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Dès le XIXe siècle, des vitrines séduisantes. Surtout pour Noël!

14 décembre 2020
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On s’extasie devant les vitrines montréalaises depuis longtemps. La volonté des commerçants de se distinguer et des ouvertures en façade toujours plus grandes ont conduit à un foisonnement décoratif.

Vitrines grands magasins

Illustration montrant un homme et une femme marchant sur le trottoir en hiver et longeant des vitrines de grands magasins.
BAnQ Numérique. Revues d’un autre siècle, notice 0002748871
Quelle joie de déambuler devant de fabuleuses vitrines durant le temps des fêtes! Cette activité ravit petits et grands depuis longtemps. On raconte souvent que la tradition serait née, il y a presque 150 ans, soit en 1874 avec la « première vitrine de Noël » attribuée au magasin new-yorkais Macy’s. Mais, à Montréal comme dans d’autres grandes villes, les vitrines, qui évoluent avec les pratiques commerciales, font déjà partie de l’expérience urbaine bien avant cette date. Trouvait-on des vitrines de Noël à Montréal avant 1874? Eh bien oui!

Rappelons d’abord qu’au début du XIXe siècle, c’est par des vêtements accrochés à sa porte qu’un tailleur de la rue Saint-Paul invite à découvrir ses produits. Les fenêtres des boutiques sont trop petites pour bien présenter la marchandise; les produits sont donc souvent étalés à l’extérieur, explique un voyageur en 1816. Dès les années 1820, l’apparition des maisons-magasins avec des fenêtres à grands carreaux permet des présentations en vitrine plus élaborées. La chronique « Modes montréalaises » du journal La Ruche littéraire et politique rapporte avec enthousiasme en 1854 qu’on peut admirer les nouveautés printanières dans la vitrine de M. Lafond : certains « de ses chapeaux exposés dans sa vitrine sur la rue Lambert ne dépareraient pas la tête des plus fières lionnes parisiennes »!

Les nouveaux et élégants magasins-entrepôts, en nombre croissant à Montréal à partir des années 1850, ouvrent de nouvelles possibilités de présentation de marchandise. Déployant leur offre marchande sur plusieurs étages, ces magasins jouissent de grandes fenêtres en façade qui laissent la lumière du jour entrer tout en créant des espaces d’étalage. Un exemple précoce de ce type de magasin, J. & M. Nichols de la rue Notre-Dame Ouest, près de la rue McGill, présente en 1852 dans ses baies vitrées des tissus, châles et bonnets… Tout pour séduire les dames! Le commerce de détail montréalais profite alors de la croissance d’une clientèle bourgeoise dont l’enrichissement se traduit en un désir accru de consommation.

Abondance du temps de fêtes

Vitrine magasin

Illustration de périodique montrant des femmes observant une vitrine de boutique.
BAnQ Numérique. Revues d’un autre siècle, notice 0002744181.
Les commerçants soignent particulièrement les vitrines durant le temps des fêtes afin d’attirer le regard de la clientèle et présenter leurs produits. Dans les journaux de Montréal, Québec, Trois-Rivières ou Sherbrooke, des entreprises invitent les clients à venir admirer leurs vitrines. Certains commerçants optent plus modestement pour la présentation d’une crèche rappelant le caractère religieux de la fête. D’autres en mettent plein la vue en décembre 1872. À la nouvelle bijouterie de « Messieurs Savage et Lyman », un étalage splendide suscite l’admiration des passants et passantes déambulant sur la rue Saint-Jacques. Non loin, la Maison des Récollets mise non seulement sur la décoration de son intérieur, mais aussi sur ses vitrines qui s’ornent de robes de bal et de magnifiques tissus. Bien des dames vont rêver de porter ces toilettes lors du prochain bal du gouverneur général, note le rédacteur de la revue Canadian Illustrated News en décembre 1872.

L’innovation du magasin à « rayons » new-yorkais Macy’s en 1874 ne semble donc pas d’avoir « inventé » la vitrine de Noël, comme on le suggère parfois, mais bien d’être allé au-delà de la simple présentation de marchandises pour les fêtes. La brève description de ces vitrines mythiques dans le New York Times indique qu’on peut y admirer de nombreuses poupées de porcelaine et autres jouets. On évoque des mises en scène élaborées et composites, comme celle de ces demoiselles aux balcons de maisons de campagne et de ces cavaliers trottant sous le regard de celles-ci. Il s’agit vraisemblablement de l’une des premières manifestations de la « vitrine spectacle » où les éléments de décors jouent un rôle majeur. L’espace de présentation nécessaire à ce type de mise en scène va devenir d’ailleurs la norme pour ces grands magasins.

