L'encyclopédie est le site du MEM - Centre des mémoires montréalaises

Sortir dans le Vieux-Montréal des années 1970

29 novembre 2021
Temps de lecture

En transition, le Vieux-Montréal des années 1970 attire jeunes et anticonformistes. Sur la place Jacques-Cartier, la salle de spectacle de l’hôtel Nelson est l’un de ses lieux emblématiques.

Place Jacques-Cartier 1971

Photo couleur de la place Jacques-Cartier prise de nuit en hiver avec une mince couche de neige. Des décorations en forme de sapins sont placées en groupe de trois le long de la place. L’enseigne de l’hôtel Nelson est illuminée.
Archives de la Ville de Montréal. VM94-Ad-157-014.
Il y a 50 ans, le Vieux-Montréal était fort différent du quartier touristique d’aujourd’hui. Bien que ce quartier en plein déclin ait été nommé arrondissement historique par le gouvernement du Québec en 1964, les défis pour le revitaliser restent nombreux.

En effet, plusieurs entreprises de renom ont quitté le Vieux-Montréal pour le nouveau centre-ville aux abords du boulevard René-Lévesque. D’autre part, le port subit de plein fouet la décroissance des activités portuaires et de l’industrialisation. Souvent en mauvais état, un grand nombre de bâtiments datant du XIXe siècle sont laissés vacants. Ayant beaucoup diminué dans les décennies précédentes, la population reste faible : le Vieux-Montréal compte seulement 555 résidants en 1976. Pourtant, quelques personnes passionnées par le patrimoine rénovent des bâtiments anciens et souhaitent relancer le quartier, comme Pierre Benoît, propriétaire de l’hôtel Nelson sur la place Jacques-Cartier.

Un lieu d’échanges et de rencontres

Place Jacques-Cartier 1956

Photo couleur montrant des maraîchers et une femme prenant la pose devant leur étal remplis de sacs de légumes.
BAnQ Vieux-Montréal. Fonds Henri Rémillard, P685,S2,D194,P004.
« Le Vieux-Montréal était autrefois un village où il faisait bon se rencontrer sur la place Jacques-Cartier. Aujourd’hui toutes les parties de Montréal se disputent les “places publiques” qui malheureusement ne sont que des “centres d’achats géants”. […] Or, la place Jacques-Cartier elle, fait office de “place publique” comme autrefois mais à la différence que ses “animateurs” sont d’aujourd’hui. » Cet extrait de la revue Québec Rock montre bien que la place Jacques-Cartier nouvellement transformée en place publique suscite un intérêt nouveau.

Toutefois, se rencontrer dans ce lieu n’est pas une nouvelle habitude. La place Jacques-Cartier est effectivement un endroit de convergence depuis plusieurs siècles. Appelé à l’origine le marché Neuf, le site est aménagé au début du XIXe siècle à la suite d’un grave incendie qui a détruit le collège des Sulpiciens en 1803. Comme son nom l’indique, il remplace le Vieux-Marché situé près de la pointe à Callière de 1676 à 1803. En 1847, la place du marché Neuf prend le nom de place Jacques-Cartier. Si elle perd une partie de ses activités avec l’ouverture du marché Bonsecours cette même année, certains maraîchers continuent à venir y vendre leurs produits.

Après 150 ans d'existence, le marché de la place Jacques-Cartier est reconverti en stationnement en 1960. Mais cette vision ne plaît guère. En 1970, le lieu devient une place publique, agrémentée d’un petit kiosque marchand. Les animateurs publics et musiciens y donnent régulièrement des représentations. Autour de la place, plusieurs hôtels et anciens magasins-entrepôts connaissent une période de renouveau.

De Jacques-Cartier à Nelson

Place Jacques-Cartier 1970

Photo en noir et blanc de la place Jacques-Cartier, prise juste au sud de la rue Saint-Paul vers la rue Notre-Dame. Deux jeunes sont assis à l’avant-plan dans l’herbe et un est couché.
BAnQ Vieux-Montréal, fonds Henri Rémillard. P685,S2,D142,P014.
Situés du côté est de la place Jacques-Cartier, entre les rues Le Royer et Saint-Paul, la maison Jacob-Wurtele, l’hôtel Nelson et la maison Parthenais-Perreault I et II ont eu une fonction d’hôtel, d’auberge et de taverne dès leur aménagement au XIXe siècle. Construit en 1865 par le marchand Amable Cyprien Prévost, l’hôtel Nelson était connu à l’origine sous le nom d’hôtel Jacques-Cartier. Haut de quatre étages et demi, l’édifice héberge un hôtel, mais aussi une épicerie et une pharmacie au rez-de-chaussée. Pour une brève période (1875-1880), l’établissement abrite les bureaux du Grand Tronc à l’étage et dans les années 1920 il est renommé hôtel Roy, cependant, pendant cette période, l’édifice conserve presque toujours sa fonction d’hébergement d’origine.

