCord. I-4168.1
Andrew Frederick Gault, surnommé le « Roi du coton », évincera progressivement Victor Hudon de sa place dans la filature. Riche marchand, Gault suit un parcours semblable à celui de Victor Hudon, mais à une plus grande échelle. En 1873, l’année où Hudon crée son entreprise, le chiffre d’affaires de la Gault Brothers and Company atteint deux millions de dollars. Gault compte sur de puissants appuis financiers puisqu’il siège aux conseils de la Banque d’Épargne, de la Molson’s Bank et de la Bank of Montreal, en plus de ceux de plusieurs compagnies d’assurances. Il investit de grosses sommes dans la Hudon si bien qu’il est nommé vice-président dès 1876 et président en 1882. À partir de cette date, Victor Hudon perd son poste de président et n’est que directeur. Mentionnons qu’à cette époque, A. F. Gault est aussi président de la Montreal Cottons Co. de Valleyfield. David Morrice est alors agent manufacturier de plusieurs cotonnières dont la Hudon et la Montreal Cottons Co. Il participera plus tard, avec A. F. Gault, au regroupement de nombreuses filatures.

De 1875 à 1877, Victor Hudon subit deux premiers revers. Tout d’abord, en 1875, la Banque Jacques-Cartier doit fermer ses portes à cause des pratiques douteuses de son directeur général, Honoré Cotté. Lors de la réouverture un an plus tard, Hudon perd son poste de directeur de la banque. Ensuite, en 1877, les journaux annoncent que Victor Hudon doit déclarer faillite avec un passif de 150 000 $. Sa position au sein de la Hudon est donc fragilisée.

La réaction de Victor Hudon ne se fait pas attendre après la perte de son poste de président de la Hudon. En mars 1882, il fait donner le statut de société par actions à une nouvelle filature, la St. Ann Spinning Co., avec un capital autorisé de 300 000 $, pour laquelle il obtient une exemption de taxes d’une durée de 25 ans de la part du conseil d’Hochelaga. Le conseil compte parmi ses membres : Louis-Joseph Forget qui jouera un rôle important dans la constitution de trusts dans les domaines des transports et de l’électricité à la fin du XIXe siècle, David P. Beattie, importateur et manufacturier, Félix Boismenu, de Boismenu & Rhéaume, entrepreneurs généraux, qui avait obtenu le contrat d’agrandissement de la Hudon et de la construction de maisons ouvrières en 1881 et Hubert Provost, propriétaire foncier à Hochelaga.

La St. Ann Spinning Co. est aménagée dans la rue Notre-Dame, à l’angle de la rue du Havre. Malheureusement, des problèmes de santé forcent Hudon à abandonner le conseil de la filature au profit de Gault à l’automne de la même année. Dorénavant, celui-ci aura les coudées franches pour rationaliser la production de coton au Canada qui commence à s’essouffler à partir de 1883. Une des solutions est la fusion de certaines filatures : c’est ce qui se produit en 1885 avec la fusion de la Compagnie des moulins à coton de V. Hudon et de la St. Ann Spinning Co. pour former la Hochelaga Cottons Mills.

De nouveaux projets

Entêté, Victor Hudon mènera de front deux nouveaux projets de filatures : une à Hochelaga (la troisième dans cette ville donc) et une autre à Beauharnois. On trouve plusieurs mentions de ces deux projets dans les journaux commerciaux datant des premiers mois de 1883. À Hochelaga, Victor Hudon voulait acheter les six villas Rolland, propriétés de la famille de Jean-Baptiste Rolland, fondateur de la papeterie Rolland de Saint-Jérôme et père de Jean-Damien Rolland, maire de Hochelaga de 1876 à 1879, pour y établir la filature Saint-Laurent. Le prix de vente avait été fixé à 28 000 $, desquels Hudon devait verser 10 000 $ comptant. J.-B. Rolland devait acheter 5 000 $ d’actions de la nouvelle filature et le reste du montant devait être prêté à un taux d’intérêt de 6 %. Pour une raison qu’on ignore, Hudon a refusé de signer le contrat. En août 1883, Hudon a obtenu une exemption de taxes pour une période de 20 ans pour sa filature. La compagnie devait ériger un bâtiment de deux étages de 400 pieds sur 100 pieds (121,9 mètres sur 30,5 mètres) et fournir entre 600 et 800 emplois. Ce premier projet ne se concrétisera pas.

À la fin de juin 1883, on apprend par le journal Le Moniteur du Commerce que le conseil de Beauharnois a accordé à une nouvelle filature une exemption de taxes sur 20 ans, une subvention de 8 000 $ et un accès gratuit à l’énergie hydraulique. Tout cela en plus de promettre d’acheter 80 000 $ d’actions de la nouvelle entreprise. Ce second projet ne sera jamais mené à terme.

Les dernières années

Victor Hudon - avis de décès

Avis de décès de Victor Hudon
Le Monde illustré, 10 avril 1897.
Après ses mésaventures dans l’industrie cotonnière, Victor Hudon semble se retirer du monde des affaires. Peut-être a-t-il pris part à la gestion de l’entreprise Hudon, Hébert & Co. dont son fils Joseph faisait partie avec Charles-Polycarpe Hébert? Fervent partisan conservateur, il a occupé le poste de commissaire du havre de 1879 à 1896. Cette commission était chargée de l’administration du port. À l’arrivée au pouvoir des libéraux de Laurier en 1896, il perd ce poste obtenu par favoritisme politique. Il a consacré les dernières années de sa vie à tenter d’obtenir un poste de sénateur, mais sans succès. Il meurt le 28 mars 1897 d’une grippe mal soignée. Ainsi disparaît un homme à la carrière fascinante, malheureusement méconnu du public.

Références bibliographiques

CHARBONNEAU, Réjean et al. De fil en aiguille, Chronique ouvrière d’une filature de coton en 1880, Montréal, Atelier d’histoire Hochelaga-Maisonneuve, 1985.

ROUILLARD, Jacques. Les travailleurs du coton au Québec 1900-1915, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1974.

CANADA. COMMISSION ROYALE D’ENQUÊTE SUR LES RELATIONS ENTRE LE CAPITAL ET LE TRAVAIL. Rapport de la Commission royale sur les relations du travail avec le capital au Canada, vol. I, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1889.

RUDIN, Ronald E.  « HUDON, VICTOR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 29 nov. 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/hudon_victor_12F.html.