Comme d’autres villes en Amérique, Montréal s’industrialise de plus en plus, et sa population se densifie. Les nouveaux magasins « à rayons » tentent de séduire la classe moyenne naissante en lui présentant tous ces nouveaux biens produits en série. La vitrine devient un des outils incontournables de commercialisation. Les grandes baies vitrées — au même titre que l’éclairage électrique ou les ascenseurs — font partie des innovations technologiques intégrées dès la conception dans les édifices « modernes » construits pour ces grands détaillants. Plusieurs viendront s’installer sur la rue Sainte-Catherine, qui devient graduellement le nouveau cœur commercial de Montréal. Déjà établi sur cette artère, Dupuis Frères déménage en mars 1882 au coin de la rue Saint-André. L’entreprise se transforme de plus en plus en un « grand magasin ». Son nouvel édifice de quatre étages compte de belles grandes vitrines et — bonne nouvelle — l’éclairage électrique y sera bientôt installé.

Comment réussir sa vitrine

Grand magasin

Publicité d’un grand magasin dans un périodique. La moitié du haut est une illustration du grand magasin qui fait un coin de rue, avec des voitures hippomobiles qui circulent dans les rues.
BAnQ Numérique. Revues d’un autre siècle, notice 0002747612.
Les commerces de plus modeste dimension décorent aussi leurs vitrines pour Noël ou Pâques. Les journaux rapportent qu’on y expose cigares, tissus, gravures ou vêtements. Quelques mois avant Noël 1889, Le Prix courant publie deux articles pleins de conseils sur la décoration artistique des « vitraux ». L’hebdomadaire a pour mission d’informer les hommes d’affaires canadiens-français des nouveautés dans le monde du commerce. La vitrine, affirme-t-on, doit non seulement bien représenter le type de commerce, mais aussi «’éveiller chez le passant le désir de posséder les marchandises étalées ». Par l’harmonisation des couleurs et le choix des accessoires, « l’étalagiste », comme on l’appelle déjà, démontrera son « art », dans ces présentations idéalement changées quotidiennement! La publication suggère même de jouer d’audace en ajoutant « des éléments n’ayant pas de rapport avec les marchandises en stock comme les jouets mécaniques, les automates divers genres ».

Pour Noël 1899, le grand magasin Macy’s attire à nouveau l’attention du Tout-New York, cette fois par une grande vitrine de Noël mécanisée. Les grands magasins « à rayons » vont au fil des ans rivaliser d’imagination et déployer des moyens impressionnants pour se démarquer de la concurrence durant cette période de forte consommation. Ce n’est cependant qu’en 1909 que Selfridges de Londres et Au Bon Marché de Paris inaugurent leurs premières grandes vitrines de Noël, étonnantes par leur mise en scène spectaculaire. Chez le détaillant parisien, parents et enfants revivent alors l’exploit récent de l’atteinte du pôle Nord en traineau à chiens. Dans un décor de neige et de glace, peluches et jouets côtoient igloos, oursons mécaniques et autres automates. La grande et flamboyante vitrine devient pour ces géants du commerce de détail une signature, contribuant à maintenir leur image de marque et de prestige.

À Montréal aussi, les commerçants redoublent d’imagination pour charmer le public. En mai 1899, le « Grand magasin de l’ouest » de S.A. Larose, au coin des voies Notre-Dame et Aqueduc, annonce dans ses « grandes vitrines », « de grands étalages ». On pourra y admirer des représentations de Melle Rigodon « célèbre danseuse parisienne […] engagée à grands frais », dit-on dans La Presse. Pour Noël 1900, le magasin « à rayons » Old St George de la rue Notre-Dame ne semble nullement intimidé par la compétition. Ses vitrines de Noël sont si belles, peut-on lire dans son annonce dans La Presse, « qu’il ne s’est jamais rien vu de pareil à Montréal ou sur le continent »! Pour vendre ses jouets, l’entreprise élabore d’ailleurs tout un programme. « Santa Claus » sera dans le magasin pour offrir des bonbons gratuits aux enfants. Les clients pourront écouter l’orchestre « hongrois » et profiter des offres spéciales au « Pays des jouets »! Comme quoi, la commercialisation de la fête ne date pas d’hier!

C’est d’ailleurs toute une industrie autour de l’étalage et des vitrines qui va se développer au XXe siècle en Amérique du Nord. Particulièrement pour le temps des fêtes, la créativité déployée par les nombreux spécialistes des vitrines et décors — concepteurs, artisans, étalagistes — n’aura de cesse de fasciner.

Références bibliographiques

BEAUREGARD, Yves. « Le courrier du temps des Fêtes », Cap-aux-Diamants, no 47 (automne 1996), p. 20-22.

BURGESS, Joanne. La consommation : une passion victorienne, circuit web, Musée McCord.
http://collections.musee-mccord.qc.ca/scripts/printtour.php?tourID=VQ_P2...

LAUZON, Gilles (dir.), et Madeleine FORGET (dir.). L’histoire du Vieux-Montréal à travers son patrimoine, Les publications du Québec, 2005, p. 130 et suiv., p. 159 et suiv.

COMEAU, Michèle. « Les grands magasins de la rue Sainte-Catherine à Montréal : des lieux de modernisation, d’homogénéisation et de différentiation des modes de consommation », Bulletin d’histoire de la culture matérielle, no 41 (printemps 1995), p. 58-68.
https://journals.lib.unb.ca/index.php/MCR/article/view/17638/18913