Propriétaire de l’édifice de 1927 à 1997, la famille Benoît renomme l’établissement l’hôtel Nelson en 1941. Au début des années 1970, l’engouement pour l’endroit commence à se faire sentir et ne se dément pas tout le long de la décennie.

Dès le mois d’octobre 1971, une nouvelle salle de spectacle aménagée à l’hôtel Nelson attire la jeunesse. Plusieurs artistes émergents font leur premier vrai show dans l’atmosphère enfumée de cette boîte à chansons du Vieux-Montréal, baptisée officiellement L’Évêché en 1972. L’endroit est spacieux : c’est une salle de spectacle du type bar show offrant de 200 à 300 places. La consommation de substances illicites à l’hôtel Nelson attire toutefois l’attention des autorités dès 1974, résultant à plusieurs descentes policières au cours de la décennie. Ce qui désole bien le journaliste Romain Roman Vallée, qui écrit dans la revue underground Mainmise que l’hôtel Nelson était avant cela « la place la plus cool à Montréal ». Vers 1976, le lounge du Nelson Grill, une salle plus petite que L’Évêché, est ouvert et devient le lieu de prédilection des groupes punks de la première vague.

The Normals, live à l’hôtel Nelson

The Normals

Trois musiciens sur une scène : un à la guitare à gauche, un à la batterie et au chant au centre et le troisième à la basse et au chant à droite.
© The Normals. Tracy Howe, Robert Labelle et Scott Cameron.
Sur la scène de l’hôtel Nelson se produisent des artistes émergents de tous les horizons. Édith Butler, Renée Claude, Lewis Furey, Pauline Julien, Plume Latraverse, Serge Mondor et Lou Reed sont du nombre. C’est en remplaçant au pied levé le groupe Harmonium que Beau Dommage donne son premier spectacle à L’Évêché. Le lendemain, une foule impressionnante se presse aux portes de l’établissement pour les voir. En décembre 1974, les membres de Beau Dommage lancent leur premier disque à l’hôtel Nelson, qui se vend à plus de 300 000 exemplaires. Des artistes français y font également leur première prestation en sol québécois, tels Francis Cabrel, Gilbert Montagné et Geneviève Paris. De 1972 à 1982, l’hôtel Nelson est le rendez-vous des amateurs de folk, de rock progressif et même de punk.

Bien que fermé à deux reprises en l’espace de 10 ans, l’hôtel Nelson est le paradis des amateurs de musique d’avant-garde. Ces derniers viennent de partout au Québec pour y écouter ces groupes hors norme, parfois en prestation sur la petite scène du lounge du Nelson Grill, mais surtout à L’Évêché. Des bands montréalais, mais aussi américains, comme The Screamers, et britanniques, comme Anti-Nowhere League, UK Subs et The Vibrators, y offrent des spectacles d’une intensité brute, typique de la première vague. Mais lorsqu’ils occasionnent trop de grabuge, la tension monte entre le propriétaire de la salle de spectacle et les groupes punks.

Le 24 novembre 1978, les membres du groupe punk montréalais The Normals se retrouvent à l’hôtel Nelson pour un dernier spectacle. Ils enregistrent une dizaine de leurs chansons live sur scène. Si The Normals se sépare peu après son spectacle en 1978, le groupe se reforme au début des années 2010. L’enregistrement live sur cassette à l’hôtel Nelson est alors retrouvé. Les membres du groupe décident de le diffuser sur YouTube, nous permettant d’appréhender l’atmosphère unique de la première vague punk au Québec.

