Au début des années 1930, le nouveau gazomètre de la rue du Havre alimente Montréal en gaz artificiel. Il restera en opération jusqu’à la transition au gaz naturel, un quart de siècle plus tard.
Camper à côté d’un gazomètre
Logexpo
Une visite dans le gazomètre
Gazomètre
Fabriquée à Baltimore, la structure a été amenée à Montréal en pièces détachées et assemblée à son arrivée. Toutefois, les journaux de l’époque indiquent que le gazomètre est 100 % de conception et de fabrication canadiennes. Comme il n’est pas de bon ton de faire venir du matériel de l’étranger en pleine crise économique, il est possible que la Montreal Light, Heat and Power ait caché la provenance réelle de son équipement. Quoi qu’il en soit, 142 travailleurs locaux ont néanmoins participé à l’édification de l’étonnante structure à Montréal qui ne manque pas d’attirer l’attention en 1931.
Comme celui situé au coin des avenues Beaumont et Stuart à Parc-Extension, la plupart des gazomètres existants alors sont de type « articulé », c’est-à-dire que le système de cloche à pression hydraulique est visible de l’extérieur. Selon la demande de la clientèle ou le réapprovisionnement de l’usine, les côtés amovibles du gazomètre s’élèvent ou s’abaissent verticalement le long du treillis métallique pour ajuster la cloche pressurisant le gaz. Il était coutume de les voir s’abaisser sensiblement à l’heure du souper, les mères de famille comme Mme Barrowcliffe allumant presque toutes simultanément le gaz de leur cuisinière.
Famille Barrowcliff 1958
À la fine pointe de la sécurité
Explosion gaz 1888
Ces mesures peuvent sembler élémentaires aujourd’hui. Il est possible qu’elles reflètent une certaine familiarisation avec la législation mise en place en 1928, relative aux accidents de travail. Mais elles découlent probablement davantage d’une série d’événements tragiques qui ont été coûteux en vies humaines et en équipements par le passé. Depuis la construction du premier gazomètre sur la rue du Havre en 1873, les réservoirs et l’usine attenante ont été le théâtre de fuites et de plusieurs explosions qui ont ravagé le secteur.
L’évolution rapide des techniques permet d’améliorer la sécurité des lieux de travail. Mais la Montreal Light Heat and Power semble aussi prendre l’initiative et met de l’avant la notion de prévention des accidents dans l’élaboration des procédures de sécurité. En communiquant ces informations précises aux journalistes, elle montre son professionnalisme en matière de sécurité, et par le fait même, tente sans doute de rassurer la population à l’égard de son nouveau et imposant réservoir de gaz.
Remontant au sommet à la fin de la visite, les reporters décident de descendre quelques 11 volées de marches en zigzag qui donnent l’impression à nos courageux visiteurs d’être suspendus dans le vide. À la sortie, le constat est unanime : ce nouveau gazomètre est un « véritable monument au progrès. »
Du gaz fabriqué en usine grâce à LaSalle Coke
Publicité LaSalle Coke
C’est au XIXe siècle que les procédés de fabrication de gaz artificiel se développent dans les pays en pleine révolution industrielle. Remplaçant l’huile de baleine utilisée depuis 1815, les premiers lampadaires au gaz sont allumés le 28 novembre 1837 dans les rues de Montréal. C’est l’usine de la Montreal Gas & Light qui produit le gaz d’éclairage, en chauffant du charbon dans des fours hermétiques à température élevée. Fondée en 1847, la New City Gas fait l’acquisition de la Montreal Gas & Light l’année suivante. De plus en plus populaire, le gaz fait son entrée dans les industries, les commerces et les demeures privées, d’où la construction d’un premier gazomètre en 1873 sur la rue du Havre pour desservir les quartiers de l’est en pleine expansion. En 1879, avec l’invention de l’ampoule par Edison, la New City Gas commence à produire de l’électricité. Par l’entremise d’une série de fusions-acquisitions, la production d’énergie de la région métropolitaine se concentre entre les mains de la toute-puissante Montreal Light, Heat and Power en 1901.
Parallèlement à la production d’électricité, les procédés se raffinent pour obtenir un gaz de meilleure qualité. Du charbon en passant par la houille, c’est au XXe siècle que l’usage du coke prend son essor. Toutefois, ce n’est pas une mince affaire d’obtenir la matière première. Le coke est le résidu solide obtenu de la distillation du charbon à haute température. Pour fournir un combustible de première qualité à son usine de gaz manufacturé aux abords du canal de Lachine à Ville LaSalle, la Montreal Light, Heat and Power y construit en 1927 une cokerie d’envergure. C’est ainsi qu’est constituée en 1928 la Montreal Coke and Manufacturing Company, mieux connue sous le nom de LaSalle Coke.
Pour fabriquer du « gaz à l’eau carburé » que l’on utilise communément au Canada à l’époque, le coke est chargé dans les fours à coupole de l’usine de gaz manufacturé. Porté à incandescence, on obtient avec l’action de l’air un mélange d’hydrogène et de monoxyde de carbone. Pour lui ajouter un pouvoir calorifique, on carbure le gaz en lui ajoutant de l’hydrocarbure gazeux, puis il est finalement épuré pour obtenir le produit final. Ce gaz artificiel est ensuite transféré aux réservoirs. Comme la capacité de production s’accroît à LaSalle dès la fin des années 1920, il est donc justifié de construire un nouveau gazomètre sur la rue du Havre en 1931. Le gaz circule dans les conduites souterraines des gazomètres jusqu’aux logis de 210 000 souscripteurs des services de la Montreal Light, Heat and Power en 1943.
La Montreal Light, Heat and Power étant nationalisée en 1944, Hydro-Québec s’occupe pendant un temps des opérations gazières. Puis, la société d’État choisit de concéder ce créneau à la Corporation du gaz naturel du Québec (aujourd’hui Énergir) en 1955. En 1957, la Corporation achète le réseau de gaz manufacturé pour le convertir au gaz naturel. Non toxique et beaucoup moins polluant, celui-ci a une valeur calorifique deux fois plus élevée. C’est le début de la fin pour les gazomètres montréalais, qui deviennent rapidement obsolètes. Comme nombreux de ses semblables à Montréal, mais aussi à travers le monde, le gazomètre de la rue du Havre est démantelé en novembre 1970. De nos jours, Énergir possède toujours des bureaux et un stationnement sur ce terrain. Du côté de Ville LaSalle, seule la grue de LaSalle Coke, au bord du canal de Lachine à la hauteur du 6710-6610, rue Saint-Patrick, rappelle l’emplacement de l’usine à gaz manufacturé de la Montreal Light, Heat and Power, aujourd’hui disparue.
Ces articles sont parus dans la chronique « Montréal, retour sur l’image », dans Le Journal de Montréal du 28 février 2015 et du 4 avril 2015. Le texte a été enrichi pour la parution dans Mémoires des Montréalais.
Alain Gelly et Yvon Desloge, Le canal de Lachine : du tumulte des flots à l'essor industriel et urbain, 1850-1960, Québec, Septentrion, 2002. 216 p.