L’inauguration du Théâtre National a une valeur symbolique considérable : dans ce lieu de rassemblement, la collectivité canadienne-française pourrait trouver le reflet de son identité.
Théâtre, 1902
C’est le 12 août 1900 qu’est inauguré le premier théâtre professionnel construit à cette fin par des francophones. Situé sur Sainte-Catherine, au coin de Beaudry, en plein cœur de la partie française de la ville, le Théâtre National n’était pas alors la seule scène française de Montréal. L’El Dorado, le Théâtre de la Renaissance, le Théâtre des Variétés ― différent de son homonyme actuel et aujourd’hui disparu ― avaient déjà pignon sur rue et attiraient des foules appréciables. Mais tous ces théâtres étaient en fait des salles aménagées ou recyclées en théâtre et non pas construites à des fins théâtrales. L’une avait abrité une taverne, une autre un commerce en gros, une autre un restaurant. Quant au Monument-National, inauguré le 24 juin 1893, il abrite à l’origine une salle polyvalente qui n’est pas conçue pour recevoir exclusivement du théâtre.
Un théâtre pour les Canadiens français
Julien D'Aoust en 1901
Metteur en scène, dramaturge, acteur et directeur de troupe, Julien Daoust rêve d’une scène nationale animée, pour l’essentiel, par des artistes nés ou émigrés au Québec. Il associe à son projet un architecte, Albert Sincennes, et un photographe, A. Racette. Le bâtiment doit contenir 1000 places. Mais les promoteurs ont vu trop gros. À peine inauguré, le théâtre change de mains. C’est Georges Gauvreau, un restaurateur voisin, qui prend la direction des affaires. Homme visionnaire, cultivé et audacieux, Gauvreau sait que la dramaturgie québécoise est encore trop balbutiante pour alimenter un établissement de l’envergure du Théâtre National où l’on doit présenter, en moyenne, 40 spectacles différents par année. Il doit donc puiser à d’autres sources. Il comprend que, pour attirer le public francophone dans son théâtre, il ne doit pas lui présenter les derniers succès de la scène parisienne ― comme cela se fait dans d’autres théâtres de la ville ―, mais il doit plutôt lui proposer les succès de Broadway en français. Car ce public a été formé au théâtre par les troupes de tournée américaine.
De Broadway à l’histoire nationale
C’est ainsi que, dès 1900, Gauvreau engage comme directeur artistique le comédien Paul Cazeneuve. Né en France mais élevé aux États-Unis, Cazeneuve a été formé au théâtre à New York et mène une carrière plus que respectable dans des grandes troupes de Broadway. Cazeneuve entreprend de « québéciser » les plus retentissants succès de Broadway qui, souvent, sont des adaptations américaines de versions londoniennes de grand succès parisiens. Cazeneuve ne se trompe pas. Le Théâtre National attire rapidement une clientèle nombreuse et fidèle. Ce premier objectif atteint, il s’agit désormais de présenter des œuvres originales. Les « adaptateurs » des productions new-yorkaises se mettent à l’œuvre, puisant dans l’histoire nationale des événements et des héros. Le Théâtre National voit ainsi de grosses productions consacrées à Montcalm, Jos Montferrand, De Lorimier, etc.
Les grands drames historiques ouvrent la voie aux drames populaires ― le Chemin des Larmes de Julien Daoust ― où la réalité quotidienne des Canadiens français est exposée sur scène avec force réalisme. Mais le public aime rire également. Adaptant la revue musicale à la situation québécoise, la scène du Théâtre National devient rapidement le lieu privilégié de l’humour québécois. Dans ces revues souvent insolentes, on se moque de la politique et des personnalités avec un humour corrosif, le tout ponctué de chansons et de sketches.
Pendant des décennies, le Théâtre National va ainsi rassembler les plus grands artistes du burlesque et du mélodrame québécois. Mais il vivra mal l’avènement de la télévision. Au début des années 1960, il est délaissé. Occupé pour quelque temps par le Conservatoire d’art dramatique de Montréal, il sombre peu à peu dans l’oubli. Converti en cinéma de quartier, puis chinois, puis gai, il reprend depuis 1997 sa vocation première.
Cet article est paru dans le numéro 39 du bulletin imprimé Montréal Clic, publié par le Centre d’histoire de 1991 à 2008. Il a été rédigé par Jean-Marc Larrue et Jean-Pierre Sirois.