Venus d’Europe de l’Est, des artistes juifs peignent Montréal pendant l’entre-deux-guerres. Leur œuvre a annoncé la modernité et nous fait découvrir une page oubliée de l’histoire de la ville.
Alexander Bercovitch par Moe Reinblatt
Ces peintres ne forment pas une école ou un mouvement artistique à proprement parler. Ils ont tous leur style personnel et se rejoignent plutôt par le choix de leurs sujets, ainsi que par le regard qu’ils portent sur leur environnement et sur les grands événements de leur temps. Ils sont figuratifs, mais tournés vers la modernité : ils adoptent des procédés picturaux novateurs et sont influencés par les grands courants artistiques internationaux, comme l’expressionnisme allemand ou le muralisme mexicain.
Bateau dans le port de Jack Beder
Peindre la ville dans ses temps durs
Hôpital Shriner de Moe Reinblatt
Témoins des grands événements sociaux et politiques qui ont marqué leur époque, ces peintres ont réagi chacun à leur manière, avec leur esthétique propre. Par leurs œuvres, ils nous permettent aujourd’hui de replonger dans cette période sombre de la vie montréalaise.
Femmes et écheveaux (manufacture) de Moe Reinblatt
C’est grâce à une Québécoise francophone sans origine juive que nous pouvons apprécier aujourd’hui à juste titre l’importante contribution des peintres juifs montréalais dans l’art québécois de l’entre-deux-guerres. Esther Trépanier, chercheure et professeure au département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, s’intéresse à la modernité dans l’art québécois et canadien dans la première moitié du XXe siècle. En se questionnant sur ce qui a ouvert la voie à Borduas et aux automatistes, à l’avant-garde reconnue de la modernité des années 1940 au Québec, elle découvre l’œuvre de plusieurs peintres de la communauté juive qui ont posé un regard personnel, humaniste et « moderne » sur la vie à Montréal durant trois décennies difficiles. Leur peinture se distingue clairement du courant traditionaliste, académique ou régionaliste de l’époque. Une sorte de chaînon manquant vers la modernité se révèle à travers des styles et des thèmes qui nous font découvrir le Montréal des années 1930 à 1948 sous un jour nouveau.
Esther Trépanier est à l’origine de l’exposition qui fit connaître ce groupe de peintres au grand public dans le cadre d’une importante exposition au Musée national des beaux-arts de Québec en 2008, puis au Musée McCord en 2010. En 1984, elle avait présenté une exposition de moindre envergure, sur le même sujet, au Centre Saidye-Bronfman (aujourd’hui Centre Segal des arts de la scène). Esther Trépanier est aussi l’auteure de l’ouvrage Peintres juifs de Montréal, témoins de leur époque 1930-1948, paru aux Éditions de l’Homme.
GAUVREAU, Claude. « Peintres juifs montréalais (1930-1948) : redécouvrir des pionniers de l’art moderne », [En ligne], L’UQAM, vol. XXXIV, no 18 (18 février 2008).
http://www.uqam.ca/entrevues/2008/e2008-023.htm
TRÉPANIER, Esther. Peintres juifs de Montréal, témoins de leur époque 1930-1948, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2008, 287 p.