La nouvelle mutation des années 1980

Peu habité et à l’abandon, le Vieux-Montréal se réinvente donc et devient un lieu de divertissement au cours des années 1970. De nombreuses salles de spectacle et boîtes à chansons du secteur sont créées autour de la place Jacques-Cartier. Une clientèle jeune s’y rend à la nuit tombée pour écouter de la musique émergente et non conformiste. Comme le mentionne un collaborateur de Québec Rock, la fête bat son plein en 1979 dans le Vieux-Montréal : « On vend du “hash” sur la Place [Jacques-Cartier] […] la jeunesse punk se rencontre au Grill Nelson […] on danse au Plexi, à L’Évêché ou en haut de chez Queue […] on chante du rock à L’Imprévu […] de la chanson chez la Mère Martin et aux Pierrots […] à la Maison Cartier on écoute du blues entre autres. Il y a des “vues rock” à L’Imprévu en bas […] Maurice le fabuleux “stand” de sous-marins est ouvert jusqu’à 5 heures et peut-être plus […] tout comme la Maison Cartier où l’on parle pendant que l’on jazze à l’Air du Temps. »

Mais c’est bientôt la fin d’une époque. Les descentes incessantes de la police finissent par porter un coup fatal à la salle de spectacle de l’hôtel Nelson, en outre concurrencée par les nouvelles salles de spectacle et bars des voies Crescent, Sainte-Catherine et Saint-Laurent. Elle ferme en 1982. L’hôtel Nelson prend le nom d’Auberge Amicale brièvement au début des années 1980 avant de cesser ses activités.

La revitalisation du quartier entre dans une nouvelle phase : fouilles archéologiques, ouverture de musées, réhabilitation des bâtiments patrimoniaux vont le transformer. Sans disparaître complètement, le divertissement fait tranquillement place aux secteurs résidentiel et de l’hébergement, à l’industrie culturelle, aux restaurants, comme celui de l’hôtel Nelson (aujourd’hui Le Jardin Nelson), et bien sûr, au tourisme.

Cet article est paru dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 16 décembre 2017. Il a été enrichi pour sa parution dans Mémoires des Montréalais.

Le Vieux-Montréal, berceau des pionniers du punk québécois

C’est à la fin des années 1970 que le genre musical punk fait son apparition au Québec. Éminemment provocant par son style musical et vestimentaire, il s’inspire du mouvement punk né en Angleterre au milieu des années 1970. Cette forme de rejet radical de l’establishment est d’abord exprimée par plusieurs groupes britanniques, dont les Sex Pistols sont la figure de proue.

Attirés par ce nouveau style underground, les quelques Québécois qui séjournent à Londres à l’époque rapportent au pays tous les disques, vêtements et revues sur lesquels ils ont pu avidement mettre la main. Diffusant ce nouveau mouvement de bouche à oreille, les plus enthousiastes forment les premiers groupes de l’avant-garde punk au Québec, reproduisant ce désir brut d’expression sans contrainte, en opposition complète avec la musique populaire et la société de l’époque.

Mais il n’est guère facile de trouver un endroit qui accepte ces prestations hors norme. Robert Ditchburn, fondateur du 364, rue Saint-Paul Ouest, est le premier à vraiment donner une chance aux groupes punks, comme The Chromosomes, The Normals, The 222s, The Punketariot et quelques autres. Accessible par une ruelle sombre, l’entrée du 364 était indiquée par un « rideau » de pattes de poule attachées à des fils, se souvient Fortner Anderson, l’un des poètes de The Punketariot, en entrevue dans le documentaire MTL PUNK – The First Wave. Située dans un bâtiment à l’abandon, à l’image de bien des édifices du Vieux-Montréal de l’époque, la salle de spectacle ne paie pas de mine. Mais comme pour un speakeasy (bar clandestin américain) de jadis, le bouche-à-oreille fait son œuvre. Les soirs de spectacles, l’endroit s’anime au rythme frénétique d’une foule des plus bigarrées. Si le 364 est parmi les premiers lieux emblématiques du punk dans le Vieux-Montréal, l’hôtel Nelson y a eu lui aussi ses heures de gloire auprès des contestataires entre 1977 et 1982.

Cependant, mis à part quelques inconditionnels, le public reste peu réceptif à cette première vague punk, probablement musicalement trop brute pour l’oreille encore peu exercée de la plupart des contemporains. Au début des années 1980, la majorité des groupes se sont dissous, c’est déjà la fin de cette vague pionnière du punk made in Québec. Bien que marginaux et ignorés par l’industrie musicale de l’époque, ces musiciens ont été de vrais précurseurs, ouvrant le chemin au mouvement punk qui prendra de l’ampleur au cours des décennies suivantes.